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Décodages

Justin Trudeau, l’Obama canadien

Décodages | publié le : 02.01.2017 | Ludovic Hirtzmann

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Justin Trudeau, l’Obama canadien

Crédit photo Ludovic Hirtzmann

Charmeur et charismatique, le jeune Premier ministre multiplie les mesures progressistes. Un an après son élection, sa « coolitude » fait l’unanimité. Mais pourrait bien finir par agacer si la croissance plafonne.

Le rêve américain serait désormais canadien. Tout le monde en pince pour Montréal, la destination phare des Français dans le pays. Vraiment, « Montréal, c’est ben ben le fun (c’est cool) », comme disent les Québécois. À tel point que la communauté française y compte plus de 120 000 nationaux, auxquels s’ajoutent, bon an mal an, 7 000 immigrants de l’Hexagone, pour l’essentiel fortement diplômés. En dix ans, leur nombre aurait grossi de 50 %. « L’immigration se déroule en deux temps : un permis de travail pour trouver un emploi qui ouvre ensuite la porte vers une résidence permanente », confie Yann Hairaud, directeur de la Citim, un organisme d’aide à l’emploi des immigrants français.

Environ 80 % s’installent au Québec pour sa francophonie et ses politiques plus sociales qu’ailleurs. Mais, depuis l’élection éclatante de Justin Trudeau fin 2015, les anglophones se convertissent aussi à « la politique positive » prônée par ce charmeur de 44 ans. Un an après avoir mis fin à dix ans de règne conservateur, Justin Trudeau affiche une cote de popularité à faire pâlir de jalousie n’importe quel dirigeant européen. « Le taux de satisfaction demeure à 65 %, détaille François Pétry, professeur de science politique à l’université Laval de Québec. Il faut remonter au premier mandat de Jean Chrétien, en 1993, pour trouver un Premier ministre avec une telle cote d’amour ! » L’amateur de selfies vit une véritable lune de miel avec ses concitoyens. Et même avec les plus improbables.

Satisfecit syndical.

Avec les syndicats, tout d’abord. « On a été surpris par les promesses de Justin Trudeau, mais surtout qu’il les tienne ! admet Daniel Boyer, le président de la Fédération des travailleurs du Québec (FTQ), le plus grand syndicat québécois, avec 600 000 adhérents. Les organisations syndicales avaient été mises à mal sous Stephen Harper. Ce furent dix ans de noirceur. » Plus surprenant, le patronat fait preuve du même enthousiasme. « Justin Trudeau a fait ce qu’il a dit en campagne et il dit ce qu’il veut faire », relève Yves-Thomas Dorval, le président du Conseil du patronat du Québec (CPQ).

Sur le plan sociétal, le Premier ministre a adopté une loi sur la fin de vie. Puis il s’est attaqué à l’explosive question autochtone. Des années après avoir dénoncé des centaines de meurtres inexpliqués, les Amérindiennes ont enfin obtenu la création d’une commission d’enquête. Pour lutter contre les inégalités, source de tensions intracommunautaires, les Amérindiens ont reçu une enveloppe de 2,6 milliards de dollars dédiée à l’éducation scolaire. Ottawa a aussi confirmé la légalisation du cannabis au printemps 2017.

Baisses d’impôts.

Surtout, l’ancien chef du Parti libéral multiplie les mesures progressistes et veille à une meilleure répartition des richesses. « Les familles de la classe moyenne reçoivent plus d’aide qu’auparavant, note François Pétry, et l’on distribue moins de revenus aux plus riches. » Dès la première année de son mandat, le gouvernement a créé une allocation pour les Canadiens ayant des enfants, baissé les impôts pour la classe moyenne (de 45 000 à 90 000 dollars par an de revenu) de 22 % à 20,5 % et créé un palier d’imposition de 33 % (contre 29 % précédemment) pour les contribuables gagnant plus de 200 000 dollars par an.

Si les Français se précipitent ici, c’est aussi parce que le pays est en situation de quasi-plein-emploi. Le taux de chômage plafonnait à 7 % en octobre, voire moins chez les 25-54 ans et les femmes. Une santé insolente qui n’a pas empêché Trudeau de réformer en profondeur le système d’assurance chômage. « Les demandeurs d’emploi ne sont plus obligés d’accepter des emplois éloignés de leur domicile pour continuer à toucher leurs allocations, souligne François Pétry. Et les délais pour recevoir les prestations sont moins longs. »

Au Canada, l’indemnisation, qui dépend des provinces, est plafonnée à un an de couverture. Son montant est également indexé sur la courbe du chômage : plus elle est basse, plus l’allocation diminue. Dans tous les cas, elle ne dépasse pas 500 dollars par semaine. Les formations de retour à l’emploi ont également été intensifiées. Parmi le quart de la centaine de promesses qui ont vu le jour, il y en a une qui a particulièrement ravi les syndicats : l’annulation du recul de l’âge de départ à la retraite de 65 à 67 ans à partir de 2023. Le cabinet Trudeau l’a trappée, arguant de son faible impact budgétaire sur les comptes sociaux. Parallèlement, il a également revalorisé le minimum vieillesse.

Antiaustérité.

À la différence d’une Europe moribonde, le Canada jouit d’une croissance prospère (2,1 % en 2017 selon les prévisions de l’OCDE). « Beaucoup de cette croissance est due aux baisses d’impôts », analyse Yves-Thomas Dorval. Mais aussi aux dépenses d’infrastructures. Justin Trudeau a promis d’investir 120 milliards de dollars pendant dix ans. Douze milliards ont déjà servi à la construction de logements sociaux et de transports en commun. Une initiative saluée par le CPQ, alors que le mot « austérité » est sur les lèvres de tous les dirigeants européens.

Le quadra sportif aime médiatiser tout ce qu’il fait. Comme l’accueil des 25 000 réfugiés syriens, l’un de ses premiers coups d’éclat, alors que l’Europe se déchire sur la question. En échange de la fin de la participation de l’armée de l’air aux opérations en Syrie, les efforts en matière de formation auprès des troupes locales ont été multipliés et l’aide humanitaire renforcée. Son image de gentleman cool, il la cultive sur les réseaux, dans les revues people où il aime poser en famille dans une apparente simplicité. « Il parle à tout le monde : les familles, les enfants, les autochtones », égrène Jean-Pierre Aubry, ex-économiste à la Banque du Canada.

Et dire qu’il y a encore dix-huit mois Trudeau était donné perdant et perçu dans l’opinion comme le moins qualifié pour succéder au terne et ultraconservateur Stephen Harper. « Il est devenu populaire parce que Stephen Harper était impopulaire », tempère Jean-Pierre Aubry. Mais, au-delà de ses réussites, le chef libéral pratique une langue de bois qui pourrait lasser. Beaucoup ne voient en lui qu’un politicien manipulé par le Parti libéral. « La superficialité de M. Trudeau va de pair avec un réel flair politique, offrir ce que le public aime : une coolitude étudiée », a récemment raillé l’ex-ministre québécois Joseph Facal dans le Journal de Montréal.

Le revirement économique pourrait le faire déchanter. « Les déficits sont plus élevés que prévu », pointe Yves-Thomas Dorval. Faire du social a un coût. Y voyant plus de saupoudrage médiatique que de politique volontariste, ses détracteurs attendent les grands projets capables de relancer le Canada et des investissements structurants. En attendant, la population le suit. Tout sourire.

Auteur

  • Ludovic Hirtzmann