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DRH seniors au chômage, tout n’est pas perdu

Décodages | publié le : 03.09.2016 | Éric Béal

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DRH seniors au chômage, tout n’est pas perdu

Crédit photo Éric Béal

Être quinqua à la recherche de travail… pas facile pour les DRH non plus. Ces professionnels expérimentés ont néanmoins des atouts pour rebondir. À condition de savoir ce qu’ils veulent et d’adopter la stratégie adéquate.

« Ça fait drôle d’être de l’autre côté. » En 2013, Laurence Marbach, DRH et membre du comité de direction de l’Ugap, se retrouve sur le marché du travail. « J’avais deux options, explique-t-elle. Rechercher un poste équivalent ou faire ce travail autrement. Or je ne souhaitais pas reprendre le rôle très politique d’un cadre dirigeant. Je voulais retrouver le cœur de métier des ressources humaines et le contact plus régulier avec les salariés. » Au départ, elle songe à devenir consultante, mais opte finalement pour une entrée dans le réseau Finaxim, qui rassemble des managers à temps partagé. Depuis, Laurence Marbach aide des PME en croissance à mettre en place un CE, s’occupe de développement des compétences et de GPEC, ou gère des réorganisations avec licenciements. Elle a même remplacé le DRH d’une division d’Essilor. Sans compter ses activités de formation au management et d’accompagnement de dirigeants. Un éclectisme qui lui plaît et lui a fait renoncer sans regret aux avantages matériels d’un poste de DRH dans un groupe important.

À son image, nombreux sont les quinquagénaires DRH à passer par la case « demandeur d’emploi ». Ceux-ci ne sont en effet pas plus que les autres épargnés par les mises à l’écart ou les remises en cause personnelles. Une relation difficile avec le nouveau P-DG, un changement de périmètre mal vécu, la perspective de devoir à nouveau conduire un plan de réduction d’emplois… Les circonstances de la rupture peuvent varier mais l’aboutissement est le même. Démissionnaires ou forcés au départ, ces seniors se retrouvent alors devant l’obligation de rebondir. Bien placés pour savoir que nul ne peut s’attendre à rester en place indéfiniment, sont-ils mieux armés que les autres pour faire face à cette situation inconfortable ? Pas vraiment. « Ce sont souvent les plus mauvais clients, confie un responsable de cabinet d’outplacement parisien. Parce qu’ils ont géré la carrière de dizaines de managers, ils croient savoir faire et grillent leurs réseaux à solliciter leurs confrères sans avoir pris le temps de réfléchir à leur projet professionnel. »

Il est vrai que retrouver un poste équivalent lorsqu’on est issu d’un grand groupe est un sacré défi. Qui peut faire douter même les plus téméraires. Selon l’enquête « DRH à mi-carrière » réalisée en 2015 par le cabinet Oasys Consultants, les trois quarts des recrutements de DRH généralistes confirmés se réalisent en interne dans les entreprises de 10 000 à 80 000 salariés. Dans les groupes plus importants encore, le recrutement externe est même exceptionnel (1 %). À l’inverse, plus les entreprises sont de taille modeste, plus elles sont susceptibles de recruter un DRH à l’extérieur en passant par un cabinet de chasse de têtes (46 %) ou par les réseaux personnels ou sociaux. Seuls 15 % des postes font l’objet d’une annonce dans la presse ou sur le Web. Et, dans ce cas, les candidats ne manquent pas. De quoi faire craindre le pire à ceux qui ont coulé des jours heureux durant de longues années chez le même employeur.

Expérience.

Pour autant, les DRH quinquas auraient tort de croire que leur avenir est bouché. « Les RH, c’est un métier dans lequel on vieillit très bien. L’expérience est valorisée, surtout celle concernant le dialogue et les relations sociales », affirme Sylvie Baychelier, du cabinet d’executive search Arthur Hunt. Mais attention, « un manager expérimenté doit raisonner en termes de contribution et choisir les entreprises en fonction des enjeux sur lesquels il a une valeur ajoutée », prévient Denis Boutte, cofondateur d’Avenir Dirigeant, un cabinet d’outplacement et d’accompagnement de cadres dirigeants.

Encore faut-il être tenu au courant des postes qui se libèrent et en apprendre suffisamment sur l’entreprise pour répondre aux attentes des recruteurs. Pour y parvenir, une seule solution, travailler son réseau professionnel. Pairs encore en poste, anciens collègues, consultants ou juristes auxquels on a fait appel durant sa carrière… il faut multiplier les rencontres pour faire connaître sa recherche et obtenir des informations de première main sur les besoins de recrutement. « En matière de rebond professionnel, 90 % du succès dépend de la qualité du réseau personnel et de la capacité à vendre son expertise », affirme Marie-Christine Théron, ancienne DRH, présidente cofondatrice d’Avenir Dirigeant.

