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Jean-Pierre Menanteau unifie Humanis

Décodages | publié le : 02.01.2017 | Sabine Germain

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Jean-Pierre Menanteau unifie Humanis

Crédit photo Sabine Germain

Né d’une douzaine de fusions, le groupe Humanis doit inventer sa nouvelle organisation dans un contexte de changement accéléré. Son directeur général s’appuie sur deux leviers : la gestion prévisionnelle des emplois et le dialogue social.

On peut faire remonter la genèse du groupe Humanis aux années 1920 dans les usines textiles du Nord, où la Mutuelle familiale de Lille et environs a vu le jour. Mais sans oublier nombre d’autres histoires ultérieures : la création de l’Association pour la retraite des ingénieurs (Apri) en 1937 ; la naissance de la Caisse d’allocation vieillesse pour les cadres de l’industrie et du commerce en 1944 ; la constitution de la Caisse de retraite des expatriés en 1948 ; la mise en place de la Caisse de retraite interentreprises par Renault, Dassault et Schlumberger en 1956…

Une kyrielle de caisses de retraite et d’institutions de prévoyance locales, professionnelles ou d’entreprises se sont rapprochées au fil des ans pour constituer les groupes Vauban en 1994, Humanis en 1998, Aprionis et Novalis Taitbout en 2009. Ces groupes ont eux-mêmes fusionné en 2012 sous le nom de groupe Humanis. Et voilà qu’en quinze ans à peine une douzaine de grosses PME se sont fondues au sein d’un ensemble de 6 400 salariés, devenu le troisième groupe paritaire de protection sociale (après AG2R La Mondiale et Malakoff Médéric).

Mal engagée, cette fusion accouche de 169 millions d’euros de pertes en 2012. Le groupe recherche alors son supermanager : ce sera Jean-Pierre Menanteau, qui a le mérite d’être passé par l’Essec et l’ENA, l’Inspection des finances et Aviva, la SNCF et Deloitte, le public et le privé, avec une solide expérience dans le domaine de l’assurance et de la protection sociale. Sa mission : unifier le groupe tout en respectant sa culture paritaire – traduction : plan social interdit – et en l’adaptant aux mutations profondes que vit l’univers de la protection sociale.

Industrialiser les métiers

L’Agirc-Arrco l’a baptisé « usine retraite » : le programme de convergence informatique entre les différents acteurs de la retraite complémentaire traduit bien le processus d’industrialisation à l’œuvre dans le monde de la protection sociale. Entre automatisation des process et massification de la gestion, les organisations ont profondément changé. Les métiers aussi.

Prenons le cas des liquidateurs, ces juristes chargés de retracer la carrière des assurés, de calculer leurs droits à la retraite et d’en déclencher le paiement : ce fut longtemps l’aristocratie de la profession. Zinab Makhzan parle de son rôle avec gourmandise : « Pour quelqu’un qui aime décortiquer, les carrières complexes sont les meilleures ! » savoure cette liquidatrice de 34 ans qui a intégré l’usine retraite d’Humanis à Val-de-Fontenay (Val-de-Marne) en 2012. En quatre ans, elle a vu son métier profondément changer avec la mise en œuvre de deux applications informatiques : un outil d’affectation communautaire des dossiers et un automate de paiement. « On a toujours peur que la machine nous remplace », commente Zinab Makhzan. « L’outil d’affectation des dossiers alimente en permanence les corbeilles de travail et nous donne le sentiment qu’on n’en verra jamais la fin », ajoute Cécile Oblin, manager de proximité.

Directrice de la relation clients sur le périmètre retraite complémentaire, Isabelle Rault-Diamé ne veut pas sous-estimer l’impact psychologique de l’industrialisation : « Avant, le liquidateur commençait sa journée avec une pile de dossiers à gauche de son bureau ; une fois les dossiers traités, la pile de droite montait et matérialisait, le soir venu, son impression d’avoir bien travaillé. Le travail en flux continu a un côté tonneau des Danaïdes qui peut être déboussolant. Nous devons donc le prendre en charge. »

Ce qui vaut pour la retraite vaut aussi pour les métiers de la santé et de la prévoyance : à l’usine retraite de Val-de-Fontenay (600 salariés) répond l’usine assurance de personnes de Blois (800 personnes) dans le Loir-et-Cher. « L’industrialisation est un changement culturel majeur, estime Ludovic Lézier, DRH d’Humanis. Aussi important que le glissement de la notion d’adhérent à celle de client. » Pas simple dans un univers conscient et fier de sa mission d’intérêt général.

C’est l’autre grand changement auquel les équipes d’Humanis sont confrontées : « Avec l’unification du traitement des retraites complémentaires Agirc-Arrco, notre différenciation n’est plus dans la gestion des dossiers mais dans le service et l’accompagnement des clients », explique Isabelle Rault-Diamé, en insistant sur le fait que les assurés sont plus exigeants : « Ils veulent le même niveau de réactivité qu’avec leur opérateur téléphonique. » Améliorer la satisfaction client dans ce contexte d’industrialisation, c’est l’enjeu du projet Attitude client, qui doit « emporter les 2 000 collaborateurs retraite dans la coconstruction d’une nouvelle interlocution retraite, poursuit Isabelle Rault-Diamé. Nos gestionnaires ont déjà été très bousculés : au lieu de leur montrer ce qu’ils doivent faire, nous avons préféré les écouter pour faire émerger les bonnes pratiques qui seront déployées en 2017 ».

