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Les surdoués, grands incompris de l’entreprise

Décodages | publié le : 05.12.2016 | Rozenn le Saint

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Les surdoués, grands incompris de l’entreprise

Crédit photo Rozenn le Saint

De 2 à 5 % de la population obtiendrait plus de 120 aux tests de QI, quand la moyenne oscille entre 90 et 100. De hauts potentiels intellectuels dont les entreprises ne profitent guère, tant il est difficile pour eux de s’y épanouir. Et les RH y sont peu sensibilisées.

Ils passent souvent pour les extraterrestres de l’open space. Leur bouillonnement d’idées et leur remise en cause permanente des process suscitent couramment l’incompréhension des managers et des collègues. Et leur CV n’aide pas à les identifier. Au contraire, presque : « Malgré l’absence de chiffres précis, on peut estimer qu’un tiers d’entre eux a même vécu une scolarité calamiteuse, tant les codes de l’école ne leur convenaient pas », estime Cécile Bost, auteure de Surdoués : s’intégrer et s’épanouir dans le monde du travail (éd. Vuibert, 2016), qui s’est elle-même découvert un haut potentiel intellectuel sur le tard.

Pour cela, il faut accepter de passer par la case psychologue : des spécialistes prévoient un accompagnement avant et après les tests de QI. Rien à voir avec les QCM proposés à la télé ou sur Internet, censés révéler le quotient intellectuel. Cela nécessite l’analyse d’un professionnel. Un suivi qui coûte entre 150 et 500 euros. De fait, la plupart des surdoués ignorent qu’ils le sont. Pourtant, ils seraient plus de 500 000 sur le marché du travail français, souvent perdus. Attention aussi à ne pas confondre l’expression haut potentiel intellectuel, parfois mieux acceptée par les surdoués pour se qualifier, avec celle de hauts potentiels tout court, repérés par les directions des ressources humaines dans les grandes entreprises pour devenir de bons soldats voués à gravir les échelons.

Laurence Marsaudon a découvert son surdon après avoir fait passer les tests à son enfant. Elle préfère se qualifier de « précoce », du haut de ses 41 ans. Comme beaucoup, dans un premier temps, elle n’y croyait pas tant elle avait l’impression, au contraire, d’être « inadaptée au système ». Incomprise dans le monde industriel sauf dans les premières années, quand elle était managée par des personnes qu’elle qualifie a posteriori de hauts potentiels intellectuels également. « Ils me faisaient confiance, étaient bienveillants, reconnaissants, j’avais le droit d’annoncer mes désaccords », se souvient-elle. Ces derniers temps, au contraire, elle a connu des mises au placard à répétition. Alors, après les tests de QI, elle a réalisé un bilan de compétences. Et a décidé de devenir elle-même consultante RH sur cette thématique, « pour aider les jeunes à trouver leur place dans le monde professionnel, leur bonne orientation ».

Syndrome de l’imposteur.

Esther Loubradou Greverie a aussi appris qu’elle était surdouée en faisant passer des tests à ses enfants et en se reconnaissant parfaitement dans la description qui en ressortait. Allergiques aux injustices, ces personnes hors norme ont souvent le sentiment de ne pas être à leur place et réfléchissent vite, très vite, tout le temps. Et, surtout, différemment. Ils raisonnent en arborescence : lors d’un brainstorming, pour une personne classique, un mot fera tilt. Dans le cerveau de ces petits génies, c’est un système d’alarme en cascade qui se déclenche. L’idée se décompose encore et encore. Les surdoués ressentent le besoin de creuser chaque piste pour s’assurer d’avoir exploré toutes les possibilités et fait le tour du sujet. Ainsi, ils sont en mesure de choisir la solution optimale.

La trentenaire a laissé tomber une carrière lucrative amorcée aux États-Unis dans la publicité « à l’encontre de [ses] valeurs » pour enseigner aux enfants surdoués à canaliser leurs pensées et à s’épanouir, notamment via le yoga. Son mari en est également. Lui travaille dans la logistique, change de poste tous les deux ans par ennui. Car il fait le tour du poste rapidement et a tout aussi vite le sentiment d’être payé à ne rien faire : le syndrome de l’imposteur, classique pour cette catégorie de salariés.

