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Esprit d’équipe, y es-tu ?

À la une | publié le : 05.12.2016 | Emmanuelle Souffi

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Esprit d’équipe, y es-tu ?

Crédit photo Emmanuelle Souffi

Comment faire travailler ensemble des salariés éparpillés, connectés mais physiquement absents, et plus individualistes ? Un vrai casse-tête pour les directions. Pourtant, la cohésion interne reste primordiale pour la performance.

Juin 2010, Afrique du Sud. Les joueurs de l’équipe de France de foot refusent de s’entraîner et boudent dans leur bus. Paris, juillet 2016, les Bleus accèdent à la finale de l’Euro de foot. Deux événements, deux images qui montrent que l’esprit d’équipe mène à la réussite et son absence à la bérézina. Et du team spirit, comme disent les Anglais, il en faut pour mettre de l’huile dans les crampons, adoucir les conflits, souder le collectif, faire face à l’adversité. Les entreprises aiment les métaphores sportives pour évoquer les problèmes managériaux. En séminaire, elles boivent les paroles de Claude Onesta, manager général des handballeurs français, ou de Bernard Laporte, ex-sélectionneur du XV de France. Leurs conseils pour créer de la cohésion interne font mouche. Leurs agendas sont remplis de ces séances de team building destinées à rassurer des directions perdues face à l’éclatement des collectifs de travail.

Comment créer un esprit d’équipe, un vrai, malgré le côté un peu daté de l’expression ? Celui qui permettra de soulever des montagnes et… de faire décoller le chiffre d’affaires. Les stages de formation affichent complet. Pas une annonce, un rapport annuel, une plaquette d’entreprise qui ne le mettent en avant. L’expression a beau fleurer bon les années 1980, elle reste toujours aussi actuelle. « C’est logique, tranche Maurice Thévenet, professeur à l’Essec. Dans n’importe quelle organisation, on travaille “avec”, c’est toujours une affaire de collaboration. Comme l’anglais, l’esprit d’équipe va de soi, d’autant qu’on avoue rarement ne pas en avoir ! » Chez Fraikin, comme ailleurs, pour doper les performances, il faut ce ciment qui soude les salariés entre eux. « Quand on attaque des grands comptes, si tout le monde ne va pas dans le même sens, on rate le contrat faute d’avoir eu ce côté fédérateur », prévient Alain-François Pialat, DRH de ce groupe de location de véhicules utilitaires et industriels pour les professionnels.

Se serrer les coudes.

Seul hic, et non des moindres, l’envie d’avancer et de réussir ensemble n’est pas innée. « Il faut des conditions préalables pour qu’elle se développe, c’est très lié à l’esprit même de l’entreprise », remarque le DRH de Fraikin, qui compte 2 000 salariés. En gros, dans une boîte dominée par l’égoïsme et le repli sur soi, très dur d’imposer une dynamique collective. Plus simple quand le souci d’autrui est un principe fort. En temps de crise, de réorganisation et de restructuration, le collectif incarne même une valeur refuge qui permet de panser les plaies liées à l’excès de pression. Se serrer les coudes face à la tempête, ça porte aussi une équipe. « Car c’est une question de survie, relève Clément Toulemonde, directeur du développement international d’Interactifs, une société de formation. L’esprit d’équipe repose sur le sentiment d’interdépendance : j’ai besoin des autres et les autres ont besoin de moi. »

Air France, Alstom, iTélé… C’est dans l’adversité que le collectif se révèle. Au-delà des syndicats, les salariés savent s’associer pour défendre leurs intérêts et sauver ce qui fait sens dans leur mission. Car l’attachement au travail découle de celui lié à une ambiance, une certaine chaleur humaine. Selon une étude de novembre 2016 produite par l’agence de communication RH 4ventsgroup, le fait de se sentir bien ensemble et porté par les autres apparaît comme le premier facteur d’engagement dans l’entreprise. « Donner le meilleur de moi-même avec le sentiment de vivre dans une équipe où les relations sont de bonne qualité nourrit la motivation », observe Éric Matarasso, directeur des activités de conseil. D’après ce sondage réalisé auprès de 1 236 salariés, 80 % trouvent que l’entente avec leurs collègues est excellente et 44 % estiment qu’elle est meilleure qu’ailleurs. En clair, l’enfer, c’est les autres… Compliqué quand on doit passer en mode projet, pour avancer avec d’autres équipes. Cet attachement à la proximité montre bien que le « travailler ensemble » ne se fait pas naturellement. Et qu’il doit être encouragé au lieu d’être décrété. Aujourd’hui encore plus qu’hier.

