Les entrepreneurs sont à la mode, ceux du numérique tout au moins. Cet engouement pour les réussites rapides et les batailles de projets donne une image lyrique, mais aussi trompeuse, de la vie des créateurs d’entreprise. Beaucoup en bavent, et lorsque l’échec se présente, comme cela arrive pour la majorité des entreprises créées dans une année, la vie pour eux peut devenir un enfer. C’est cette expérience que raconte sans fard Aude de Thuin dans un ouvrage qu’elle a tenu à coécrire avec la psychothérapeute Jeanne Siaud-Facchin. Cette dernière a rédigé en introduction un long texte – un tiers de l’ouvrage – qui analyse les ressorts et les limites de la « réussite », ainsi que son corollaire, le risque d’échec.

Mais l’intérêt majeur de cet essai réside dans le témoignage d’Aude de Thuin. Pendant un quart de siècle, cette spécialiste de l’événementiel a initié des manifestations qui ont connu un grand retentissement : la Semaine internationale du marketing direct, l’Art du jardin, Création et savoir-faire, enfin le Women’s Forum de Deauville et les forums Osons la France. Autodidacte, elle est ainsi devenue une femme en vue dans le microcosme parisien et la patronne de plusieurs entreprises.

Un jour, pourtant, il y a un peu plus d’un an, sa vie de superwoman a basculé dans le cauchemar à cause des échecs successifs de ses deux derniers salons-événements. Ce qu’elle raconte ensuite, c’est le lot commun de beaucoup de patrons de PME rattrapés par la faillite : le revirement brutal des banquiers, la disparition des « amis », la colère des créanciers, l’irruption des contraintes financières dans le cercle familial, la douloureuse gestion des départs de collaborateurs… Rarement le revers de fortune d’un chef d’entreprise aura été raconté avec une telle transparence et la révélation de tant de détails intimes. Cette descente en enfer est entrecoupée de copieux hors-texte qui apportent l’éclairage de la psychologue.

La créatrice du Women’s Forum en profite aussi de son côté pour s’interroger sur le sort réservé en France aux femmes qui vont très loin dans leur carrière. Elle-même a payé le prix fort, avec un burn out, suivi d’une dépression. Mais elle se demande déjà comment elle va occuper le quart de siècle, au moins, qui lui reste à vivre. Espérons que son livre ne soit pas éclipsé par la vague des nouveautés de la rentrée, car il offre une exposition salutaire des sacrifices et des angoisses que connaissent tous les petits patrons de France, surtout quand ils doivent faire face à des temps plus difficiles pour leur business.

Forcer le destin, Aude de Thuin et Jeanne Siaud-Facchin. Éditions Robert Laffont. 306 pages, 20 euros.