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Faut-il davantage encadrer les plates-formes collaboratives ?

Idées | Débat | publié le : 03.09.2016 |

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Faut-il davantage encadrer les plates-formes collaboratives ?

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La loi travail instaure une responsabilité sociale des plates-formes collaboratives et crée une amorce de statut pour leurs travailleurs. Mais le chapitre d’une pleine sécurisation juridique des acteurs de l’économie collaborative reste à écrire.

David Ménascé Consultant et auteur de la France du Bon Coin.

Les conséquences de l’économie collaborative sur l’évolution du travail suscitent autant d’enthousiasme que de crainte. Si l’essor très rapide des plates-formes numériques (Uber, YoupiJob, Deliveroo, etc.) permet à de nombreuses personnes de trouver de nouvelles opportunités, la logique du travail à la demande – sous forme d’activité et de microentrepreneuriat et non plus d’emploi stable – fait craindre une précarisation du marché du travail et une trop fragile protection sociale de ces prestataires de services.

Les plates-formes sont un bon serviteur tant qu’elles démocratisent l’accès à l’initiative économique. Mais elles pourraient, faute de s’inscrire dans une logique de responsabilité sociale, s’avérer un très mauvais maître.

La difficulté tient au statut hybride des prestataires, juridiquement indépendants mais souvent économiquement dépendants des plates-formes. De nouvelles formes de dialogue collectif et de négociation doivent être inventées, au-delà du lien de subordination juridique entre prestataires et plates-formes.

Aujourd’hui, certaines de ces dernières décident unilatéralement des évolutions du tarif auquel sont soumis les prestataires et fixent seules les conditions de travail. Il est primordial que les prestataires participent collectivement au processus de décision les concernant. Uber a reconnu aux États-Unis un syndicat de chauffeurs pour codéfinir les conditions de travail. Les modèles de franchise pourraient également servir d’inspiration.

Il est nécessaire aussi de mieux sécuriser les parcours professionnels des prestataires. Les plates-formes pourraient financer l’accès à la formation professionnelle et la protection sociale nécessaire à l’activité (mutuelle, assurance professionnelle). L’enjeu dépasse leur responsabilité. Les prestataires vivent dans un monde qui n’a pas été pensé pour eux. À l’image de ce que les entreprises du travail temporaire ont mis en place, les plates-formes pourraient travailler ensemble pour faciliter le quotidien. Il faut surtout que les mentalités évoluent et que la norme publique, fondée presque exclusivement sur le CDI, soit plus en phase avec la pratique sociale.

Nicolas Colin Associé fondateur de The Family et professeur associé à l’université Paris-Dauphine.

La relation entre plates-formes collaboratives et travailleurs indépendants est un sujet d’avenir. Dans un contexte de chômage de masse, les technologies numériques abaissent radicalement les coûts de transaction et font du travail indépendant une option mieux considérée par les travailleurs. Un corollaire est la dépendance de ces travailleurs vis-à-vis des plates-formes qui les rapprochent de leurs clients. Dans cet univers nouveau, il nous faut progresser sur trois fronts en matière de responsabilité sociale.

D’une part, il faut encourager le développement de services pour les travailleurs recourant aux plates-formes, tels l’accès au crédit, la formation, la tenue de la comptabilité, la prise en charge des déclarations aux administrations fiscales et sociales. Les plates-formes hésitent à aller dans cette direction de peur de voir leur relation contractuelle requalifiée en contrat de travail.

Il faut les libérer de cette appréhension afin qu’elles contribuent, dans leur intérêt économique bien compris, à améliorer la condition des travailleurs indépendants.

D’autre part, afin de ne pas accroître pour autant la dépendance économique à l’égard des plates-formes, il faut donner aux travailleurs des armes pour se syndiquer et mieux défendre leurs intérêts. Cela passe par le partage des données d’exploitation (les tarifs, par exemple). Si plusieurs indépendants travaillant avec une même plate-forme mettent leurs données en commun, cela leur permet de mieux défendre leurs intérêts vis-à-vis de la plate-forme, ainsi privée de ce monopole.

