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Deux candidats à la Maison-Blanche que tout oppose

Décodages | international | publié le : 03.09.2016 | Caroline Crosdale

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Deux candidats à la Maison-Blanche que tout oppose

Crédit photo Caroline Crosdale

Hillary Clinton et Donald Trump croisent le fer sur tous les sujets sociaux. Qu’il s’agisse de la santé, du salaire minimum, de l’emploi ou de l’immigration.

« Teamsters for Trump ». Mine de rien, cette page Facebook créée par un militant de base du syndicat des camionneurs montre à quel point les frontières usuelles entre républicains et démocrates ont volé en éclats aux États-Unis. Si les leaders des grands syndicats AFL-CIO, UAW ou Teamsters soutiennent sans surprise Hillary Clinton pour l’élection présidentielle de novembre, des militants de base se montrent, eux, séduits par Donald Trump. Dans le Tennessee, Jeff Hester, l’un des fondateurs de Teamsters for Trump, explique ainsi que ce soutien au magnat de l’immobilier new-yorkais « marque notre dédain vis-à-vis de l’establishment ».

Comme lui, de très nombreux hommes blancs d’un certain âge qui n’ont guère fréquenté l’université sont en colère. Ils ne supportent pas les accords de libre-échange qui, à leurs yeux, ont détruit les bons emplois des usines locales. Et applaudissent le projet de construction d’un mur entre les États-Unis et le Mexique, promis par « the Donald ». Ce mur, espèrent-ils, protégera leurs emplois. « Le mouvement trumpiste se résume à ces trois mots : blanc, populiste et nationaliste », explique Lowell Turner, directeur du Worker Institute à l’université Cornell.

Le contraste avec Hillary Clinton est spectaculaire. Lorsque Donald Trump bâtit son mur, la candidate promet de faire sortir de l’ombre les sans-papiers. Si l’on regarde du côté de l’assurance santé, le conservateur veut abroger la loi Obamacare quand sa rivale veut l’améliorer. Sur l’emploi, aussi, c’est le grand écart : l’ancienne secrétaire d’État entend investir dans les infrastructures pour créer des postes dans la construction alors que l’homme d’affaires jure de réduire drastiquement les impôts des entreprises et des ménages. Revue de détail des programmes sociaux des deux candidats à la Maison-Blanche.

1 libre-échange

Les « reformocons », les conservateurs favorables aux réformes, apprécient les efforts du trublion Trump. « Il peut apporter le changement nécessaire », assure Henry Olsen, chercheur au think tank Ethics and Public Policy Center. Le candidat a entendu les électeurs que Washington ignore. Ces hommes mûrs et blancs qui ont peur pour leur emploi et leur niveau de vie et craignent la compétition étrangère. Donald Trump s’écarte donc du discours habituel de son camp. Il promet la remise en cause des accords de libre-échange et un contrôle brutal de l’immigration. Il veut renvoyer chez eux 11,3 millions d’illégaux, tripler les patrouilles à la frontière mexicaine et réformer les visas de travail pour donner la préférence aux Américains. Dans la foulée, il propose des tarifs douaniers de 45 % sur les produits chinois et de 35 % sur les articles mexicains.

Hillary Clinton se montre plus prudente. Elle a d’abord penché en faveur de l’accord Nafta de libre-échange entre les États-Unis, le Mexique et le Canada. Après tout, c’est son mari Bill qui avait négocié l’affaire ! Mais pendant les primaires démocrates, elle a entendu la voix dissonante de son opposant Bernie Sanders. La candidate reconnaît dorénavant l’impact négatif du Nafta sur l’emploi. Selon l’Economic Policy Institute, l’Amérique a perdu 700 000 emplois en vingt ans. Si Hillary Clinton n’entend pas revenir en arrière, elle ne signera pas à l’aveugle le nouvel accord de partenariat transpacifique entre 12 pays des Amériques et d’Asie, négocié par l’équipe Obama.