Patience.

Mais travailler son réseau ne sert à rien sans vision claire de l’avenir. « Il faut prendre le temps de définir une stratégie et un discours susceptibles de convaincre les recruteurs et DG intéressés par votre profil », confirme Philippe Canonne, ex-DRH de Sephora puis de la Fnac, qui n’a mis que six mois à retrouver un poste similaire à la Croix-Rouge. Un point de vue partagé par Christophe des Arcis, ancien directeur du développement RH du groupe TF1 et DRH de plusieurs filiales. Fin 2015, après avoir négocié son départ à 51 ans, il compte bien retrouver rapidement un job équivalent, « auprès d’un président qui [l]’inspire ». Impatient, il a enchaîné les rendez-vous, parfois jusqu’à trois dans la journée. « C’était une erreur, admet-il aujourd’hui. Il faut d’abord travailler son discours et vérifier auprès de personnes de confiance que l’image que l’on projette est bien celle voulue. » Bien servi par son expérience chez TF1, il a mis six mois pour retrouver une place dans le secteur audiovisuel, chez Euronews.

Ancien responsable des systèmes d’information RH d’un équipementier automobile, Xavier, qui souhaite taire son nom de famille, a fait un choix totalement différent. À presque 50 ans, il est aujourd’hui DRH de transition. « J’aime atterrir au milieu de la mêlée et devoir comprendre la problématique d’une entreprise très vite, en une dizaine de jours », revendique-t-il. Autre démarche, celle de Franck Bichet, DRH de Feu vert pendant quatorze ans. En désaccord avec la stratégie de la nouvelle direction après le rachat de l’enseigne, il négocie son départ à 50 ans, en juin 2012. Au cours de sa prospection, il découvre que les patrons de PME sont noyés dans leur business et ne savent pas comment s’y prendre pour faire face aux obligations légales en matière de relations sociales. « Au départ, je pensais devenir consultant, mais j’ai découvert le management à temps partagé. C’est une solution idéale pour répondre aux problèmes des PME qui n’ont pas les moyens de s’offrir un DRH à temps plein. »

Autre catégorie, ceux qui veulent passer à autre chose. Ex-DRH du groupe Elior, Catherine Chouard « ne [se] voyait pas DRH jusqu’à la fin de [ses] jours ». À 48 ans, en 2009, elle choisit l’aventure entrepreneuriale. Avant de quitter son poste, elle suit une formation au coaching, puis crée son cabinet, Catherine Chouard Conseil. « J’ai opté pour une activité professionnelle basée sur mes dix-sept années d’expérience personnelle au sein de plusieurs comités exécutifs de grandes entreprises et je suis devenue accompagnante de dirigeants », explique-t-elle.

Tremplin.

De l’avis des chasseurs de têtes, les DRH expérimentés qui souhaitent s’appuyer sur leur savoir-faire technique ont intérêt à rechercher des missions de DRH de transition. Elles sont autant d’occasions de faire leurs preuves devant un président ou un DG. « En 2015, nous avons connu une augmentation de 60 % de nos missions RH. 15 % d’entre elles s’inscrivent dans le cadre d’un plan social et 15 autres pour cent dans un contexte de négociation », assure Frédéric Marquette, directeur associé chez EIM France. Et celui-ci de poursuivre : « Plus des deux tiers des missions RH ont pour cadre un remplacement temporaire, une réorganisation interne ou la mise en place d’un nouveau type de management. Et plus de huit sur dix sont confiées à un DRH généraliste. »

Le constat est partagé par Karine Doukhan, directrice RH chez Robert Half Management Resources, un autre spécialiste du secteur. « Les DRH n’ont pas toujours une image positive des missions de transition, mais ils se trompent. Les restructurations sont minoritaires aujourd’hui. Et on a besoin de DRH expérimentés car le principe, c’est de toujours proposer des gens surdimentionnés pour le poste. » Président de Valtus Management de transition, Philippe Soullier constate, lui, que ces missions sont aussi un bon moyen de rebondir. « Il n’est pas rare qu’un DRH de transition se voie proposer un poste à temps plein à la fin de sa mission. » Seule difficulté pour nombre de DRH généralistes, une mauvaise maîtrise de l’anglais, qui ne leur permet pas de répondre aux besoins des nombreuses filiales de groupes étrangers implantées en France.

