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Repenser la finalité des espaces de travail

Idées | Management | publié le : 05.12.2016 | Emmanuelle Léon

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Repenser la finalité des espaces de travail

Crédit photo Emmanuelle Léon

Le développement des formes de travail flexibles nécessite d’identifier les collectifs clés de l’entreprise.

La réflexion sur les espaces de travail est souvent limitée à une logique de réduction des coûts, notamment dans le secteur tertiaire. Or les technologies permettent aujourd’hui à nombre de travailleurs de s’affranchir d’un lieu de travail fixe. Certains estiment à 1,3 milliard le nombre d’individus conduits à travailler virtuellement d’ici peu(1). Dans ce contexte, les formes de travail flexibles, telles que le coworking ou le télétravail, ont le vent en poupe… au point que certains finissent par s’interroger sur l’utilité même des bureaux traditionnels(2) !

Le travail à distance n’est pas en soi un phénomène nouveau. L’intérêt qu’il suscite aujourd’hui est lié à la conjonction de plusieurs facteurs : les limites des bureaux existants, et notamment des open spaces, l’abstraction croissante du travail réalisé et la disponibilité en tout temps et en tout lieu des technologies de communication. On a longtemps dit que le travail était avant tout une activité, et non un lieu où l’on se rend. Il semblerait que cela devienne réalité. Les atouts du travail à distance sont nombreux : diminution des temps de transport et donc du stress, amélioration de la concentration, meilleur équilibre entre vie privée et vie professionnelle, etc. Le télétravail à domicile commence à se développer en France, notamment chez les cadres.

Le coworking, voie mediane

Cependant, les recherches réalisées(3) rappellent que le télétravail peut également susciter un certain isolement ainsi que des difficultés à segmenter vie privée et vie professionnelle. De ce point de vue, le coworking présente une voie médiane entre l’open space tant décrié et le télétravail à domicile(4). Mais l’ambition de tels espaces est plus large. Elle vise notamment à faciliter les partages d’idées via des rencontres impromptues. Des recherches récentes(5) montrent que les interactions en face-à-face dans et hors de son équipe peuvent avoir un impact positif sur l’augmentation des ventes ou le développement de nouveaux produits. C’est pour cette raison que certaines entreprises se lancent dans des démarches de corporate coworking(6), en essayant de recréer le même esprit collaboratif au sein de leurs espaces de travail. La proximité a donc encore bien des vertus…

Si l’on se place à un niveau plus macro, on peut aussi considérer le coworking comme la suite logique des transformations rencontrées par les entreprises. Ces dernières se sont longtemps vues comme des communautés, au lien social fort, où loyauté rimait avec sécurité. Aujourd’hui, pour reprendre l’expression du sociologue Richard Sennett(7), les entreprises ressemblent moins à des villages qu’à des gares où se croisent les trains. Dans ce contexte, le contrat à durée déterminée n’est plus l’exception et le nombre de travailleurs non salariés va croissant. Les espaces de coworking peuvent être analysés comme la déclinaison physique de ces transformations, offrant aux travailleurs indépendants et aux start-up un lieu de travail fonctionnel, et ce sans devoir assumer les contraintes d’un bail.

Recréer une communauté

En outre, les concepteurs de ces espaces ont su tirer parti des erreurs commises dans les open spaces. Le confort environnemental, la modularité des espaces en fonction des situations de travail, les lieux de détente et de convivialité (cuisine, jeux, repos), l’animation par un spécialiste visent à prémunir l’occupant contre l’isolement social tout en lui procurant des conditions de travail satisfaisantes. Le coworking deviendrait alors un moyen de recréer une communauté en dehors de l’entreprise traditionnelle.

D’autres vont jusqu’à affirmer que de tels espaces répondraient avant tout aux prétendues exigences de la génération Y. Je ne pense pas que la question se pose en ce sens. Il y aura dans le coworking, tout comme dans le télétravail, une segmentation des travailleurs, entre ceux qui auront choisi d’être travailleurs indépendants ou de lancer leur entreprise… et ceux qui n’auront simplement pas eu le choix, et qui se retrouveront payés à la pièce. Comme l’étaient les artisans à une autre époque. Pour conclure, il me semble indispensable de s’interroger sur les objectifs fixés aux espaces de travail, dans l’entreprise et en dehors de cette dernière. Aucune organisation ne peut survivre sans un minimum de lien social. Il s’agit d’identifier les collectifs clés et d’imaginer comment les espaces de travail peuvent faciliter la coopération au sein et entre ces collectifs. Peut-être pourra-t-on alors dépasser la simple préoccupation de réduction des coûts dans l’immobilier.

(1) T. Johns, L. Gratton, « The Third Wave of Virtual Work », Harvard Business Review, vol. 91, n° 1, 2013.

(2) Conférence sur les tiers lieux, atelier BNP Paribas, https://www.youtube.com/watch?v=0rDy6y5wzeE.

(3) R. S. Gajendran, D. A. Harrison, « The good, the bad and the unknown about telecommuting : meta-analysis of psychological mediators and individual consequences », Journal of Applied Psychology, vol. 92, n° 6, 2007 ; N. B. Kurland, D. E. Bailey, « Telework : the advantages and challenges of working here, there, anywhere, and anytime », Organizational Dynamics, vol. 28, n° 2, 1999.

(4) E. Léon., G. Mathias, « Vers le futur des espaces de travail ? Le coworking, une réponse spatiale entre management et droit », congrès de l’AGRH, Strasbourg, 2016.

(5) B. Waber, J. Magnolfi, G. Lindsay, « Workspaces that move people », Harvard Business Review, 2014.

(6) B. Bréchignac, « Corporate coworking : quelles réalités derrière le coworking en entreprise ? », étude exploratoire européenne HR & D, 2015.

(7) R. Sennett, la Culture du nouveau capitalisme, Albin Michel, Paris, 2006.

Auteur

  • Emmanuelle Léon