logo Info-Social RH
Se connecter
Newsletter

Décodages

Derrière le coaching, les carences du management

Décodages | publié le : 04.11.2016 | Éric Béal

Image

Derrière le coaching, les carences du management

Crédit photo Éric Béal

Le coaching est à la mode. Nombre d’entreprises y ont recours pour aider leurs managers à se développer… ou à ravaler leur ambition et prendre une autre voie. Un signe, alors, du manque de courage et de savoir-faire managérial des dirigeants.

Pierre n’aura jamais le poste de dirigeant qu’il convoitait. Ce cadre « hors classe » issu de l’ENA semblait pourtant bien parti pour accéder au comité directeur de la grande banque dans laquelle il est entré il y a dix ans. Une fois sa frustration digérée, il a quitté son domaine de prédilection pour un autre poste dans la même entreprise. Sans responsabilités managériales supplémentaires ni augmentation de salaire. Il partage désormais son bureau avec des collègues, tous plus jeunes que lui. Un vrai décrochage dans sa carrière. Pour autant, Pierre présente sa nouvelle situation de façon très positive et attribue cette attitude constructive au coaching dont il a bénéficié pendant plusieurs mois.

Sociologue et professeure à l’université Paris-Est Marne-la-Vallée, Scarlett Salman prend cet exemple pour démontrer l’existence de « la fonction palliative du coaching en entreprise », titre de l’article qu’elle a publié dans Sociologies pratiques en 2008. « Dans ce type de coaching, il s’agit d’aider un manager à faire le deuil d’une carrière de dirigeant et à se « relancer » dans un nouveau domaine, explique-t-elle. Ce renoncement ne va pas sans une déception que le coach essaie d’atténuer ou de faire disparaître. Le coaching remplit ce que j’appelle une fonction « palliative », en référence aux soins palliatifs d’accompagnement des mourants auxquels la métaphore du deuil fait allusion et aux travaux de la psychiatre Elisabeth Kübler-Ross, mobilisés par de nombreux coachs. » L’analyse divise pourtant la communauté. Certains reconnaissent qu’une partie de leurs missions fait écho à cette thèse. D’autres s’indignent que l’on puisse les imaginer se prêter à ce genre d’exercice.

Jean-Luc Baticle, coach depuis dix-sept ans, juge que la sociologue a une vision orientée. Mais reconnaît que certaines de ses missions rentrent bien dans la description. « J’ai souvent affaire à des gens parfaits pour le modèle corporate. Ils appliquent les consignes à la lettre. Mais pour passer à un poste au siège, il faut avoir une stratégie d’intrapreneur, savoir créer et surtout comprendre comment fonctionnent les autres managers. » Et de citer plusieurs exemples de quinquas, managers ou responsables RH, promis à devenir le bras droit du patron ou le DRH groupe et qui ne voient rien venir. « Je les aide à enrichir leur vision stratégique, à repérer les enjeux de pouvoir, poursuit-il. Quant au résultat, il est très variable. Les uns modifient leur comportement pour entrer dans le moule. Certains s’aperçoivent qu’ils ne sont pas faits pour ça et trouvent à relancer leur carrière au sein de l’entreprise. D’autres s’en vont chercher meilleure fortune ailleurs. L’important, c’est qu’ils trouvent leur voie. »

Faire le deuil.

« Environ 20 % des missions dans les banques relèvent effectivement d’un coaching palliatif », admet de son côté Danièle Pettersson, ancienne coach interne au sein d’un groupe bancaire. Exemple le plus significatif ? Celui d’un cadre, compétent, qui attendait un poste depuis deux ans et voit un collègue lui passer devant. « Ma mission officielle était non seulement de l’aider à faire le deuil, mais aussi de lui faire accepter l’idée de travailler avec son rival. Mon objectif personnel, c’était de lui permettre de comprendre pour quelle raison il n’avait pas eu le poste afin qu’il choisisse en toute connaissance de cause entre rester en retrouvant plaisir et motivation ou partir s’exprimer ailleurs. »

