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Absence et présentéisme, des défis majeurs au travail

Idées | Management | publié le : 03.09.2016 |

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Absence et présentéisme, des défis majeurs au travail

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L’allongement de la vie active et le développement des maladies chroniques font de l’absentéisme un enjeu aigu pour les DRH.

Je débuterai l’évocation de mes travaux de recherche par une histoire. Celle de Shm. t, ouvrier de la construction en Égypte. Depuis deux jours, il est malade et n’est pas allé travailler. C’est habituel pour ce métier difficile : son employeur contrôle donc les absences mais maintient généralement le salaire. Cette fois, cependant, l’absence a pris une ampleur considérable et les travaux du retard. Il lui a donc demandé de retourner travailler. Shm. t s’est exécuté. Il s’est rendu sur le chantier mais, trop malade, le contremaître l’a renvoyé.

Cette histoire est banale ; elle ne devrait probablement pas servir à l’illustration de travaux de recherche sur l’absentéisme et le présentéisme (le fait d’aller travailler en étant malade). Mais elle est gravée en creux sur 69 ostraca analysés par une égyptologue américaine (Austin, 2015). Elle se déroule pendant le Nouvel Empire (1580 à 1085 avant Jésus-Christ) et Shm. t construit les tombes de la Vallée des Rois.

Un phénomène massif

Si j’évoque cette histoire, c’est qu’elle se révèle d’une surprenante modernité. Avec près de 216 millions de jours d’indemnités journalières de Sécurité sociale (IJSS) versées en 2015 au titre de la maladie aux 18,7 millions de salariés affiliés à l’Assurance maladie, l’absence au travail est d’actualité. Si l’on tient compte des accidents du travail (58 millions d’IJSS), que l’on n’omet pas la carence, et que l’on extrapole le nombre total d’IJSS à l’ensemble des salariés français (23,8 millions), j’estime à près d’un demi-milliard le nombre de jours d’absence par an !

Le phénomène est donc massif et ses conséquences économiques de plus en plus fortes : l’organisation de la production en flux tendus, l’absence de stocks de produits finis, l’émergence d’experts dans les organisations sont autant de facteurs qui conduisent à rendre critiques les absences, même courtes. Comme l’histoire de Shm. t l’évoque, les entreprises peuvent parfois rechercher, coûte que coûte, la présence de leurs salariés. Celle-ci n’est plus alors associée à un état unique, homogène : être en bonne santé et pleinement productif.

On envisage au contraire des modalités plus complexes : notamment être régulièrement présent, malgré une maladie qui pourrait justifier un arrêt, susceptible d’affecter la productivité. Ce que l’on appelle le présentéisme. Déjà massif – les salariés déclarent deux fois plus de jours de présentéisme que d’accidents du travail (1) –, le phénomène est amené à s’amplifier : l’allongement de la durée de vie au travail ainsi que le développement des affections de longue durée et des maladies chroniques poussent les salariés à venir travailler malades.

Mais le phénomène ne s’explique pas par la seule mauvaise santé des salariés. Mes recherches visent précisément à identifier les leviers de ce phénomène et donc les populations les plus sujettes au « risque ». Le sentiment de sa propre indispensabilité, la croyance en la nécessité d’être là pour que le travail soit (bien) fait, voire le sentiment d’avoir un devoir à accomplir sont des leviers puissants du présentéisme. Les managers, surtout lorsqu’ils dirigent de (grandes) équipes en lien avec les clients de l’entreprise, se révèlent particulièrement touchés (2). Mes travaux à l’hôpital (3) montrent que les soignants (et, dans un autre registre, les instituteurs) sont aussi des victimes régulières (souvent consentantes) des contraintes de leurs organisations.

Impacts collatéraux

Certains salariés, indépendamment des pressions organisationnelles subies, ont une forte propension individuelle au présentéisme. Sur une base de données très complète, j’ai mis en évidence que ceux qui déclarent être fiers d’aller bosser quoi qu’ils ressentent, ou qui pensent qu’il est normal de travailler même s’ils se sentent un peu malades, ont une propension nettement plus forte au présentéisme (4). À symptômes médicaux identiques, la légitimité sociale de l’absence est différemment perçue. Cela fait des hommes des cibles plus fréquentes du présentéisme, tout comme ceux qui n’ont pas d’enfants ou les plus anciens, qui mettent un point d’honneur à ne pas déserter (5). Enfin, la contrainte économique joue dans l’arbitrage absence/présence. L’existence de journées effectives de carence, la perspective d’obtenir un CDI ou au contraire le risque de perdre son emploi réduisent l’absence et poussent à renoncer à l’arrêt pour se préserver de son impact financier.

Terminons en répétant une évidence : il n’y a rien à gagner à voir se développer le présentéisme. Au-delà du gain immédiat, les impacts collatéraux sont considérables : contamination des collègues, développement de pathologies aggravées, perte de productivité. L’absence au travail occupe les organisations depuis plus de trois mille cinq cents ans ; ce n’est pas près de s’arrêter.

Sébastien Richard

Directeur de la mention économie du travail et des RH, université de Lille 1.

(1) H. Ogata, Y. Tsuno, B. Huver, S. Richard, Working Conditions, Health and Sickness Absence/Presence in France, Pfizer Health Research Foundation, Japan, 2016.

(2) I. Bierla, B. Huver et S. Richard, Presenteeism at Work : the Influence of Managers, « International Journal of Business and Management Studies », vol. 3, n° 2, 2011.

(3) B. Huver, S. Richard, N. Vaneecloo et I. Bierla Âge, absence-maladie et présentéisme au travail : le cas d’un établissement de santé régional, « Management & Avenir », n° 70, 2014/4.

(4) S. Richard, K. Skagen, K. Pedersen, B. Huver, Assessing the Propensity for Presenteeism with Sickness Absence Data, à paraître en 2016.

(5) I. Bierla, B. Huver, S. Richard, New Evidence on Absenteeism and Presenteeism, « International Journal of Human Resource Management », vol. 24, n° 7, 2013.