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Les entreprises en pleine adaptation

Dossier | publié le : 03.09.2016 | Anne-Cécile Geoffroy, Manuel Jardinaud

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Les entreprises en pleine adaptation

Crédit photo Anne-Cécile Geoffroy, Manuel Jardinaud

Jusqu’ici dans l’expectative, les employeurs commencent à s’emparer de la réforme de la formation de mars 2014. Et découvrent des espaces de créativité nouveaux pour articuler plus étroitement formation et stratégie.

Le responsable de formation serait-il une espèce en voie de disparition ? La dernière réforme de la formation de mars 2014 a obligé les entreprises à revoir la fiche de poste de ce professionnel RH. Habitué à gérer un budget encadré par une obligation fiscale – le fameux 0,9 % –, à remplir consciencieusement la non moins fameuse déclaration 2483 pour justifier auprès de l’État des dépenses engagées, et à acheter sur étagère des cursus interentreprises, voilà que sa petite routine a volé en éclats. Au point que le consultant Jean-Pierre Willems parle d’une véritable « dilution » de la fonction. « Le budget et l’action de formation structuraient le métier. Dans certaines organisations, la fonction n’apparaît même plus. Elle est remplacée par des dénominations plus transverses, comme celle de responsable de l’intelligence collective », explique-t-il. Pour piloter la formation, les entreprises cherchent désormais des professionnels capables de manier des logiciels, passionnés par l’accompagnement du changement et compétents pour concevoir des dispositifs pédagogiques.

Chez Tati, Caroline Fouet, responsable formation, se félicite de l’impact de la réforme sur son métier. « On peut plus facilement proposer des cursus en lien avec la stratégie de l’entreprise car la définition même de l’acte de formation a évolué. » Là où il était quasiment impossible de faire financer par un organisme paritaire collecteur agréé (Opca) un cours en ligne de type Mooc/Spoc ou une conférence proposée aux salariés entre midi et deux, les verrous ont sauté. Résultat, la créativité des responsables de formation en a été boostée. Engagé dans l’internationalisation de ses trois marques, le groupe Etam (Etam, 1.2.3 et Undiz) va mettre en place la « minute anglais ». « L’idée, c’est de proposer tous les matins aux collaborateurs cinq minutes d’échange en anglais, confie Pascaline Hazart, la responsable formation. Une action qu’on n’aurait jamais pu intégrer au plan de formation avant. »

L’autre effet de cette vision étendue de l’action de formation est le recours plus important aux experts internes capables de transmettre leur savoir-faire. « La réforme a accéléré des tendances qui pointaient depuis le début des années 2000, explique Marc Dennery, directeur associé de C-Campus. L’une d’elles est la montée en puissance des formateurs internes, car les entreprises sont beaucoup plus attentives à la bonne gestion de leur budget. C’est une conséquence de la crise de 2008 et du fait que les Opca ne financent plus les mêmes types d’actions. » Tati a ainsi créé un campus interne et reconverti cinq anciens responsables et coordinateurs de magasin. « En trois ans, ils ont obtenu le titre de formateur d’adultes de l’Afpa. Ils sont capables de concevoir des formations qui répondent aux évolutions qui impactent nos métiers de commerçants. Nous aurions pu passer par un organisme extérieur mais nous souhaitions nous appuyer sur notre savoir-faire », explique Caroline Fouet. Résultat, 70 % des modules sont dispensés en interne, le reste, principalement des formations au management, est confié à des tiers.

Chez Bouygues Immobilier aussi, le formateur interne a le vent en poupe. L’entreprise anime depuis quatre ans une communauté de 50 spécialistes qu’elle renouvelle en formant régulièrement une dizaine de collaborateurs repérés via les entretiens professionnels. « On aime le sur-mesure. C’est aussi l’occasion de valoriser les compétences de nos experts. Et, sur le plan économique, proposer des modules maison nous coûte bien moins cher qu’un prestataire extérieur », justifie Florence Chahid-Nouraï, responsable du service formation et du développement des compétences de Bouygues Immobilier.

Mobiliser l’encadrement

Autre conséquence, les entreprises se montrent plus exigeantes sur la qualité des formations (voir page 62), puisqu’elles en maîtrisent le contenu. « Elles recherchent des actions plus opérationnelles et entendent les évaluer en termes de compétences acquises, souligne Laurent Ouvrard, dirigeant du cabinet H3O Conseil et Formation, installé à Saint-Herblain (Loire-Atlantique). Dans ce contexte, les managers sont les mieux placés pour définir les critères d’évaluation et identifier les compétences nécessaires dans les années qui viennent. » Un exercice prospectif qu’il n’est pas forcément très aisé de mener à bien.