Pour Soledad Granger, apprendre sa « surdouance » au hasard d’une lecture conseillée de la psychologue de référence en la matière, Jeanne Siaud-Facchin, a été comme une deuxième naissance. À 42 ans. Auparavant, elle avait l’impression « d’avoir un poison qui coule dans [ses] veines », tant elle ne se comprenait pas. Fini, les quinze années à se faire marcher sur les pieds dans les ateliers de tapisserie d’ameublement, à subir la jalousie des autres ouvriers, au point qu’on lui démonte sa machine… « On fait souvent la réflexion aux hauts potentiels intellectuels qu’ils vont trop vite. Les collègues se sentent obligés d’accélérer la cadence, relève Stéphanie Aubertin, psychologue spécialiste des surdoués. Par ailleurs, ils ont énormément besoin d’échanger et d’intellectualiser, cela peut agacer. »

Travail indépendant.

Face à cela, Soledad Granger a su s’armer et se faire aider d’un syndicat pour dénoncer les multiples heures supplémentaires impayées et le licenciement abusif dont elle semble avoir été victime dans son dernier emploi. La dépression et les mois au RSA sont derrière elle aujourd’hui. « Je suis davantage sereine. Je vais commencer une formation de décoratrice d’intérieur, cela me permettra de montrer de quoi je suis capable et de rencontrer des personnes d’un autre milieu culturel », projette la quadra. Ensuite, elle aimerait faire ses armes en entreprise dans un premier temps. « Puis, à moins que cela se passe très bien, je ne désespère pas, rit-elle, je me mettrai sûrement à mon compte. »

Car beaucoup choisissent de travailler en indépendants, comme Émilie Bonnet qui s’épanouit enfin dans sa vie professionnelle depuis qu’elle est chef d’entreprise dans l’élevage ovin et la commercialisation de ses produits en circuits courts. Elle se comprend mieux et s’organise comme elle l’entend. Après un burn out en novembre 2015 avec l’étincelle des attentats parisiens comme déclencheur, une amie bien au fait des questions liées à la surdouance lui met la puce à l’oreille : son hypersensibilité, son besoin de sauter d’un sujet à l’autre après l’avoir exploré en profondeur, sa fatigue incomprise liée à sa profusion d’idées, son rejet de la hiérarchie… Elle cumule les caractéristiques propres aux hauts potentiels intellectuels.

Alors elle consulte une psychologue spécialisée dans le domaine, passe les tests de QI et découvre sa surdouance. Du coup, elle comprend mieux son refus du cadre imposé quand elle a exercé pendant quatre ans comme éducatrice spécialisée : des chefs, des process lourds, « des collègues autour de la machine à café qui n’ont pas d’idées, procrastinent », de l’impossibilité d’accomplir sa mission à la perfection, par manque de moyens. Elle commence par aider son compagnon, éleveur de brebis, dans sa démarche de commercialisation. Puis elle se met à son compte. Et revit.

Dehors, en plein cœur du parc du Luberon (Vaucluse), un troupeau de brebis Mérinos. Dans la maison, une profusion de Post-it avec des to do lists. Le seul moyen qu’elle ait trouvé d’utiliser à bon escient son abondance d’idées et de s’atteler à accomplir toutes les tâches qui lui viennent en tête. Mais aussi celles sans aucun intérêt intellectuel et néanmoins nécessaires à la survie de son entreprise.

Autodidacte, elle trouve facilement les outils et les personnes ressources pour apprendre son nouveau métier dans la commercialisation des produits agricoles en circuit court. Plutôt que de renouer avec les bancs de l’école qui lui ont tant pesé auparavant, elle opte pour une validation des acquis de l’expérience afin de devenir exploitante agricole et de faire certifier ses compétences dans le domaine commercial et administratif. « J’ai goûté à la joie de m’organiser comme je le souhaite, d’être toujours stimulée intellectuellement, d’établir de nouveaux partenariats qui permettent de travailler d’égal à égal, sans hiérarchie, témoigne la jeune femme de 33 ans. Pour rien au monde je n’intégrerais de nouveau l’entreprise. Cela me coûte trop d’énergie psychique de me conformer à ce que l’on attend de moi. »

Atelier d’insertion.

