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Les syndicats eux aussi à la traîne

À la une | publié le : 04.10.2016 | Emmanuelle Souffi

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Les syndicats eux aussi à la traîne

Crédit photo Emmanuelle Souffi

Les organisations syndicales ont tôt fait de prêcher l’égalité professionnelle dans les entreprises. Mais elles ont du mal à lutter contre le fond de sexisme qui perdure en leur sein.

Quand elle a pris des responsabilités dans sa fédération, Marion* savait que ses oreilles allaient siffler. Mais pas à ce point. Le bizutage a commencé très vite. Alors qu’elle voulait prendre la parole en réunion, elle s’entend répondre : « Toi, continue à boire ton biberon de lait ! » La militante a deux handicaps : elle est jeune… et c’est une femme, qui plus est jolie. De quoi nourrir les blagues graveleuses et les sous-entendus. Syndiquée chez FO, elle a remplacé un sexagénaire aux manettes depuis plusieurs décennies. « Ils se demandaient tous ce que j’avais fait pour arriver là, comme si ça n’avait rien à voir avec mes compétences ! s’étrangle-t-elle. Les syndicats critiquent les politiques, mais finalement ils font pareil. »

Pour des organisations censées défendre l’égalité professionnelle et lutter contre les violences faites aux femmes, de tels agissements font tache. Mais si les cordonniers étaient toujours bien chaussés… « Le sexisme existe dans toute la société, il n’y a donc pas de raison qu’il s’arrête aux portes des syndicats », confirme Sophie Binet, secrétaire générale adjointe de la CGT Cadres, chargée du dossier à la confédération. L’admettre est une chose, agir en est une autre. De façon préventive, sans attendre les scandales. Comme celui survenu au sein du comité d’entreprise de la RATP et révélé en 2011 après une série de courriers anonymes envoyés à la direction. Un responsable de l’Unsa, se faisant surnommer « le Roi », y était accusé d’échanger des avancées de carrière contre des faveurs sexuelles.

Pour une affaire qui sort, combien de comportements déplacés passés sous silence ? De même qu’au bureau, celles qui s’engagent dans l’action syndicale doivent souvent affronter des clichés bien ancrés dans la tête des adhérents comme des militants. « Il n’y a pas de hasard. Si la représentation féminine n’est pas au niveau qui devrait être le sien, c’est qu’il y a un fond de sexisme derrière », reconnaît François Hommeril, le nouveau président de la CFE-CGC. Et celui-ci parle en connaissance de cause : la centrale des cadres ne compte aujourd’hui qu’une seule femme secrétaire nationale chargée… du handicap !

Double peine

Pas assez fortes ou combatives, plus intéressées par le social et l’administratif que par la lutte collective… Tous les stéréotypes sont bons pour justifier la mise à l’écart des femmes des postes les plus en vue ou les plus sensibles. Déléguée du personnel ou membre du CHSCT ? Sans problème ! Secrétaire du comité d’entreprise ou déléguée syndicale centrale ? Euh… « Parfois, celles qui viennent au syndicalisme parce que victimes de sexisme au travail se retrouvent confrontées au problème une deuxième fois. C’est la double peine », observe Rachel Silvera, maître de conférences à Paris Ouest Nanterre La Défense.

Codirectrice du réseau Mage (Marché du travail et genre), la chercheuse vient de publier une enquête fouillée sur « les freins et leviers à l’accès et au maintien des femmes aux responsabilités syndicales à la CGT ». Seule centrale à avoir statutairement imposé, depuis 1999, la parité dans sa direction confédérale, la CGT doit toutefois se battre contre un vieux fond de machisme. Lors d’un comité confédéral national qui étudiait les candidatures, un élu a ainsi balancé : « Il faut être femme, immigrée, pour rentrer à la commission exécutive ? » Un raccourci qui en dit long sur la réticence à partager le pouvoir. « De nombreuses dirigeantes parlent de sexisme au sein de la CGT, sous différentes formes. Ce qui pourrait expliquer que certaines aient renoncé à renouveler leur mandat », relève Rachel Silvera.