Faire évoluer les compétences

Déjà chamboulée par l’industrialisation des process, l’organisation d’Humanis a dû être entièrement repensée après la fusion de 2012 : une fusion entre trois entités dont les implantations sont complémentaires, avec 2 600 salariés en Ile-de-France, 2 200 en région Centre et 1 100 dans le Nord, les berceaux historiques d’Humanis, Aprionis et Novalis Taitbout. Malgré tout, les fonctions support se sont retrouvées en sureffectif alors que certaines activités ont eu besoin d’être développées : la fonction réglementaire (audit et contrôle interne, risques, conformité), pour satisfaire aux obligations de la directive européenne Solvabilité 2, ainsi que le marketing, la stratégie et les systèmes d’information.

Comment procéder alors que l’option « plan social » est exclue par la gouvernance paritaire et que le groupe veut recruter 200 personnes par an, notamment des profils « experts » ? La gestion prévisionnelle des emplois et des compétences s’est très vite imposée comme le meilleur levier du changement. Humanis n’a rien inventé : créé en 1996, l’Observatoire de l’évolution des métiers de l’assurance a su préparer la profession à ses enjeux de transformation. Humanis s’est aussi doté de sa propre structure paritaire pour identifier les besoins de compétences, mais aussi les flux de départs : « Le papy-boom nous a bien aidés », admet Ludovic Lézier. À raison de 150 départs à la retraite par an entre 2012 et 2018, le groupe s’est délesté de 900 personnes. Mais les effectifs, stables depuis 2012, ont été préservés. « En 2016, le solde est même positif : nous avons recruté 157 personnes en CDI et intégré une centaine de CDD. » En revanche, il a fallu procéder à des redéploiements internes : 1 000 personnes ont été « repositionnées » (passant de la santé à la retraite, par exemple). Et la mobilité géographique a été encouragée. « À Paris, les emplois coûtent plus cher qu’en régions, commente le DRH. Nous voulons donc transférer 400 postes entre 2016 et 2018. » Sur la base du volontariat, avec droit au retour garanti.

Croire au dialogue social

Groupe paritaire, Humanis est dirigé par 30 administrateurs bénévoles issus pour moitié d’organisations patronales (Medef, CGPME et UPA) et pour moitié de syndicats de salariés (CFE-CGC, CFTC, CFDT, CGT-FO, CGT). Son dialogue social en est-il différent ? « Non, répond catégoriquement Jean-Pierre Menanteau. La gouvernance et les instances représentatives du personnel n’ont rien à voir. » Délégué central CGT, Lionel Dammaretz confirme : « La mission des administrateurs est de défendre les intérêts des affiliés. Pas ceux des salariés », explique-t-il, en regrettant que la gouvernance du groupe ne comprenne pas au moins un administrateur salarié. « Agrica et AG2R La Mondiale l’ont fait, avance-t-il. Nous le réclamons chez Humanis, mais sans succès. »

Cela n’empêche pas Ludovic Lézier de trouver la coopération avec la direction particulièrement riche : « Si les groupes paritaires de protection sociale ont su se transformer aussi vite, c’est parce que le corps social a suivi », estime-t-il. À ses yeux, ce dialogue « dense et mature est un levier de transformation ». Indices de cette richesse : un taux de participation très élevé aux élections professionnelles (autour de 80 %), 14 accords d’entreprise signés en 2015, un comité d’entreprise groupe et 17 CHSCT très actifs. « Les instances représentatives du personnel ont le même niveau d’information que les administrateurs, explique le DRH. Pour moi, c’est la condition première d’un dialogue mature. »

C’est ainsi qu’Humanis a réussi à faire passer, en contrepartie de la préservation de l’emploi, un gel complet des salaires pendant deux ans et demi. En juillet dernier, les syndicats ont décroché un petit 0,5 % d’augmentation : « Nous avons maintenu une intersyndicale forte », explique Lionel Dammaretz, qui espère obtenir un vrai déblocage en 2017. « La direction s’est engagée à accorder une augmentation générale, poursuit-il. Mais de combien ? Mystère… Il est pourtant clair que le gel complet n’est plus tenable. »

De fait, des grognements se font entendre, y compris chez les moins revendicatifs. Quant aux managers, ils commencent à avoir du mal à se passer de ce levier de motivation : « Nous devons embarquer nos équipes sur des projets qui débouchent vers d’autres formes de reconnaissance », admet Isabelle Rault-Diamé. Notamment la qualité de vie au travail : un accord temps de travail a fait sauter les plages horaires fixes pour les salariés qui doivent badger et le télétravail est en cours d’expérimentation. Cela suffira-t-il ? Pas sûr… L’engagement de maintien des effectifs n’est pas vécu partout de la même façon : « Les salariés franciliens ont beau entendre que le groupe embauche, ils voient leurs bureaux se vider au fil des départs en retraite car les recrutements se font surtout en régions », observe Cécile Oblin. Et l’impact psychologique pourrait être bien plus fulgurant que le blocage salarial…

En chiffres

10 MILLIONS DE PERSONNES protégées.

6 500 SALARIÉS sur plus de 50 sites.

74 % de femmes

43 ans d'âge moyen.

Source : Humanis.

Auteur

  • Sabine Germain