Rares sont les professionnels des RH à se soucier d’eux. Pourtant, quand on leur en laisse la possibilité, les surdoués sont capables d’évoluer extrêmement vite. Comme cette contractuelle recrutée pour un poste d’assistante paie d’une collectivité locale, propulsée responsable du service en moins de six mois, doublant ses revenus par la même occasion. Sa DRH, mère d’un petit surdoué, a tout de suite cru en son potentiel. En revanche, « j’ai sous-estimé la jalousie que cela a pu susciter dans le service, reconnaît-elle. Il est du rôle du manager d’expliquer qu’utiliser les compétences de chacun au mieux est bénéfique pour le collectif dans sa globalité, même si ce n’est pas évident ».

Difficile de gérer les sensibilités et d’assurer l’épanouissement de chacun dans les équipes. Pour concilier les deux missions, Gaud Le Roux, experte en insertion professionnelle, conseille de « leur confier des projets atypiques, difficilement comparables. Cela limite les commentaires des envieux ». Et permet d’adapter les horaires en laissant aux surdoués une certaine flexibilité tant leur état de fatigue lié à l’effervescence de leurs réflexions peut par moment être handicapant. Il s’agit également de les délester des tâches particulièrement routinières en employant leurs compétences à meilleur escient, en les laissant participer aux réunions d’orientation stratégique de l’entreprise par exemple.

Elle a lancé l’unique atelier existant à ce jour dans l’Hexagone qui vise à faciliter l’intégration des hauts potentiels intellectuels dans le monde du travail, en partenariat avec Mensa, l’association des surdoués. Tous les premiers lundis du mois à Nantes, elle leur livre des astuces pour dépasser les a priori dès l’entretien de recrutement, où cela coince souvent. « On me disait qu’on n’avait pas besoin de gens intelligents comme moi, que j’allais m’ennuyer rapidement », se souvient Yves Martin Laval, qui a monté sa propre structure d’aide à la création d’entreprise après des années de « relations professionnelles assez sordides ». Cécile Bost préconise quant à elle de « les faire accompagner d’un tuteur ou mentor sensibilisé à la question, qui, en les soutenant dans leur singularité, les aiderait à mieux comprendre les codes de ceux qui ne fonctionnent pas comme eux ».

Un réseau social chez Airbus

Le département diversité d’Airbus s’est préoccupé de ses QI élevés quand deux de ses cols blancs, Christian Charlier et Céline Tovar, ont souhaité créer « My Gifted Network », un réseau social interne consacré aux surdoués, en mars dernier. Depuis, 450 hauts potentiels intellectuels ou personnes intéressés par la question y ont adhéré.

Cela a permis à certains de découvrir leur surdouance, à d’autres de la révéler au grand jour. Car, « parfois, il pourrait même sembler plus facile de faire son coming out homosexuel que son coming out surdoué tant on appréhende le regard des autres, qui pourraient prendre cela pour un manque d’humilité », assure Cécile Bost, auteure de Surdoués : s’intégrer et s’épanouir dans le monde du travail (éd. Vuibert, 2016).

Les surdoués d’Airbus y expriment leurs besoins propres à leur fonctionnement : « la nécessité de changer de travail régulièrement, d’avoir accès à des modules de développement personnel, de méditation de pleine conscience appliquée à l’entreprise si besoin, et à un management bienveillant », énumère le cofondateur, qui a découvert sa surdouance il y a un an et demi.

« Plutôt que d’élaborer des programmes très spécifiques qui stigmatiseraient, nous avons souhaité insister sur des démarches inclusives, nécessaires aux surdoués mais également utiles aux autres collaborateurs, comme la formation à la communication non violente », explique Yoann Lacan, responsable diversité. Et, de par l’existence même du réseau, des liens et des tutorats naissent de manière informelle. Le modèle pourrait bien essaimer : des entreprises d’ingénierie ont contacté les initiateurs de cette première en France.

Le réseau de surdoués de l’avionneur pourrait faire école.

Auteur

  • Rozenn le Saint