logo Info-Social RH
Se connecter
Newsletter

Idées

Faut-il revoir le système de rémunération des apprentis ?

Idées | Débat | publié le : 04.11.2016 |

Image

Faut-il revoir le système de rémunération des apprentis ?

Crédit photo

Non optimale, voire injuste, la grille de salaires des apprentis doit être améliorée. D’autant plus qu’en 2017 les 16-25 ans sans formation ni emploi vont bénéficier de la garantie jeunes. Mais, pour rendre l’apprentissage plus attractif, encore faut-il garantir de bons niveaux de formation.

Jean-Patrick Gille Député PS d’Indre-et-Loire et coauteur de trois rapports sur la formation.

Engager une réflexion sur la grille de rémunération minimale des apprentis est tout à fait nécessaire dans le cadre actuel de relance par le gouvernement de la politique d’apprentissage. Obsolète, cette échelle de rémunération, qui s’appuie sur l’âge et la progression de l’apprenti dans le cycle de formation, désavantage les plus jeunes, payés 25 % du Smic en première année. En janvier 2017, ces salariés en formation toucheront moins que les 16-25 ans en grande précarité, sans emploi ni formation, qui bénéficieront de la garantie jeunes et, à ce titre, d’une aide de 461,72 euros. Comment, dans ce contexte, conserver et développer l’attractivité de l’apprentissage ? Le sujet doit vite être posé dans le cadre du Conseil d’orientation des politiques de jeunesse, qui vient d’être créé et qui permettra d’associer les partenaires sociaux et les organisations de jeunesse à la réflexion.

Autre difficulté posée par l’actuel critère d’âge, celui-ci évacue la question des qualifications professionnelles acquises. Un jeune apprenti de 18 ans depuis plusieurs années dans la même entreprise touche moins qu’un apprenti de 21 ans débutant. Ne vaudrait-il pas mieux moduler la rémunération en fonction du niveau de formation visé ? Cela me semble plus juste. Et cela rendra l’apprentissage plus attractif pour les jeunes qui souhaitent s’engager dans cette voie. De la revalorisation de la rémunération et d’un renforcement de l’accompagnement, on peut espérer, à terme, une hausse du nombre d’apprentis de niveau V, qui plafonne depuis des années, malgré la multiplication des « plans apprentissage ». Évidemment, avant toute modification, une évaluation des conséquences et des effets induits doit être menée. D’abord, pour mesurer l’impact d’une hausse de la rémunération des apprentis sur le contrat de professionnalisation. Ne risque-t-elle pas de vider les lycées professionnels ? Ensuite, pour mesurer le poids d’une telle augmentation pour les employeurs. Cela suppose d’avoir une vision consolidée de toutes les aides et exonérations accordées aux entreprises recrutant des apprentis.

Sakina Ben Khalifa Présidente de l’Association nationale des apprentis de France (Anaf).

Il apparaît tout à fait légitime de proposer une nouvelle grille de salaires pour les jeunes en contrat d’apprentissage. Aujourd’hui, la rémunération des apprentis, si elle tient compte de l’âge et du niveau de formation, n’est pas en capacité de répondre totalement à l’implication du jeune intégré en entreprise. Le système actuel peut en effet paraître « injuste » puisqu’il ne prend pas en compte les qualifications professionnelles. Pourquoi un jeune de 17 ans, en apprentissage depuis deux ans, donc doté d’un certain nombre de qualifications, aurait-il un salaire moins élevé qu’un jeune de 21 ans qui débute une formation dans le même secteur mais a encore tout à apprendre ?

Pour autant, si le système de rémunération est un point non négligeable, il n’est pas le levier principal de réenchantement de l’apprentissage. Aujourd’hui, le taux de ruptures de contrat en France est en moyenne de 25 %. Un apprenti sur quatre se retrouve donc « sur le carreau », sans diplôme et sans cadre. C’est donc d’abord sur ce point, qui n’a rien à voir avec la rétribution du jeune, qu’il faut d’abord travailler. Aujourd’hui, nous avons un système de rémunération prévisible pour l’entreprise. Mais ce qui l’est moins, c’est l’efficacité du jeune en entreprise. Alors même qu’il représente un investissement en temps et en énergie. Rassurons donc les entreprises quant à l’efficacité des jeunes intégrés avant de leur proposer une réforme qui pourrait les apeurer, sachant que nombre d’entre elles sont déjà réticentes à recruter en apprentissage. L’urgence est donc de sécuriser l’avenir des apprentis plus que d’améliorer, de réformer ou d’adapter la grille des salaires. Aujourd’hui, pour un jeune qui choisit une filière en alternance, le salaire est déjà un argument. Mais le futur alternant veut aussi une formation professionnalisante afin d’obtenir un emploi après la fin de son cursus. Garantissons donc à ces jeunes une formation en établissement, en cohérence avec les missions données en entreprise, pour leur permettre d’atteindre leurs objectifs et de devenir attractifs sur le marché du travail.

