logo Info-Social RH
Se connecter
Newsletter

Décodages

La VAE à tout petits pas

Décodages | publié le : 03.09.2016 | Manuel Jardinaud

Image

La VAE à tout petits pas

Crédit photo Manuel Jardinaud

La validation des acquis de l’expérience ne séduit guère les employeurs. Ils craignent les revendications de leurs salariés une fois diplômés, au lieu de voir dans ce dispositif un outil de fidélisation. Quelques pionniers s’y essaient néanmoins.

Le décollage le plus long de l’histoire de la formation professionnelle. Créée en 2002, la validation des acquis de l’expérience (VAE) n’en finit pas de prendre ses marques. Au tournant des années 2000, il s’agissait de permettre aux personnes, souvent peu qualifiées, d’obtenir un diplôme ou un titre professionnel grâce aux savoir-faire acquis au cours de leur carrière. Des diplômés de l’école du travail, en quelque sorte. Mais fort peu nombreux. Jusqu’en 2014, seules 307 000 personnes ont été certifiées via une VAE, tous ministères confondus. Et les difficultés demeurent pour asseoir le dispositif. « Quelle est la valeur des diplômes obtenus via la VAE ? C’est la question qu’on nous pose dans 100 % des cas, constate David Rivoire, fondateur du cabinet Les 2 Rives. Nous vivons dans un pays où les gens restent persuadés qu’on est plus compétent si on a obtenu un BTS comptabilité à 22 ans qu’en validant quinze ans d’expérience dans un cabinet comptable. » Ce que confirme Catherine Dervaux, directrice assessment et grands projets de recrutement au sein du cabinet Menway, qui souligne « la tendance des entreprises à préférer les diplômes issus de la formation initiale ».

Au-delà de la complexité administrative souvent mise en exergue pour justifier les tout petits pas de la VAE, c’est bien le regard négatif des recruteurs et des employeurs qui contribue à bloquer son développement. Ceux-ci éprouvent même de la « peur », selon Isabelle Cartier, qui accompagne des candidats à la VAE. Peur que le salarié échoue et n’assume pas son échec. Peur qu’il réussisse et en profite pour aller voir ailleurs ou revendiquer une hausse de salaire. Peur, enfin, de ne pouvoir prendre en compte de nouvelles attentes professionnelles. « Il existe un vrai besoin de désamorcer ces a priori, par exemple sur les augmentations », estime la consultante. Un coup d’œil à la dernière étude publiée sur le sujet (en 2012…) par le Fongecif Ile-de-France suffit pourtant à atténuer les craintes des DRH. D’après celle-ci, la reconnaissance personnelle (85 %) et la capacité à obtenir un diplôme (74 %) sont les deux principaux moteurs des personnes engagées dans un parcours de VAE. L’augmentation de salaire, elle, arrive loin derrière, citée par 36 % des répondants. « La VAE est surtout un levier de fidélisation et un très bon outil de gestion prévisionnelle des emplois et des compétences », affirme Sylvie Klapholz, fondatrice du cabinet VAE Conseil.

Accompagnement serré.

Quelques rares entreprises l’ont compris, qui ont mis en place une politique ciblée pour des salariés volontaires. Le groupe Vivarte (André, Kookaï, Caroll…) a agi très tôt, dès 2004, pour reconnaître les compétences des personnels de ses magasins, souvent peu ou pas qualifiés. Les efforts pour qu’une telle politique porte ses fruits sont conséquents : en douze ans, 600 salariés ont décroché leur diplôme via la VAE, principalement des CAP vente, des bac pro commerce et des BTS management des unités commerciales. Sophie Richard, chargée du projet pour le groupe, sait combien la réussite d’un tel programme est exigeante. Sa recette pour éviter les échecs ? Bien cibler les postulants, mettre en place un accompagnement global, être clair sur les engagements des RH en termes de reconnaissance une fois le diplôme obtenu. « En complément de l’accompagnement des salariés par un cabinet, nous avons mis en place une formation bureautique de base et une autre de prise de parole en public pour la préparation à l’oral devant le jury », indique Sophie Richard.

Même grosse artillerie chez L’Oréal. Le mastodonte des cosmétiques a lancé un programme baptisé Hévéa en 2010. Celui-ci a permis la qualification de 204 salariés, dont beaucoup issus des sites industriels et logistiques. Au-delà des classiques vingt-quatre heures d’accompagnement financées via l’organisme collecteur (Opca), les services RH ont créé un écosystème complet : entretiens de ciblage pour déterminer le diplôme visé, vingt heures d’accompagnement consacrées à préparer le livret dit de recevabilité, présence possible d’un tuteur, entraînement devant un faux jury. Et, bien sûr, présence d’un cabinet spécialisé pour suivre de A à Z la progression des salariés vers le titre choisi. « Cela demande à la fois des moyens humains et du temps », admet Françoise Schoenberger, directrice des relations sociales de L’Oréal France.

Équation budgétaire.

Mais le résultat est à la hauteur de l’engagement. « Une personne qui obtient son diplôme règle ses comptes avec elle-même. Elle se sent mieux, notamment dans l’entreprise », note Sophie Richard, de Vivarte. « On observe réellement des effets positifs en termes de motivation au travail, de reconnaissance et même de fierté », abonde Françoise Schoenberger, de L’Oréal. D’après cette dernière, un nombre significatif de lauréats ne s’arrêtent d’ailleurs pas en si bon chemin, choisissant de se lancer dans la validation d’un diplôme supérieur. Un cercle vertueux. Mais encore faut-il que l’entreprise ait la capacité de financer des projets de ce type. L’équation budgétaire est souvent complexe à résoudre. Chez Vivarte, toute la phase d’accompagnement pour constituer le dossier est réalisée en interne, avec les moyens du bord, faute de financement complémentaire.

Pour pallier cette faiblesse, des Opca instaurent des politiques dédiées. À l’instar d’Agefos PME, qui propose un forfait de quarante heures dénommé « accès VAE ». Ou d’Opcalia, l’autre organisme interbranches, qui a construit un dispositif musclé dans le secteur aérien. « L’une des conditions de la réussite, c’est d’obtenir un accompagnement qui va au-delà des vingt-quatre heures », affirme Farida Belmessaoud, directrice du département aérien. En un an et demi, 163 salariés ont ainsi bénéficié d’un financement de trente-huit heures, en tout. Résultat, un taux de réussite de 86 %. Des agents de maintenance ont ainsi pu décrocher un bac pro systèmes avioniques quand d’autres salariés, en contact avec la clientèle, ont validé des BTS tourisme.

Des exemples que vantent les accros à la VAE. Qui misent sur la réforme de la formation professionnelle pour enfin la booster. Le compte personnel de formation, qui permet de financer l’accompagnement, peut ainsi être abondé soit dans le cadre d’une politique d’entreprise, soit dans celui d’une stratégie de branche. De quoi, selon David Rivoire, offrir « une nouvelle vie à la VAE, si les entreprises jouent le jeu, en mettant la main à la poche ». Le défi a beau être d’abord culturel, il reste aussi financier.

Repères
Comment ça marche

L’obtention d’un titre professionnel via la VAE fait l’objet d’un parcours codifié. D’abord déposer un livret dit de recevabilité, qui recense les expériences professionnelles. Puis compléter un second livret qui décrit minutieusement les compétences acquises. Enfin, présenter son dossier devant un jury. Ce processus lourd dure entre six et dix-huit mois.

Auteur

  • Manuel Jardinaud