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Idées

Quand la question sociale n’est plus qu’un lointain décor

Idées | Culture | publié le : 04.10.2016 | A. F.

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Quand la question sociale n’est plus qu’un lointain décor

Crédit photo A. F.

Le monde du travail est aux abonnés absents parmi les 560 romans livrés.

Inutile de chercher : la rentrée littéraire 2016 ne livrera pas le grand opus sur le monde du travail qu’on attendait. Plus que jamais, celui-ci est relégué au rôle de simple décor à l’écriture. Le drolatique premier roman de Stéphane Benhamou (La rentrée n’aura pas lieu, éd. Don Quichotte) donne le ton, en racontant une désertion quasi généralisée. Des autoroutes et aéroports vides : voilà que les 11 millions d’aoûtiens ont décidé de ne pas regagner leur maison ni leur travail. Un mouvement collectif, non concerté, qui ne porte aucune autre revendication que… le besoin de repos et de tranquillité ! Ni d’autre explication qu’un ras-le-bol généralisé face au stress, au terrorisme. C’est ce que découvre, dans cette satire sur le triste état moral des Français, Michel, le fonctionnaire chargé de négocier avec les « grévistes » en tongs.

Le temps de la révolution, comme moyen de transformation radicale de la situation sociale, est révolu, à lire Chloé Thomas (Nos lieux communs, éd. Gallimard), qui se saisit du sujet du refus de l’héritage politique. Dans son premier roman, littéraire et ardu, la normalienne confronte deux générations que tout oppose. D’un côté, Marie et Bernard, jeunes lettrés petits-bourgeois et militants communistes partis « s’établir » en usine dans les années 1970 pour s’approcher de la condition ouvrière. De l’autre, leur fils Pierre et sa compagne Jeanne, nullement effrayés par le conformisme et une vie bien rangée.

Même l’intrusion du fantastique ne bouscule pas fondamentalement l’ordre des choses, suggère la fable de Guillaume Prévost (Merci pour ce roman, éd. François Bourin). Pour une raison inexpliquée, le président Hollande se retrouve dans la peau d’un cégétiste licencié du nucléaire. Un châtiment « pour subir ce qu’il avait fait subir à ceux qu’il gouvernait. Le chômage, le déclassement », suppute le président déchu. Peut-être. Mais le syndicaliste qui a pris sa place sous les ors de l’Élysée n’arrive pas à infléchir la politique du gouvernement. Malgré toute la bonne volonté du monde, on ne s’extrait pas comme ça des chausse-trapes du pouvoir !

Des efforts, Fred, chômeur de 40 ans en fin de droits, n’en tente même plus dans Je vais m’y mettre, de Florent Oiseau (éd. Allary), roman le plus désinvolte de la rentrée. « Le boulot, on raye […]. Ce n’est pas pour moi. Chacun son domaine », pose d’emblée ce procrastinateur-né, dont on va suivre avec stupéfaction la plongée dans l’illégalité.

En cette rentrée littéraire, aucun salarié ne prête ses pensées ni son enveloppe à un personnage principal. Révélateur, les seules figures de « travailleurs » de ce cru 2016 sont les derniers piliers d’une société qui se replie sur elle-même : des fonctionnaires, gardiens de la paix ou gardiens de prison, tous bien mal-en-point, prêts à vaciller. Les flics en tenue du trépidant Police, de Hugo Boris (éd. Grasset), qu’on recommande, sont tenaillés par les doutes quand leurs supérieurs leur demandent de remettre dans l’avion un Tadjik en situation illégale promis à la mort dans son pays. Jusqu’à oser contrevenir aux ordres…

Dans Métamorphose d’un crabe (éd. Le Dilettante), Sylvie Dazy, qui a travaillé à la prison de la Santé comme éducatrice chargée de la réinsertion des prisonniers, raconte la ligne fragile séparant les détenus des matons. Et les difficiles conditions d’emploi de ces fonctionnaires minés par la surpopulation, le climat de violence, l’enfermement. Au point de devenir des zombis. Comme le héros, Christo, un licencié d’anglais débordant initialement d’enthousiasme, qui y perd vite tous ses idéaux. Allez, haut les cœurs !

Auteur

  • A. F.