logo Info-Social RH
Se connecter
Newsletter

Idées

Droit à la déconnexion : comment faire ?

Idées | Juridique | publié le : 04.11.2016 | Jean-Emmanuel Ray

Image

Droit à la déconnexion : comment faire ?

Crédit photo Jean-Emmanuel Ray

À compter du 1er janvier 2017, sont mises au menu de la négociation annuelle obligatoire « les modalités du plein exercice par le salarié de son droit à la déconnexion, et la mise en place par l’entreprise de dispositifs de régulation de l’utilisation des outils numériques ». Dans quels buts ? Pour « assurer le respect des temps de repos et de congé », mais aussi « de la vie personnelle et familiale », à laquelle la jurisprudence est très, très attachée. À défaut, l’employeur devra élaborer une charte. Plus facile à dire qu’à faire en ces temps de connexions généralisées, sauf pour les Yakas : « Y’a qu’à couper les serveurs le soir après 19 heures et les week-ends ! »

Sauf que dans les entreprises travaillant à l’international, c’est simplement impensable. Et si c’est pour trouver 138 courriels le lundi matin… Ensuite, les jeunes générations nées avec un smartphone devenu leur troisième main vivent connectées, dans un joyeux mélange professionnel-personnel. Pour elles, l’idée de déconnexion obligée relève d’un paternalisme digne de Juridic Park. Et surtout cette réaction centrée sur les conséquences (le harcèlement courriel) passe à côté des causes, et donc de la nécessaire régulation collective des flux d’informations en amont (exemple, les trois mailers compulsifs du service, avec leurs calamiteux « Répondre à tous »), de l’organisation du travail (entre collaborateurs, mais aussi à l’égard des clients), enfin du mauvais exemple de dirigeants souvent accros.

Prendre la mesure exacte des problèmes

Ce sujet d’intérêt commun (risques psychosociaux/perte de productivité), mais que la loi travail risque de judiciariser davantage (heures supplémentaires, nullité du forfait jours…), doit sortir de la seule lutte quantitative antimails hors temps de travail, en y associant les instances représentatives du personnel et la médecine du travail. Mais aussi la direction des systèmes d’information, qui peut proposer des solutions techniques simples et ciblées : soit incitatives (pop-up rappelant qu’au-delà de 20 heures l’envoi d’un courriel peut attendre le lendemain), soit contraignantes (« plages horaires absolument taboues » évoquées par l’accord Audi).

Bilan quantitatif.

Il peut être demandé au DSI un bilan volumétrique régulier des courriels échangés en dehors des horaires de travail ou le week-end. Avec éventuellement repérage des émetteurs compulsifs : 80 % des courriels seraient émis par 20 % des collaborateurs. L’accord Orange du 21 juin 2016 va très loin : selon son article 3.2.2, intitulé « Proposer un bilan individualisé et collectif des usages numériques », l’entreprise s’engage à :

– communiquer chaque année à chaque salarié volontaire un bilan quantitatif individualisé de ses usages numériques : volume de mails, utilisation de la messagerie électronique et du réseau social d’entreprise. Une proposition courageuse, car facilitant la preuve d’une charge de travail excessive lors d’un contentieux ;

– mettre en œuvre, au niveau des équipes ou d’un métier, un bilan quantitatif collectif des usages numériques afin de détecter une surconsommation quotidienne, hebdomadaire ou mensuelle.

Bilan qualitatif.

De quoi faut-il au juste se déconnecter ? Plus seulement des courriels, mais d’un mille-feuille : SMS, messages vocaux, messageries instantanées et, désormais, réseaux sociaux internes, conçus pour tenter d’endiguer les courriels mais se superposant finalement à eux.

Les problèmes étant fort différents d’un métier ou d’un service à l’autre, les solutions top-down générales et impersonnelles sont à éviter. En ces temps 3.0, pourquoi ne pas relancer le droit d’expression directe et collective qui, depuis la loi travail, peut intervenir « au moyen des outils numériques disponibles dans l’entreprise » ? Après une enquête de terrain, un forum sur le réseau social interne abordera les questions d’organisation, de charge de travail, et comment s’en sortir.

Un dispositif spécifique aux forfaits jours est par ailleurs prévu : l’accord collectif autorisant leur conclusion doit « déterminer les modalités selon lesquelles le salarié peut exercer son droit à la déconnexion ». À défaut d’accord, « les modalités d’exercice par le salarié de son droit à la déconnexion sont définies par l’employeur et communiquées par tout moyen aux salariés concernés ». (L. 3121-65-II).

Accord collectif, charte, et/ou règlement intérieur ?

Le 1er janvier prochain, les employeurs soumis à la négociation annuelle obligatoire (en principe au-dessus de 50 salariés) devront donc s’atteler sérieusement à ce chantier. Mais négocier ne veut pas dire signer. À défaut d’accord valide, la loi du 8 août 2016 a tout prévu. En proposant en creux les thèmes que doit aborder un accord collectif minimal.

Après avis du comité d’entreprise, et du CHSCT, l’employeur devra élaborer une charte de bonnes pratiques « prévoyant la mise en œuvre d’actions de formation et de sensibilisation à un usage raisonnable des outils numériques, à destination des salariés et du personnel d’encadrement et de direction ». À commencer par le rôle respectif de chaque outil : par exemple, on ne règle pas un conflit par courriel.

Mais un accord collectif est en principe normatif et opposable en justice, ce qui n’est pas le cas d’une charte. Même si les accords existants font souvent référence à de simples souhaits, et que la loi n’a prévu aucune sanction en l’absence de charte, nos juges n’apprécieront guère cette abstention fautive et n’oublieront pas « le plein exercice du droit à la déconnexion ».

S’agissant de questions de santé, un avenant au règlement intérieur n’est pas exclu, avec sanctions disciplinaires à la clé pour les comportements manifestement contraires aux règles fixées par la charte.

Se déconnecter d’abord… sur le temps et le lieu de travail

La déconnexion le soir ou en vacances ? Bien sûr. Mais la question de la surutilisation des outils est bien plus large, comme le note l’accord Orange. Celui-ci évoque « la gestion connexion/déconnexion pendant le temps de travail ». Il préconise à ses salariés de « prévoir des temps de non-utilisation de la messagerie électronique pendant le temps de travail, notamment les réunions, ou pour faciliter la concentration ». Idem pour la charte Solvay de février 2016 qui invite ses troupes à « se fixer des plages horaires pour répondre, et se déconnecter pour pouvoir consacrer la réflexion nécessaire aux sujets de fond ». Mais au bureau aujourd’hui, un cadre encadrant peut-il vraiment travailler, ou ne fait-il que réagir ?

Jean-Emmanuel Ray

Professeur de droit à l’université Paris I (Sorbonne), où il dirige le master professionnel Développement des ressources humaines, et à Sciences po. Il a publié en septembre 2016 la 25e édition de Droit du travail, droit vivant (éditions Liaisons).

Auteur

  • Jean-Emmanuel Ray