Car l’esprit d’équipe est percuté par des vents contraires. « On le menace et on le facilite en même temps », souligne d’ailleurs José-Maria Aulotte, ancien DRH d’Arc International et consultant RH. Trois forces le contrarient. D’abord, l’éclatement des collectifs de travail. Le bureau peut être à la maison, dans un espace de coworking, à la cafétéria, dans un centre de télétravail… Partout et nulle part en même temps, et souvent à bonne distance du manager. « Avant, l’équipe était liée au présentiel. Désormais, elle peut être composée de gens qui ne sont pas physiquement rassemblés dans un même lieu », note Maurice Thévenet.

Chez Glory Global Solutions, leader mondial de technologies et solutions en cash management, la moitié du personnel est itinérante. « C’est un challenge ici pour faire vivre au quotidien l’esprit d’équipe ! » reconnaît la responsable RH, Roseline Laurent. Les réunions sont un vrai casse-tête désormais. Déjà, il faut trouver une date qui convienne à tous, quitte à s’en remettre au sacro-saint Doodle – agenda en ligne et partagé. Ensuite, rien ne permet d’éviter les chaises vides. « La réunion du lundi matin pouvait être un moment de retrouvailles. Aujourd’hui, un manager se bat pour avoir tout le monde ! » sourit José-Maria Aulotte.

Statuts differents.

Deuxième obstacle, les collègues d’un jour ne sont pas les collègues de toujours. Les équipes se forment et se déforment au gré des projets, et sont à géométrie variable. « Traditionnellement, on appartenait à un service, un département. Désormais, je peux être sur plusieurs à la fois, observe Maurice Thévenet. L’équipe était durable, elle devient temporaire. » Comme le souligne Denis Pennel (voir encadré ci-contre), ses membres dépendent d’entreprises et de statuts différents (CDD, intérim, contrat de professionnalisation…).

Les Renault côtoient ainsi les salariés des prestataires qui n’ont pas les mêmes droits et avantages qu’eux. Lesquels entrent en concurrence avec des intérimaires. L’esprit de cohésion et de solidarité ne coule alors pas du tout de source… « La capacité à mobiliser ne se trouve plus à l’intérieur des frontières des entreprises, mais autour d’un objectif, conclut l’ancien DRH d’Arc International. Et finalement, cela correspond bien aux aspirations des jeunes générations qui n’ont pas cet esprit de corps. » En somme, un collectif par à-coups en lieu et place d’une grande famille à horizon lointain.

Troisième vent contraire : l’individualisation et la digitalisation des relations. Pour se parler ou se voir, plus besoin de traverser le couloir. Il suffit d’ouvrir Skype Meetings. Ou de se connecter à Yammer, un réseau social d’entreprise. « Nous évoluons dans un monde où la culture du selfie et des réseaux sociaux prédomine, ça complique notre métier, regrette le DRH de Fraikin. Pour construire un esprit d’équipe, il faut adhérer au projet de l’entreprise. Le grand défi des années à venir va être de construire des équipes stables pour se projeter sur le long terme. »

Pas simple. Comme dans une famille, on ne choisit pas ses collègues. À la différence de ses amis sur Facebook. Dans les entreprises aussi les réseaux d’échange gagnent du terrain et permettent de tisser des liens avec les autres, de s’extraire de sa « famille naturelle ». Grâce au numérique, en plus d’être des chefs motivants au bureau, les managers se transforment en animateurs de communautés (voir page 24). Mais les outils ne peuvent pas tout faire. Le virtuel ne remplacera jamais le réel, et un hologramme une tape amicale sur l’épaule.