Mais cette dichotomie entre le contrat signé avec l’entreprise qui paie et celui passé avec le coaché pose un problème éthique à Éléna Fourès, executive coach internationale depuis trente ans. « Le contrat tripartite inclut l’entreprise, qui doit être respectée au même titre que le coaché », insiste-t-elle. Pas question pour elle d’accepter ce type de mission. « Je ne crois pas au coaching palliatif. Il est impossible de faire avaler à un manager l’idée qu’il va plafonner dans sa carrière. » Auteure d’un Petit Traité des abus ordinaires (Éditions d’Organisation, 2004) qui dénonce les mauvaises utilisations du coaching, elle définit sa fonction comme une démarche de progrès visant à améliorer le rendement et l’efficacité personnelle d’un manager.

Fuir ou rester.

Annie Cottet ne partage pas cet avis. La présidente de la Société française de coaching estime que pour bien travailler, le coach doit oublier les objectifs fixés par l’entreprise. « Nous devons permettre au coaché de comprendre les jeux d’influence internes afin qu’il devienne davantage acteur et qu’il puisse trouver son propre mode d’influence positif. » Ce qu’elle appelle « jouer contre le jeu, pas contre les joueurs ». Quitte à ce que le coaché décide in fine de partir. « Cette décision ne doit pas être une fuite mais un vrai choix. Le coaching est l’inverse du contrôle social dénoncé par Roland Gori, auteur de l’Empire des coachs. Une nouvelle forme de contrôle social. À l’instar de ce psychanalyste, nombre de professionnels des sciences humaines nous accusent d’être des réactionnaires capables de faire rentrer dans le rang les cadres frustrés. Mais nous n’avons pas ce pouvoir », assure-t-elle. Ce n’est d’ailleurs pas forcément ce que l’on demande aux coachs. Directrice du développement des talents du groupe Egis, Sabine Bonnard reconnaît deux utilisations du coaching : celle liée à la prise de poste et celle destinée à améliorer le savoir-faire managérial. Chez Egis, le coach complète souvent le formateur pour développer les soft skills. « Les ingénieurs sont des gens cartésiens. Ils ont besoin de clés pour comprendre ce qui se joue dans un collectif et appréhender les comportements différents. Un coach est plus efficace qu’un formateur pour cette prise de conscience », assure-t-elle. Même son de cloche chez AccorHotels, où Valérie Brignone, la senior vice-president learning & development, propose du coaching de développement. « C’est un travail sur soi qui permet de développer son savoir-faire de leader plus rapidement que la formation.

Le temps passé avec un coach est aussi une respiration pour le coaché. Elle lui permet de réfléchir aux problèmes du moment sous un regard neutre, voire décalé », estime-t-elle.

Coach indépendante, Catherine Blondel assure pour sa part que la grande majorité des missions qui lui sont confiées relève du coaching de prise de poste. « En ce moment, il y a une tendance à demander un coaching après une promotion. C’est un peu considéré comme la marque d’un statut supérieur, au même titre que la voiture de fonction. À partir d’un certain niveau, les gens coûtent cher et les entreprises se prêtent au jeu pour sécuriser leur recrutement. »

Pour la direction d’une grande entreprise, le budget d’un coaching est certes dérisoire par rapport aux coûts liés à un mauvais choix sur un poste managérial. Fabienne Pécheul, la DRH du groupe Terreal, confirme. « Je propose toujours un coaching après une promotion, lorsque le manager est appelé à diriger ses anciens collègues. Il s’agit de faciliter le passage des quatre-vingt-dix premiers jours après la prise de poste », affirme-t-elle. Et d’ajouter que les people reviews et plans de succession doivent être communiqués avec parcimonie. « Les viviers officiels de talents créent toujours des attentes qu’il est difficile de satisfaire, car les places dans le haut de la hiérarchie sont comptées. Immanquablement, cela engendre des frustrations et du ressentiment qu’il faut alors gérer directement ou à l’aide d’un coach. »

Missions d’assistanat.

