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Second souffle pour l’alternance

Dossier | publié le : 02.01.2017 | Clotilde de Gastines

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Second souffle pour l’alternance

Crédit photo Clotilde de Gastines

Après une chute sensible des effectifs, l’apprentissage retrouve des couleurs. Aides financières, accompagnement et expérimentations favorisent enfin la signature de nouveaux contrats.

La prestigieuse École polytechnique a annoncé en octobre dernier l’ouverture d’un master via l’apprentissage. Signe – pour ceux qui en doutaient – qu’alternance peut aussi rimer avec excellence. Bon an mal an, les filières professionnelles se défont de l’étiquette qui leur a trop longtemps collé à la peau, notamment au sein de l’éducation nationale, celle d’une voie de garage pour élèves en difficulté. Cette nouvelle est tombée alors que les effectifs de jeunes en alternance remontent doucement la pente. Ils étaient 405 500 en apprentissage et contrat de professionnalisation au 31 décembre 2015, soit 4 % de plus qu’en 2014. Une évolution principalement due à l’augmentation de ces profils dans le supérieur et à l’ouverture de près de 11 000 postes dans le secteur public en 2015. En revanche, le privé peine à relever la tête, avec 260 500 jeunes entrés en apprentissage en 2015, soit une progression de seulement 1,6 % par rapport à l’année précédente. La reprise est donc faible après une chute de plus de 30 000 places durant les deux premières années du quinquennat de François Hollande.

De fait, en 2012-2013, le gouvernement avait supprimé une série d’aides à l’embauche et de crédits d’impôt, avant que la loi de réforme de la formation professionnelle de mars 2014 ne modifie à nouveau le financement (voir encadré page 48). Ces injonctions politiques et fiscales contradictoires ont largement désorienté les entreprises accueillant des apprentis. Devant l’effondrement des effectifs, le gouvernement a fait machine arrière. Et a présenté un plan de relance lors de la grande conférence sociale de juillet 2014. Objectif : 500 000 alternants pour 2017. Un beau chiffre tout rond, bien difficile à atteindre.

Au-delà, c’est toute une filière qu’il faut couver et développer. Car, à l’image du monde du travail et du marché de l’emploi, elle aussi évolue à vitesse grand V. Ainsi, le profil de l’alternant change. L’âge d’entrée en apprentissage a fortement baissé. « Depuis que l’éducation nationale ne fait plus redoubler, les sortants de classe de 3e ont moins de 15 ans, explique Gilles Cadéac, directeur du CFAI de Lézignan-Corbières (Aude). Ce qui nous oblige à demander des dérogations pour qu’ils puissent travailler. » Une complication en plus… Autre transformation à considérer : le nombre de contrats d’apprentissage augmente chez les plus diplômés, au détriment des moins qualifiés, les fameux « infrabac ». En 2015, les établissements du supérieur formaient un apprenti sur cinq (hors BTS) contre un sur 15 en 2000.

Multiples facteurs de rupture

Mais, « dans l’esprit des politiques, l’apprentissage demeure un mode d’insertion de public en difficulté, comme un dispositif de politique de la ville », regrette Yves Cimbaro, président de l’Association nationale pour l’apprentissage dans l’enseignement supérieur. Il considère au contraire que « c’est un mode de formation vertueux, qui permet d’avoir un diplôme tout en étant opérationnel dans un métier ». Il répond à des nécessités en compétences dans des domaines émergents pointus (informatique embarquée, santé, maintenance nucléaire) et parfois inattendus (langues étrangères appliquées ou psychologie).

Mais, quels que soient leur âge et leur niveau de diplôme, les apprentis ont un même besoin : avoir des parcours fluides et sécurisés. Pas simple. Les ruptures de contrats atteignent 27 % au cours de la première année d’apprentissage. « Ça fait partie de la vie au travail ! Un CDI sur 10 termine avant la fin de la période d’essai, un sur trois avant un an », clame Myriam Olivier-Poulain, ancienne directrice de l’apprentissage en Rhône-Alpes et directrice d’un CFA depuis 2015. Elle estime que « l’important, c’est d’accompagner le jeune pour qu’il puisse rebondir et ne pas reproduire les mêmes erreurs ».

Erreur d’orientation, incompréhensions avec l’employeur, problèmes personnels… Les facteurs de rupture sont multiples. Floriane, 21 ans, aujourd’hui en brevet de maîtrise, diplôme de l’artisanat, à Lézignan-Corbières, a changé deux fois d’employeur pendant son CAP de coiffure. « Ça s’est mal passé, je suis partie et j’ai douté de mon orientation, alors que je veux faire ce métier depuis toujours. J’ai dû aller dans une école privée, à plus de 2 000 euros l’année. Ensuite, j’ai pu raccrocher en revenant au CFA pour passer mon brevet professionnel. »

Pour réduire les situations d’attente, les inscriptions en CFA ne sont désormais plus limitées à la rentrée de septembre. Une avancée due à la loi travail votée en août dernier qui ouvre 85 titres du ministère du Travail à l’apprentissage, tels ceux de fraiseur en métallurgie, piqueur en maroquinerie, technicien de maintenance industrielle ou ouvrier de production horticole et ornementale. Cet accès répondant aux besoins des branches existait à titre expérimental depuis dix ans. La mesure ouverte par la loi travail généralise cette souplesse. « Aujourd’hui, un jeune peut préparer un CAP de maçon en deux ans ou bien un titre professionnel en 900 heures », a cité en exemple la ministre du Travail Myriam El Khomri lors d’un rendez-vous organisé par l’Association des journalistes de l’information sociale, le 5 octobre dernier. « Cela permet aux jeunes en carafe de trouver une formation », a-t-elle illustré. Dans cette veine, la région Ile-de-France a décidé d’ouvrir 900 places de formation. L’objectif est de raccourcir le temps de formation tout en renforçant l’apprentissage au sein de l’entreprise.