Les témoignages qu’elle a recueillis sont édifiants. Tel celui de cette jeune femme qui, tout juste élue à la tête de son syndicat, se voit demander comment elle va faire avec ses enfants. Ou celui de cette « petite » qu’on propose de raccompagner le soir après les réunions car, toute seule sur la route, ça pourrait être dangereux… Ou, enfin, celui de cette secrétaire d’union locale qui, parce qu’elle a raté une manif – sur dix-sept – pour emmener son enfant chez le médecin, se le voit reprocher durant des mois alors que d’autres camarades n’en ont suivi que deux.

« Dans les syndicats, c’est comme dans l’entreprise, les hommes nous renvoient tout de suite à notre condition de femme, pas à notre fonction », regrette Pauline *, syndiquée à CGT. Des comportements qui rabaissent, et ramènent les femmes à leur corps. « Paternalisme et condescendance maintiennent une relation inégale, ils instaurent une forme de domination », décrypte Rachel Silvera, par ailleurs auteure d’Un quart en moins. Des femmes se battent pour en finir avec les inégalités de salaires (éditions La Découverte).

Si peu de femmes s’engagent dans les instances syndicales, c’est aussi parce que l’exercice d’un mandat est vécu comme un sacerdoce. « L’organisation du travail syndical est bâtie autour de pratiques excluantes pour les militantes », analyse Rachel Silvera. Les réunions ont lieu tard le soir et les hommes ont tôt fait de signifier aux femmes que leur place est ailleurs. « On se bat pour l’équilibre vie professionnelle-vie privée dans les entreprises, mais on ne se l’applique pas ! » pointe Marion. Les codes restent masculins et la lutte emprunte un langage militaire – des actions « coups de poing », un « bras de fer », etc. – dans lequel les adhérentes ne se reconnaissent pas forcément. Pour celles qui refusent de s’y plier, il n’est pas toujours simple de se faire entendre. « J’appartiens à une nouvelle génération qui conçoit le syndicalisme de façon différente. Moi, je ne gueule pas. Je n’aime pas parler pour ne rien dire. Pour eux, je suis trop lisse, pas assez poing levé », relève la syndicaliste. Une attitude qui déconcerte aussi le camp d’en face. Comme dans cette réunion paritaire où le représentant patronal s’est permis une remarque humiliante : « Enfin, on entend votre voix, vous n’êtes pas simplement là pour faire joli. »

Même si l’omerta reste la règle, les centrales commencent à lancer des plans d’action et des guides pratiques, comme à la CFDT et à la CGT. « On a pris du retard à considérer que c’était un sujet, reconnaît Christophe Dague, secrétaire général de l’Union départementale CFDT de Paris. Il existe une tolérance sur le sexisme, à la différence du racisme. » Lors d’une interview sur le site de la confédération fin 2015, le leader cédétiste Laurent Berger l’a aussi dit haut et fort : « Le sexisme est incompatible avec nos valeurs syndicales. » Des mots qui ont libéré la parole de nombreuses femmes en interne. Un élu a d’ailleurs été démis de son mandat pour avoir tenu des propos intolérables à l’encontre d’une militante.

Formation et colloques

Depuis 2009, la CFDT Paris anime avec l’Association européenne des violences faites aux femmes au travail une journée sur la prévention des violences sexistes et sexuelles au travail. Quelque 2 000 élus ont été formés. Cette expérience devrait être étendue à d’autres territoires. Le 23 novembre, la centrale organisera un colloque sur le sujet. Mais la CFDT, à l’instar des autres syndicats, avance doucement. « Y aller frontalement sur le sexisme en interne n’est pas la bonne solution », estime le leader de la CFDT Paris. Dans le plan d’action mixité, on parle ainsi plus de formation à « la régulation » des propos sexistes que d’interdiction.

Force ouvrière aussi va pianissimo sur le sujet, abordé lors des stages sur l’égalité professionnelle. Preuve que les consciences s’ouvrent, ils sont suivis par autant d’hommes que de femmes. « Les relations se normalisent, le sexisme est davantage d’actualité, il y a une volonté de progresser, assure Anne Baltazar, secrétaire confédérale FO chargée de l’égalité et du handicap. Les femmes parlent plus, il y en a toujours une pour pousser un coup de gueule lors des meetings. »

* Le prénom a été modifié.

Auteur

  • Emmanuelle Souffi