Enfin, il y a ceux qui souhaitent bénéficier d’une complète liberté de parole et d’action. Ou qui ne rentrent pas dans les critères des recruteurs. À 59 ans, Henri-Loïc Dubar est de ceux-là. Après dix-neuf ans chez Kiabi, où il officie notamment comme DRH, puis seize dans le groupe Bolloré, où il passe de DRH à secrétaire général et directeur du centre de formation, il crée en janvier dernier son cabinet, HLD Conseil RH. Une remise en question personnelle. « En entreprise, on n’a pas l’habitude de se vendre. Il m’a fallu définir une offre, assurer une veille constante et être présent sur les réseaux sociaux. Je commence tout juste à prospecter et à communiquer », précise-t-il. Référencé dans les principaux cabinets de management de transition, il espère exercer ses talents en consulting comme en mission de transition. Un changement total de rythme de vie et de niveau de revenu que les quinquagénaires peuvent plus facilement assumer que leurs confrères plus jeunes. Pour peu que leurs enfants aient grandi et ne poursuivent pas des études trop onéreuses…

Repères

59 % des DRH sont des femmes.

70 % ont plus de 45 ans.

75 000 C’est, en euros, leur rémunération brute annuelle moyenne.

Source : Oasys Consultants, avec l’ANDRH et Nomination, 2015.

Anna Leprince
DRH au sein de BPCE International

À 54 ans, Anna Leprince vient de signer un CDI pour un poste de DRH dans le Groupe BPCE International. Une victoire pour cette pure RH qui a notamment exercé dans deux labos pharmaceutiques, Lafon puis Cephalon. Promue DRH du siège européen du second, avec des responsabilités au Moyen-Orient et en Afrique, elle quitte l’entreprise après son rachat. « On m’avait souvent sollicitée lorsque j’étais en poste. Je me suis dit que retrouver une position équivalente ne devait pas être trop laborieux. » Elle découvre alors que sa longue carrière dans la pharmacie a laissé son empreinte : ses interlocuteurs doutent qu’elle puisse s’adapter ailleurs. Épaulée par le cabinet d’outplacement Oasys, elle enchaîne les missions en CDD sans parvenir à retrouver un poste fixe, son objectif. Et pourtant, elle pratique le réseautage à haute dose. « J’ai du mal à quémander un rendez-vous. Cela me coûte d’être en situation de demande alors que je sais tout ce que je peux apporter à une entreprise », confie-t-elle. Dans sa quête, elle tombe sur des recruteurs qui ne rappellent pas. « Rechercher un poste permet aussi de juger les pratiques des cabinets. En tant que DRH client potentiel, je fais le tri. » Les étudiants de prépa HEC et du master RH de Sciences po qu’elle recevait bénévolement en entretien de motivation vont la regretter.

Pierre Rosius
DRH à temps partagé chez Finaxim

« Je ne voulais pas être remercié à 56 ou 57 ans. J’ai préféré choisir la date et les circonstances de mon départ. » Ancien DRH de Thomson Reuters, Pierre Rosius (54 ans) a quitté un très beau poste pour devenir consultant et DRH à temps partagé. Loin de s’en aller sur un coup de tête, il avait préparé sa sortie en reprenant contact avec d’anciens collaborateurs, des consultants ou des avocats en droit rencontrés au cours de sa carrière. « Il faut anticiper son entrée dans le consulting, affirme-t-il. J’ai présenté ce projet autour de moi des années avant de me lancer et j’ai réactivé mon réseau dans les six derniers mois. Si bien que j’ai trouvé des clients rapidement. » Son nouveau statut lui convient bien, mais Pierre Rosius admet que la transition a été délicate. « Il faut prendre le temps de réfléchir au côté commercial et marketing. Mon âge et mon CV rassurent les clients, mais j’ai dû apprendre à ouvrir les portes et à convaincre pour obtenir des missions. » En dépit d’une rémunération plus faible, le quinqua est heureux de « renouer avec la pratique de terrain ».

Yves Grandmontagne
Directeur associé chez Nextmodernity

Ex-DRH France de Microsoft, Yves Grandmontagne (53 ans) a choisi de partir à la suite de réorganisations restreignant son périmètre d’action. Passé par des postes de dirigeant puis de DRH, ce vétérinaire avait des envies d’autre chose. « J’ai eu la chance de bien vivre dans les fonctions que j’ai occupées, j’ai pu me lancer dans un projet entrepreneurial sans mettre ma famille en difficulté », explique-t-il. Sa spécialité ? La transformation digitale RH. Son projet ? Être le pont entre les DRH et les acteurs spécialisés du big data. « Je voulais avoir un impact sur mon destin. J’ai pris le temps de rencontrer des dirigeants de cabinet de conseil pour profiter de leur expérience et choisir mon nouveau statut. » Pour autant, son aventure d’entrepreneur s’est arrêtée au bout de quelques mois et une poignée de missions, lorsque les dirigeants du cabinet Nextmodernity lui ont proposé d’entrer dans leur équipe. Un pur hasard ? « Non, nous nous connaissions déjà », confie l’intéressé.

Auteur

  • Éric Béal