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Burn out : un check-up pour rebondir

Décodages | publié le : 05.12.2016 | Lucie Tanneau

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Burn out : un check-up pour rebondir

Crédit photo Lucie Tanneau

En Alsace, un centre atypique accueille chaque mois une dizaine de cabossés du monde professionnel, victimes de burn out. Formation, sport, échanges… Une session de trois jours pour faire le point et repartir. Reportage.

« Les sportifs sont entourés pour réussir. Pourquoi pas nous, salariés ou petits patrons ? » C’est à partir de cette idée simple que Jean-Denis Budin a fondé en 2012 le Centre d’entraînement pour les professionnels en transition (Credir), une structure d’aide pour les cabossés du travail. Quand son médecin l’arrête pour burn out quatre ans plus tôt, après la mise en redressement judiciaire de sa société, qu’il doit céder, le chef d’entreprise perd pied. « Je me retrouvais à 45 ans au chômage, avec un cerveau à plat, je ne retenais plus rien. » Ses problèmes durent deux ans. « Le burn out s’apparente à un accident vasculaire cérébral, la régénération cellulaire prend du temps », dit-il. Il parvient néanmoins à donner des cours à l’École de management de Strasbourg. Il retrouve confiance et finit pas soutenir une thèse à l’université Paris-Dauphine sur les trajectoires des chefs d’entreprise en difficulté. Interpellé par des dirigeants qui lui demandent à quoi ce travail va servir, il mûrit l’idée d’un centre pour aider les patrons épuisés.

Il réunit alors coachs sportifs, médecins, avocats, adjudicateurs judiciaires pour les entourer. Comme de vrais sportifs au bout du rouleau. Ils s’installent dans les anciens locaux du lycée japonais d’Alsace, à Kientzheim, propriété du conseil départemental du Haut-Rhin. Six stagiaires participent à la première session, en juin 2013. Séances de sport, entretiens individuels avec les experts du centre, séances collectives sur l’alimentation, le sommeil, les mécanismes du stress… Soit vingt-deux heures de formation et huit heures d’activités (sport et discussion). Le tout facturé 3 900 euros, repas et hébergement compris. Un lourd investissement destiné à leur faire prendre une bouffée d’oxygène.

Déconnexion.

Cent trente chefs d’entreprise, salariés ou demandeurs d’emploi ont déjà participé à ce type de stage. Christelle s’est inscrite en octobre 2016, en cachette de son entourage, après deux ans d’hésitation et « une première expérience de coaching ratée ». Salariée à mi-temps et dirigeante de sa propre société de communication en parallèle, la jeune femme est à bout. Jusqu’à vomir devant le portail de son entreprise face à la pression de son chef. « J’aimerais me consacrer à ma boîte, mais je ne gagne pas assez pour le faire », regrette la quadra.

Sa double vie professionnelle la rend malade. Littéralement. « J’ai perdu des cheveux, j’ai fait une pelade nerveuse », raconte-elle en se touchant le crâne, désormais débarrassée de sa perruque. Elle attend du stage « un coup de baguette magique sur [sa] vie ». En trois jours, rien n’est moins sûr… Car si côtoyer d’autres personnes en difficulté peut l’aider à relativiser, le stage n’est qu’une étape. La plupart ont conscience du problème avant de venir. Mais ce temps de déconnexion peut être le déclic pour repartir du bon pied.

Ce que confirme Jean-Denis Budin : « Ces trois jours sont un check-up. » Les stagiaires font notamment le point avec des parrains « qui viennent du même secteur professionnel qu’eux et ont connu des difficultés analogues », explique le directeur. Ceux-ci ont reçu une formation d’une journée. « Ce qu’ils racontent aux stagiaires peut résonner avec leur vécu, et cette résonance les aider à rebondir », estime Anne Pinchart, consultante indépendante en Belgique et marraine. « Ça m’aurait aidée de connaître le centre à un moment de ma vie », reconnaît-elle.

Feuilles de route.

La méthode a séduit Patrick Muller, médecin généraliste des environs : « Les médicaments sont une béquille mais ne soignent pas. » Il est devenu l’un des experts du centre. « Les personnes croient souvent qu’elles peuvent s’en sortir seules, c’est faux : elles ont besoin qu’on leur dise les choses avec un œil neuf », indique-t-il. À l’issue du stage, les intervenants rédigent pour chaque participant deux « feuilles de route ». La première est médicale. « Souvent, on les envoie chez un médecin. Ils sont tellement accros au travail qu’ils ont oublié de faire attention à leur santé », note le Dr Muller. La seconde est professionnelle, avec des conseils personnalisés. « On peut leur conseiller d’essayer de changer de service au travail, d’engager une thérapie de couple ou de prendre un rendez-vous chez un avocat », détaille Jean-Denis Budin. Ces propositions, les stagiaires devront s’en saisir seuls, de retour chez eux. Un écueil qui devrait être en partie réparé avec l’embauche prochaine d’un salarié chargé d’évaluer si le stage a été efficace. En attendant, difficile d’en connaître les effets à long terme faute de suivi.

Ce court travail au centre a en tout cas aidé Jean-François Nedelec, stagiaire en octobre 2014. Directeur de recherche en neurosciences, il hésitait alors à monter sa société dans l’industrie pharmaceutique. « Je me suis rendu compte que j’étais un bon second, pas un bon patron. » Le stage a été l’occasion d’un bilan, positif. Depuis, Jean-François a été embauché au Credir pour y mener des recherches sur les effets du burn out, afin de renforcer l’expertise de la structure. Il est toujours en quête d’un emploi en complément. Mais insiste sur une légèreté d’esprit retrouvée.

Un sentiment que partage Franck Ecker, gérant d’une entreprise de traiteur : « Je commençais mille choses à la fois, j’étais tout le temps dépassé. » Il a appris à mieux s’organiser, a repris confiance. Des petits pas qui lui permettent d’être plus serein dans le travail. Franck Ecker fréquente à présent le Club Credir une fois par mois, pour suivre une activité sportive, une discussion sur la gestion du stress ou l’organisation du travail. Comme une piqûre de rappel. Un tiers des ex-stagiaires y participe ou sollicite le centre ou les parrains. Un autre tiers donne des nouvelles. Impossible de savoir comment ont évolué les autres. « Nous ne sommes pas une clinique du burn out », insiste le Dr Muller. « Mais tout type de transition demande un surcroît d’énergie. Les gens qui viennent n’en ont plus. Le but de ces trois jours est de leur en redonner, pour qu’ils parviennent à se rééquilibrer. » Trois jours. Une petite étape sur une nouvelle voie.

Une maladie professionnelle

Depuis le décret du 7 juin 2016, les pathologies psychiques peuvent être reconnues comme maladies professionnelles, notamment le burn out. Une décision débattue de longue date que conteste le centre alsacien. Pour Jean-Denis Budin, « le burn out est une maladie globale, la reconnaissance en maladie professionnelle culpabilise l’entreprise mais n’aide pas le salarié ». Pour lui, si le travail est en cause, la majorité des cas est multifactorielle. « Un homme bien dans sa peau supporte mieux la pression qu’un autre, en deuil ou en instance de divorce… » Contre les arrêts de travail souvent mal vécus par les addicts, il milite pour que ces salariés arrêtés puissent « continuer de s’investir dans une activité sociale » ou chez un autre employeur le temps de remonter la pente.

Auteur

  • Lucie Tanneau