Comme toujours, le fait précède le droit, et cela fait bien longtemps que le numérique a envahi le quotidien des entreprises. Par petites touches, le législateur s’efforce de faire une place à cette réalité dans le Code du travail : la loi du 7 octobre 2016 pour une République numérique fait entrer le développement des compétences numériques dans les axes de formation et d’adaptation des salariés, et la loi travail s’essaie aussi à « construire les bases d’un nouveau modèle social à l’ère numérique ».

Les enjeux de cette transformation sont colossaux. En droit collectif du travail, la mutation s’opère par de nouveaux moyens dont la maîtrise n’est pas simple : vote électronique, intranet d’entreprise, base de données économiques et sociales numériques. Mais c’est surtout dans les relations individuelles que les bouleversements sont considérables. L’accélération et la généralisation du numérique opèrent une transformation profonde des rapports de travail. Les salariés sont invités à travailler en réseau, impliquant tout à la fois un travail plus connecté mais aussi plus isolé. Sur le plan managérial, le numérique s’invite dans le contrôle et multiplie les interlocuteurs au cœur d’un travail en mode « collaboratif ». L’assimilation du numérique s’opère de manière très différente d’un salarié à un autre et il faut autant lutter contre les risques de « fracture numérique » que d’« hyperconnectivité ».

Des risques professionnels de grande ampleur se dessinent auxquels il est difficile sur les plans pratique et juridique de trouver les bonnes parades, qu’il s’agisse de l’intensification de la charge de travail, de la dilution des temps et des lieux de travail ou des dangers tenant au cumul et à la circulation de données personnelles et professionnelles dont la sécurisation est un casse-tête.

Face à ce tourbillon, le législateur ne se risque finalement pas à de grandes initiatives et renvoie pour l’essentiel à la négociation collective le soin de rechercher et tester des solutions. La méthode est à la mode et cohérente avec le projet global de réforme du Code du travail qui s’amorce. Sur cette thématique, on a moins de peine à accepter que la loi s’appuie sur l’expérience du terrain. Comme vient de le faire Orange dans un accord novateur signé le 27 septembre. Pour les partenaires sociaux, il s’agit d’un rendez-vous immanquable dans les toutes prochaines années.