Et c’est là que le bât blesse. Les managers ne sont pas toujours capables d’expliquer à un collaborateur qu’il n’aura pas le poste qu’il convoite. « On instrumentalise le coach pour faire passer des difficultés managériales, regrette Isabelle André, coach au sein du cabinet Oasys. Si, le plus souvent, on nous demande d’accompagner le développement de la personne, certaines missions consistent à soutenir des personnes en souffrance. C’est de l’assistanat social. » Certains dirigeants et cadres n’ont guère d’appétence pour le relationnel et le management des collaborateurs. D’autres prennent le poste pour faire carrière mais ne s’intéressent pas aux équipes. Lorsque celles-ci dépérissent, on demande aux coachs de se substituer à ces encadrants sans capacité managériale. « Un coach ne devrait pas accepter ce type de mission. Il n’est pas dans son rôle de se substituer au manager », estime la consultante.

Ancienne responsable du coaching à la SNCF, aujourd’hui coach externe, Annick Richet a également pu observer la montée de ces missions dont l’objectif consiste à pallier le manque de savoir-faire ou de courage des managers. « C’est particulièrement vrai dans les entreprises dont la culture est dirigiste et sans réflexion sur l’éthique managériale. Là, le coaching semble le dernier outil à la mode pour régler les problèmes de gestion RH. Mais il serait faux de prétendre qu’il s’agit de la majorité des missions. En outre, un bon coach apporte un questionnement, pas une méthode. C’est au coaché de trouver les réponses les plus justes par rapport à sa situation personnelle dans le contexte. »

Scarlett Salman veut bien reconnaître que la fonction palliative ne recouvre pas la totalité des missions de cette profession. « Le coaching porte aussi sur la question du travail, de sa temporalité et de son organisation. Ainsi que des relations au travail », note-t-elle. Pour la sociologue, le coach est néanmoins un instrument qui a pour effet de reporter la responsabilité de l’organisation sur l’individu. « Le recours au coaching révèle une mise en mots du travail sous un angle psychologiste, affirme-t-elle. L’entreprise incite les cadres à développer leur autocontrôle pour dépasser les épreuves professionnelles, au lieu d’aménager l’organisation du travail. En tenant le discours du bien-être lié au savoir-être, l’entreprise s’autorise à ne pas changer le travail. »

Vincent de Gaulejac Sociologue clinicien
“Le coach favorise la psychologisation du travail”

Comment voyez-vous le rôle des coachs en entreprise ?

Ils sont en première ligne. Ils doivent aider les salariés à s’adapter aux exigences de l’organisation, sans tomber malade. Et les cadres supérieurs à évacuer les problèmes humains pour favoriser le rendement. Par son action, le coach risque de favoriser une psychologisation du travail, alors que les causes du mal-être et de la perte de sens sont d’origine organisationnelle.

Le coach est-il au service de l’entreprise ou des salariés ?

Il nage dans la contradiction car il est payé par l’entreprise, mais sa formation lui permet de comprendre les contradictions dans lesquelles se débattent les salariés. Le coach doit répondre à la question de savoir si son rôle est d’aider le cadre à connaître son environnement stratégique ou à comprendre le fonctionnement de son groupe de travail. Ou bien s’il doit lui permettre de développer une compréhension critique du fonctionnement du système pour qu’il puisse retrouver une certaine liberté.

Que nous dit ce recours massif au coaching des évolutions récentes du travail ?

Les salariés sont sommés de s’adapter aux exigences de rendement du capitalisme financier. L’organisation du travail qui en découle multiplie tensions et injonctions paradoxales. Comme « Il faut faire plus avec moins » ou « Ici, il n’y a pas de problèmes, il n’y a que des solutions ». L’entreprise exige une mobilisation psychique de tous les instants. C’est ce qui provoque stress, burn out et suicides sur le lieu de travail.

Ces constats ressortent-ils d’une approche en termes de sociologie clinique ?

Oui. La sociologie clinique a pour objet d’analyser les faits sociaux en prenant en compte ce que disent les acteurs sur leur vécu. Elle articule la compréhension des déterminismes sociaux et de ceux de nature psychique. Pour comprendre les problèmes de burn out ou de stress, il faut intégrer l’investissement subjectif et la mobilisation des désirs personnels de chacun.

Propos recueillis par Éric Béal

Auteur

  • Éric Béal