Aides à l’embauche

Les lois Macron d’août 2015 et El Khomri ont aussi créé de nouveaux droits : l’abondement du compte personnel d’activité (CPA) pour tout jeune de 15 ans qui signe un contrat d’apprentissage, la prise en compte des heures d’apprentissage dans le calcul des droits à la retraite. À partir du 1er janvier 2017, les apprentis de moins de 21 ans recevront une aide au pouvoir d’achat de 250 à 350 euros. En revanche, la refonte de la grille de rémunération des apprentis, véritable serpent de mer, est sans cesse reportée.

Côté employeurs également, des avancées sont enregistrées. Les aides à l’embauche sont plus lisibles et cumulables. Un site dédié permet d’accéder à toutes les démarches. Quelle que soit leur taille, les entreprises bénéficient d’exonérations de charges sociales, de crédits d’impôt et, en cas de handicap, d’aides de l’Agefiph. Les TPE, qui accueillent plus de la moitié des apprentis, ont droit à des dispositifs spéciaux, comme la prime TPE jeunes apprentis, qui a facilité 76 000 recrutements depuis juin 2015 selon le ministère du Travail. Certains pointent déjà l’effet « pervers » de cette prime qui couvre les salaires et les cotisations sociales des apprentis mineurs au cours de la première année. « Elle pénalise les plus de 18 ans à l’embauche », constate Alain Griset, de l’Assemblée permanente des chambres de métiers et de l’artisanat. Pour contraindre les grandes entreprises à former des apprentis, un malus sanctionne désormais celles qui n’ont pas 4 % d’apprentis dans leurs effectifs. En 2015, les pénalités ont été de 250 millions. Celles qui dépassent 5 % obtiennent des déductions fiscales.

Mais le nouvel essor de l’apprentissage est à l’initiative des régions, qui pilotent la filière. Dans les Pays de la Loire, où le nombre d’apprentis dépasse la moyenne nationale, le conseil régional a décidé de déployer les écoles de production dans chacun de ses cinq départements. Historiquement implantées en Rhône-Alpes, celles-ci ont développé un modèle particulier d’insertion dans la vie sociale et professionnelle de jeunes en difficulté dans le système traditionnel. La pédagogie se fonde sur la pratique en atelier de production. L’élève réalise de vraies commandes pendant les deux tiers du temps passé à l’école.

Dans les CFA normands, 10 000 places étaient vacantes au 31 décembre 2015. Partant de ce constat, la région a organisé un « Grenelle de l’apprentissage » entre janvier et juin 2016. Cette large consultation a débouché sur un plan quinquennal pour l’apprentissage. Il se décline en 23 actions concrètes : créer des olympiades des métiers, poursuivre la modernisation des CFA, adapter la carte des formations aux besoins normands. La région met aussi en place un accompagnement social pour les apprentis qui rencontrent des difficultés familiales, de santé, de logement.

Multiplier les expérimentations et les échanges de bonnes pratiques, recommandait l’Inspection générale des affaires sociales dans son rapport de juin 2015… « Il faudrait créer un mapping dynamique pour que les établissements puissent suivre en temps réel les besoins des entreprises et adapter leur offre de formation à la réalité économique », imagine Florence Poivey, du Medef. Au Danemark, une telle base de données existe, elle permet en outre l’activation, l’orientation, la protection sociale des jeunes.

C. G.

Un pouvoir accru des régions sur le financement

Après la réforme du financement effective au 1er janvier 2015, les conseils régionaux confortent leur assise financière et leur pouvoir de régulation. La taxe d’apprentissage finance désormais davantage l’apprentissage.

En 2015, les régions et les CFA ont ainsi perçu 2,250 milliards d’euros, soit 77 % du produit de la taxe d’apprentissage et de la contribution au développement de l’apprentissage, contre 75,3 % auparavant, soit 200 millions supplémentaires. « Pour nous, la collecte est moindre », constate néanmoins Patrice Guezou, de CCI France, qui gère 142 CFA, 150 établissements, dont 22 écoles de commerce et 10 écoles d’ingénieurs. Vers qui les entreprises faisaient le choix de flécher une partie de leur taxe d’apprentissage – la part dite « libre ». Elle a baissé de 41 % à 23 %… Les branches, elles, ont gardé la liberté de négocier avec les régions la répartition de ces fonds en fonction des choix des entreprises et de leurs besoins de main-d’œuvre et de formation.

Nouveauté : la Bretagne, les Hauts-de-France et la Nouvelle-Aquitaine expérimentent la gestion des fonds libres par les conseils régionaux. Certains y sont franchement « hostiles », comme Florence Poivey, du Medef, pour qui « une plus grande implication de la région n’est pas une solution ». Quand d’autres y voient un rééquilibrage des rapports de force.

C. G.

Une alternance, deux contrats

L’alternance existe sous deux formes de contrats. Le contrat d’apprentissage est un dispositif de formation initiale. Il prépare en deux ou trois ans à un diplôme de l’éducation nationale, du CAP au bac pro, ou de l’enseignement supérieur, du BTS au master 2. Le temps de scolarité représente souvent plus de 50 % de cours dispensés dans les CFA (centres de formation d’apprentis), hébergés dans les lycées, IUT ou universités. En complément, le contrat de professionnalisation se prépare sur une période généralement comprise entre six et douze mois pour les demandeurs d’emploi de plus de 26 ans. Les jeunes âgés de 16 à 25 ans peuvent être éligibles sous certaines conditions. Le temps consacré à la théorie ne dépasse pas en moyenne 25 %.

Auteur

  • Clotilde de Gastines