Le groupe de propreté niçois GSF a très vite mobilisé l’encadrement sur le sujet. La réforme ayant rendu l’entretien professionnel obligatoire tous les deux ans, il a dû organiser plus de 20 000 nouveaux rendez-vous ces deux dernières années. Un tour de force quand 90 % des collaborateurs – des hommes et des femmes de ménage, essentiellement – travaillent chez le client. « Nous avons commencé par former aux entretiens professionnels les 450 inspecteurs présents sur le terrain tout en adaptant les outils informatiques pour absorber la masse de données récoltées. Nous sommes dans la phase d’exploitation de ces données », explique Franck Hallé, responsable du service formation de GSF.

Tenues également par la loi de proposer au moins une formation ou une évolution professionnelle tous les six ans, des entreprises comme GSF étudient la possibilité de former leurs équipes sur le poste de travail en s’appuyant essentiellement sur le management de proximité. « En plus de nos trois formateurs internes, les 450 inspecteurs et les 3 000 chefs d’équipe sont en capacité de former les collaborateurs aux évolutions des métiers », reprend Franck Hallé. Dans cet esprit, la branche de la propreté expérimente actuellement la formation en situation de travail.

Pour récupérer une partie des fonds versés aux Opca (1 % de la masse salariale au titre de la professionnalisation, 0,2 % au titre du compte personnel de formation), les employeurs sont aussi en train de se convertir à la certification, devenue le premier critère de financement pour les Opca. Une bonne nouvelle pour les salariés qui jusqu’ici ne pouvaient compter que sur le congé individuel de formation (CIF) pour suivre un cursus certifiant ou diplômant. « Cette année, nous allons mettre en place des formations certifiantes, comme le Tosa, l’équivalent du Toeic pour la bureautique », annonce Claire Landais, responsable du département formation de FM Logistic.

Dans le même secteur d’activité, Kuehne + Nagel a monté une validation des acquis de l’expérience (VAE) collective pour permettre aux volontaires de décrocher un titre. « Nous avons ciblé 4 000 salariés, des conducteurs, des agents de quai, des préparateurs de commandes, en espérant en accompagner 50, raconte Nathalie Lemaître, responsable formation. Finalement, 170 ont répondu positivement et sont accompagnés pour préparer l’un des six titres professionnels que nous avons identifiés. »

Accompagner les salariés

Mais c’est sans conteste le compte personnel de formation (CPF) qui va transformer un peu plus le rôle du responsable de formation. Encore en phase de démarrage, celui-ci n’a concerné en 2015 que 95 000 salariés (contre 291 754 demandeurs d’emploi). Mais des signes de frémissement sont là. Quand, en 2015, Opcalia comptabilisait 7 768 CPF, il en répertoriait 8 700 sur les six premiers mois de cette année. Même constat du côté de l’Opca transport et services où 5 300 CPF ont été financés ces six derniers mois contre 3 250 en 2015. « Le patronat a estimé que cet outil relevait de la seule responsabilité du salarié. Il s’est lourdement trompé, estime le consultant Jean-Pierre Willems. Les entreprises comprennent progressivement qu’elles vont devoir accompagner de façon serrée leurs troupes. » Le mythe du bon apprenant, autonome, capable de faire son marché parmi les 1 250 certifications éligibles n’a pas tenu longtemps. Difficile aussi pour les entreprises qui le financent de le laisser à la seule main de leurs collaborateurs.

« Nous avons un enjeu de communication, admet François-Xavier Chirol, directeur formation France de Transdev, leader des transports publics. Mais le véritable enjeu se situe à mon sens dans l’accompagnement des salariés. Une posture que les professionnels RH n’avaient pas jusqu’ici sur les questions de formation. » Pour le groupe Etam, Pascaline Hazart a désigné une référente CPF. Son rôle : tenir une hot-line et organiser des réunions d’information pour les salariés des différentes marques du groupe. « Nous sommes un service support. Mon client, c’est le collaborateur. Il est important qu’il n’ait pas à se soucier des rouages financiers lorsqu’il souhaite se former. Nous proposons aux hôtesses de vente qui ont un potentiel de passer un diplôme niveau bac + 2. Si leur compte CPF ne suffit pas, nous abondons », explique Pascaline Hazart. En 2015, le groupe Etam a monté ainsi 20 dossiers CPF. Son objectif est d’en tripler le nombre. La montée en charge se poursuit. A.-C. G.

Auteur

  • Anne-Cécile Geoffroy, Manuel Jardinaud