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Un droit du travail inadapté à la petite entreprise

Idées | Juridique | publié le : 05.12.2016 | Pascal Lokiec

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Un droit du travail inadapté à la petite entreprise

Crédit photo Pascal Lokiec

De même que le manutentionnaire embauché au Smic ne peut être traité comme le cadre dirigeant pour lequel, par exemple, l’essentiel des règles sur le temps de travail est peu adapté, la petite entreprise ne peut être régie à l’identique de la multinationale. Parmi les questions que pose le traitement des petites entreprises en droit du travail, trois méritent une attention particulière.

La question des seuils

Pour définir, mais aussi protéger la petite entreprise, le droit utilise la technique dite des « seuils ». Une technique au cœur des débats depuis qu’en mai 2014 le ministre du Travail de l’époque, réagissant à une étude de l’Insee selon laquelle il existait 2,5 fois plus d’entreprises de 49 que de 50 salariés, avait envisagé la suspension des seuils sociaux, accusés d’être un frein à l’agrandissement des petites entreprises. Le débat n’est pas clos puisque le Sénat a relevé, lors du passage devant lui du projet de loi travail, les seuils de mise en place des délégués du personnel (de 11 à 20), du comité d’entreprise et du CHSCT (de 50 à 100) avant que les députés ne reviennent sur ces amendements !

Qu’il s’agisse de suspendre ou de relever les seuils, la technique est discutable, d’une part parce qu’elle ne fait que déplacer le problème, d’autre part parce que le lien entre seuils sociaux et emploi revient in fine à concevoir l’ensemble des règles sociales comme des contraintes qu’il convient de lever pour libérer l’embauche.

La question des seuils n’en est pas moins à prendre au sérieux, avec au moins deux enjeux majeurs. Le choix du seuil, tout d’abord. Même si ce choix comporte une part irréductible d’arbitraire (pourquoi 50 et pas 51 ?), le seuil doit être pertinent au regard de la règle à appliquer. Avec la financiarisation de l’économie, la définition des seuils en termes d’effectifs de salariés va poser de plus en plus problème, alors qu’une start-up de huit salariés peut être autrement plus puissante financièrement qu’une entreprise industrielle comportant le double de salariés.

De ce point de vue, prévoir comme le fait le nouvel article L. 1233-3 du Code du travail que la première de ces entreprises pourra licencier sur la base d’une baisse de commandes ou de chiffre d’affaires d’un trimestre alors qu’il en faudra le double pour la seconde est une hérésie.

Il faudra sans doute, à terme, revoir la conception que le droit du travail se fait de la taille de l’entreprise, avec pour perspective d’intégrer en sus, comme cela se fait aux États-Unis, le chiffre d’affaires et la considération du secteur d’activité.

Autre difficulté, le règlement juridique du franchissement de seuil afin que celui-ci ne soit pas trop brusque pour la petite entreprise (voir à ce sujet le décret n° 2016-1437 du 25 octobre 2016 sur le franchissement du seuil de 300 salariés).

Le problème de la régulation

Le choix du mode de régulation juridique est tout aussi déterminant, avec une forte réserve quant à la priorité aujourd’hui accordée à l’accord d’entreprise. Le problème est double pour la petite entreprise.

Il est d’abord celui de la difficulté à trouver les acteurs pour négocier. Deux solutions, toutes deux présentes dans la loi travail, sont envisageables à titre principal. La première, éminemment critiquable, consiste à recourir à la décision unilatérale de l’employeur à défaut d’accord, quitte à ce qu’un décret fixe des règles a minima. La loi travail prévoit, en ce sens, que l’entreprise de moins de 50 salariés peut mettre en place une modulation par décision unilatérale sur neuf semaines, contre quatre semaines pour les autres entreprises.

La seconde voie consiste à favoriser la négociation sans délégués syndicaux, notamment par le recours au mandatement. Bien que préférable à la première, car elle ne substitue pas une logique unilatérale à une logique négociée, cette solution doit toutefois être entourée du maximum de précautions.

Il est ensuite celui du « dumping social » avec le risque, pour la petite entreprise, de se trouver défavorisée. On comprend aisément la réticence affichée par la CGPME vis-à-vis de la promotion de l’accord d’entreprise par la loi travail. Là où la grande entreprise pourra négocier en son sein la flexibilité, la petite sera souvent en peine de le faire, soit faute d’acteurs pour négocier, soit parce qu’elle ne dispose pas de l’effectif suffisant pour mettre en place la flexibilité.

On se rappelle du boulanger des Landes qui fustigeait l’obligation qui lui avait été faite de fermeture hebdomadaire, feignant d’ignorer que les petites boulangeries (la sienne comptait 22 salariés à l’époque) n’ont pas assez de personnel pour tourner sept jours sur sept ! C’est tout l’intérêt pour les petites entreprises de disposer d’un socle suffisamment important de règles communes, par la loi ou la convention de branche !

Simplifier l’accès au droit

Le traitement juridique de la petite entreprise peut poursuivre divers objectifs, dont les deux principaux sont les suivants. Le premier consiste à adopter une politique de faveur, faisant de ces entreprises, en quelque sorte, des « parties faibles ». S’il n’est pas question d’imposer à la TPE la mise en place d’un comité d’entreprise ou d’un CHSCT, une politique de faveur doit être menée avec mesure.

Le spectre d’un sous-droit du travail pour les salariés des petites entreprises n’est pas loin lorsque le salarié d’une entreprise de moins de 11 salariés peut être licencié sur la base d’un trimestre de baisse de commandes !

La seconde voie consiste à simplifier l’accès au droit du travail pour les petites entreprises, dépourvues pour la plupart de ressources juridiques en interne. La question est d’autant plus sérieuse que la complexité du droit du travail pour les patrons de petite entreprise est le terreau de la critique contemporaine du droit du travail comme étant illisible, trop lourd, excessivement compliqué.

Si la loi travail a fait un pas en ce sens avec la constitution d’un service public de l’accès au droit pour les PME, le dispositif a été très mal conçu, faute sans doute d’une analyse approfondie des expériences étrangères, que ce soit la Belgique avec les secrétariats sociaux, ou les États-Unis avec le Small Business Act de 1953.

Précisément, l’adoption d’un véritable small business act à la française aurait sans doute été préférable à une réécriture du Code du travail si l’objectif était de traiter les difficultés des TPE/PME. Car elles dépassent largement les questions de droit du travail, que ce soit l’accès au crédit, aux appels d’offres, etc.

Pascal Lokiec

Professeur à l’université Paris Ouest Nanterre La Défense, où il codirige le master 2 Droit social et relations professionnelles. Il a publié Il faut sauver le droit du travail chez Odile Jacob (février 2015).

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  • Pascal Lokiec