Enfin, les entreprises ne peuvent pas tout. Les pouvoirs publics doivent prendre leur part dans la mise en place de nouvelles institutions. Les indépendants verront leur condition s’améliorer – au point de peut-être devenir la classe moyenne de l’économie numérique – si et seulement si des dispositifs d’assurance sociale sont mis en place par les pouvoirs publics. Ils permettront de mieux couvrir les risques qui vont devenir plus critiques dans l’économie numérique : la maladie, la vieillesse, le chômage et l’accès au logement.

Vincent Huguet Cofondateur de Hopwork, plate-forme mettant en relation free-lances et entreprises.

En 2020, au moins 40 % des actifs américains travailleront en tant qu’indépendants, à temps plein ou en complément d’une activité salariée. La « plate-formisation » de nombreux secteurs de l’économie permet une mise en relation plus simple entre offre et demande et pousse les nouvelles générations à faire le choix de l’indépendance.

Il est cependant important de différencier, d’un côté, les professions de type cols bleus (VTC, plombiers, artisans, livreurs à vélo), s’adressant plutôt à des particuliers, et les cols blancs, appelés free-lances (graphistes, développeurs, consultants SEO, community managers). Les plates-formes elles-mêmes ont un fonctionnement souvent très différents. Il y a celles répondant à la demande, très top down, qui définissent le prix du service. Il y a celles de type sharing economy, où se partage un bien (voiture, appartement), le plus souvent entre particuliers. Hopwork propose une voie encore différente, avec une logique bottom up pour des free-lances qui voient la plate-forme comme un agent de talents. Celle-ci leur permet d’avoir accès à de nouveaux clients (y compris des grands comptes), en étant payés 48 heures après la fin de leur mission, en capitalisant sur leur réputation et en étant assurés.

En regroupant des milliers d’indépendants, les plates-formes pourront plus facilement faire entendre la voix de leurs membres. Que demandent-ils ? Plus d’interconnexion et de clarté dans le fonctionnement des organismes de protection sociale (RSI, CPAM) dans un monde où passer de salarié à indépendant et vice versa, voire être les deux en même temps, sera de mise. L’accès au crédit – en particulier immobilier – est l’un de leurs principaux problèmes. Les plates-formes sont des acteurs encore très jeunes d’une société en mutation. L’enjeu est maintenant pour les États de réfléchir à comment favoriser cet essor tout en adaptant leurs institutions à un monde du travail qui va probablement davantage changer dans les dix prochaines années qu’il ne l’a fait dans les quarante dernières.

Ce qu’il faut retenir

// La frontière entre salariat et activité indépendante est floue dans les formes d’emploi liées au numérique. Le nombre de travailleurs indépendants sur le plan juridique mais pas sur celui économique augmente, même si personne ne sait le chiffrer. En mai dernier, l’Urssaf d’Ile-de-France a requalifié en salariés les chauffeurs d’Uber.

// Pascal Terrasse (PS) et le CNN préconisent, dans deux rapports rendus début 2016, de sécuriser le parcours professionnel de ces travailleurs.

// « Nous devons innover, sans pouvoir copier de modèle existant », admettait la ministre du Travail, Myriam El Khomri, en juin dernier.

// La loi travail, adoptée le 21 juillet, impose une prise en charge par les plates-formes de la cotisation accidents du travail ainsi que de la contribution à la formation professionnelle des actifs qu’elles emploient. Ceux-ci vont pouvoir bénéficier de la validation des acquis de l’expérience et du droit de grève. Ils peuvent aussi créer un syndicat.

En chiffres

276

plates-formes collaboratives, dans neuf secteurs d’activité, ont été recensées en 2015 dans l’Hexagone. Pour 70 %, elles y ont leur siège social.

5 %

des Français tirent plus de 50 % de leurs revenus de l’économie collaborative.

Source : rapport du Pôle interministériel de prospective et d’anticipation des mutations économiques, juillet 2015.