La plupart des entreprises qui doivent gérer des équipes éparpillées cherchent aussi à maintenir coûte que coûte la convivialité. Elles ont souvent recours au team building (voir page 22). Une solution possible à condition d’éviter le trop farfelu et de ne pas en faire un outil d’évaluation. Glory Global Solutions, qui compte 9 000 salariés dans le monde dont 215 en France, décline un programme de reconnaissance au sein de ses filiales. Chaque trimestre, cinq ou six collaborateurs méritants sont mis en lumière dans le journal interne et reçoivent des primes de 200 à 300 euros. L’award « team collaboration » récompense quant à lui une équipe de 10 personnes de différentes fonctions avec une enveloppe de 1 000 euros.

Préparation mentale.

Le sport étant toujours un excellent moyen de fédérer et de pousser au dépassement de soi, cette entreprise d’origine japonaise a financé en 2015 la participation de 20 coureurs à la B2Run, une course interentreprises. Les fonds récoltés ont été reversés à l’Unicef. Une idée suggérée par les salariés. « Le Glory spirit repose sur des valeurs communes, dont l’esprit d’équipe », souligne la RRH, Roseline Laurent. L’année passée, une convention a réuni 150 salariés dans un château pour partager des informations sur la stratégie du groupe. Mais aussi s’affronter durant des olympiades où toutes les fonctions étaient mélangées.

Chez Fraikin, depuis dix ans, un programme de formation avec l’Essec permet à une vingtaine de salariés « à potentiel » de travailler par séquences durant dix mois sur des projets internes en approfondissant leurs connaissances. Elles commencent par suivre pendant trois jours, à Font-Romeu (Pyrénées-Orientales), une préparation mentale. Assuré par l’entraîneur du pilote de rallye Sébastien Ogier, ce stage casse les barrières et soude des individus qui ne se connaissaient pas. Une deuxième session va être ouverte pour les aspirants cadres intermédiaires. « On crée les conditions pour que l’esprit d’équipe se développe. Mais on n’est pas magiciens », reconnaît Alain-François Pialat. Il n’y a pas de Merlin l’Enchanteur dans le monde des DRH.

L’esprit d’équipe est plus difficile à appréhender aujourd’hui

Denis Pennel

Auteur de Travailler pour soi. Quel avenir pour le travail à l’heure de la révolution individualiste ? (éd. Seuil, 2013), Denis Pennel est DG de la World Employment Confederation, qui regroupe les entreprises de travail temporaire.

L’esprit d’équipe est-il une notion qui appartient au passé ?

On a toujours besoin de faire travailler les gens ensemble. Mais aujourd’hui une équipe n’est pas forcément composée de salariés proches physiquement, travaillant dans un même espace ou au sein d’une même entreprise, avec des statuts similaires. CDI, CDD, consultants, stagiaires… Tout se mélange. C’est le concept d’entreprise étendue qui se concentre sur le cœur de son métier et fait appel à des sociétés extérieures pour le reste. Quand vous prenez le train, vous êtes assis à côté de voyageurs qui n’ont pas payé le même tarif, qui ont reçu leur billet par e-mail ou courrier. Le monde de l’entreprise fonctionne à l’identique, il est hétérogène. Ce qui rend cette notion d’esprit d’équipe plus difficile à appréhender aujourd’hui. Travailler sur des projets communs est un moyen de se rapprocher. Puis l’équipe s’éparpille, enchaîne sur une autre mission. Comme un essaim d’abeilles.

Compliqué pour les managers !

On est passé d’un modèle unique, standardisé, des relations à une gestion plus individualisée avec une meilleure prise en compte des spécificités de l’être humain au travail. Cela correspond aussi aux aspirations des jeunes générations. Les niveaux hiérarchiques se sont réduits de 25 % en 20 ans ! L’horizontalité et le collaboratif dominent et sont primordiaux pour développer l’innovation. Avant, l’équipe, c’était mes collègues et mon chef. L’entreprise est sortie de ses murs, l’équipe doit faire de même.

Comment travailler ensemble tout en étant éloignés ?

La notion d’équipe ne passera plus par le présentéisme. Aux États-Unis, des systèmes de vidéoconférence avec des hologrammes se développent. C’est aussi la seule façon pour un chef de projet en perpétuel déplacement de garder le contact avec ses collaborateurs. Pour être au calme, les salariés préfèrent être chez eux plutôt que dans l’open space. Du coup, le bureau retrouve sa vocation de lieu de socialisation : j’y vais pour voir mes collègues, pas forcément pour y être productif.

Propos recueillis par E. S.

Auteur

  • Emmanuelle Souffi