Pierre-Olivier Ruchenstain Délégué général de l’Ugem (employeurs mutualistes).

Les récentes déclarations de la secrétaire d’État chargée de l’Apprentissage résument tout. Certes, le système actuel est « obsolète » et « injuste ». Dès lors, pourquoi ne pas le réformer ? Mais attention aux effets pervers d’une revalorisation. Personne ne remet en cause aujourd’hui les bénéfices de l’apprentissage. Pour les jeunes, il facilite incontestablement l’intégration dans l’emploi, quand bien même ce n’est pas au sein de l’entreprise qui les a formés. À l’employeur, il offre la possibilité de former un futur salarié aux process, à la culture d’entreprise tout en le testant sur ses capacités.

Comment, alors, rendre l’apprentissage davantage attractif ? Si l’on observe les mécanismes de rémunération des apprentis, on peut effectivement relever une obsolescence des critères. L’âge de 21 ans, ancienne majorité civile jusqu’en 1974, semble être le déterminant, alors même que le législateur a consacré ces dernières années une dérogation pour les mineurs âgés de 15 ans afin qu’ils entrent en apprentissage. Plutôt qu’à l’âge, mieux vaudrait donc s’attacher au niveau de formation, croisé avec un critère de durée d’exécution du contrat.

S’agissant du montant de la rémunération, tel qu’il ressort dans les grilles réglementaires, il semble essentiel de laisser les branches faire avec leurs réalités et leurs priorités. Pour rendre attractif le secteur de la mutualité, les partenaires sociaux ont mis l’accent sur une grille qui, précisément, intègre le niveau de diplôme préparé. Grâce à l’accord de branche du 20 novembre 2015, un étudiant en deuxième année de master recevra 100 % du Smic. À cela s’ajoute, dans un esprit de fidélisation, l’existence d’une prime d’intégration, un an après la transformation en CDI du contrat d’apprentissage. Il est primordial que le législateur continue de laisser aux branches les nécessaires marges de manœuvre. Trop augmenter le minimum réglementaire priverait les partenaires sociaux d’un levier pour agir sur des cibles variables d’un secteur à l’autre. Égalité n’est pas toujours synonyme d’équité ni, en l’occurrence, de pragmatisme.

Ce qu’il faut retenir

// La secrétaire d’État à l’Apprentissage, Clotilde Valter, juge « obsolète » et « injuste » l’échelle de rémunération des apprentis. En septembre 2014, le président Hollande avait déjà demandé aux partenaires sociaux de lancer une concertation pour établir une grille basée sur la qualification. Il les y pousse à nouveau.

// Sauf dispositions contractuelles ou conventionnelles plus favorables, le salaire de l’apprenti dépend de son âge et de sa progression dans la formation. Il s’échelonne de 25 % du Smic (366,65 euros brut en 2016 pour un mineur en première année) à 78 % du Smic (1 143,96 euros brut pour un jeune de plus de 21 ans en troisième année). Effet pervers, les employeurs sont poussés à recruter sur des contrats courts, puisque le coût de l’apprenti s’élève avec la durée de sa formation.

// Le gouvernement Valls a annoncé une augmentation des minima salariaux des apprentis de 16 à 20 ans le 1er janvier 2017. Une hausse financée à 100 % par les pouvoirs publics.

En chiffres

402 900

C’est le nombre d’apprentis à fin 2015 (+ 2,1 %). Cette embellie inverse la tendance à la baisse constatée depuis 2013.

27 % des contrats d’apprentissage commencés en 2011-2012 ont été rompus avant leur terme.

21 % des apprentis abandonnent définitivement ce cursus avant terme.

Sources : Dares, Igas.