2 création d’emplois

Au fond, Hillary Clinton sait bien que l’inflexion du commerce extérieur ne suffira pas à créer les emplois bien payés que réclament les classes moyennes. Elle propose une solution keynésienne : l’État investira 300 milliards de dollars dans les infrastructures (routes, ponts, aéroports, énergies renouvelables…). Elle promet des allégements fiscaux aux entreprises qui partagent les bénéfices avec leurs troupes et aux sociétés qui s’installent dans les régions pauvres. Celles qui, en revanche, choisissent de partir à l’étranger se verront réclamer les aides qu’elles avaient reçues pour rester au pays. Les très riches verront, eux, leurs impôts s’alourdir. Mark Zandi, l’économiste en chef de Moody’s Analytics, croit à l’efficacité du programme. Si le Congrès l’adopte dans son entier, assure-t-il, 10,4 millions d’emplois seront créés en quatre ans.

Le magnat de l’immobilier ne s’attaque pas directement au dossier emploi. Lui préfère réduire les impôts des entreprises et des ménages. Ces derniers consommeront ainsi davantage et les entreprises investiront, parie-t-il. Mais Mark Zandi n’y croit pas du tout. « L’économie souffre, explique-t-il. Les renvois d’immigrés ont réduit la force de travail, les exportations sont affaiblies. Un grand déficit budgétaire se profile du fait de la baisse des impôts et la charge de la dette s’alourdira. » De quoi nourrir les risques de récession et grossir le chômage, qui pourrait grimper jusqu’à 9 %.

3 salaire minimum

De nombreux électeurs le crient, qu’ils soient jeunes, vieux, blancs, noirs ou latinos : il faut réduire les inégalités. Et pour ce faire, rien de mieux qu’une hausse du salaire minimum. Les amis syndicalistes d’Hillary Clinton l’ont convaincue. Le Smic américain, égal aujourd’hui à 7,25 dollars l’heure, pourrait passer progressivement à 12 dollars. Voire davantage. Bernie Sanders, le candidat démocrate malheureux qui offrait 15 dollars l’heure pour sortir 35 millions d’Américains de la pauvreté, a réussi à « pousser Hillary plus à gauche », explique Lowell Turner, du Worker Institute. Celle-ci a finalement concédé : « Je supporterai les États et les villes qui prônent les 15 dollars. » Mais la candidate demande un étalement sur plusieurs années afin que les entreprises puissent s’adapter.

Sur ce dossier, Donald Trump dit, lui, tout et son contraire. En août 2015, il refusait d’augmenter le Smic fédéral… pour être plus compétitif face à l’étranger. Mais en décembre 2015, il tweetait : « Les salaires dans notre pays sont trop bas, les bons emplois trop peu nombreux. » Fin du débat ? Pas du tout. En juillet 2016, Donald Trump s’est déclaré favorable à un plancher fédéral de 10 dollars, que les États pourront augmenter.

4 santé pour tous

Donald Trump promet d’abroger l’Obamacare et de le remplacer par « quelque chose de sensationnel ». Mais sans s’appesantir. Il assure simplement que personne ne devrait être obligé d’acheter cette assurance. Il évoque aussi des déductions fiscales pour aider au financement des cotisations. Enfin, il propose quelques alternatives pour réduire les coûts du dispositif : autoriser l’achat de médicaments à l’étranger et permettre aux assureurs de vendre leurs polices dans les États voisins pour renforcer la concurrence. Une vague plate-forme qui n’a même pas convaincu son camp. « Cela ressemble aux efforts d’un étudiant étranger essayant d’apprendre la politique de la santé en tant que deuxième langue », lâche Thomas Miller, expert au laboratoire d’idées American Enterprise Institute.

Hillary Clinton, en revanche, veut garder les fondations d’Obamacare et étendre ses bénéfices. « Dans les États où les assureurs ne se bousculent pas, l’État fédéral proposerait sa propre assurance plus abordable, explique Lowell Turner. Ce cheval de Troie réduirait à terme le rôle du privé. » La candidate offre aussi aux Américains de 55 ans de rejoindre volontairement Medicare, le programme santé des retraités jusqu’alors réservé aux plus de 65 ans. Tout en permettant aux administrateurs du programme de négocier les prix des médicaments, le poids des 40 millions d’adhérents devant faire baisser les tarifs.

Deux sujets importants lors des précédentes campagnes présidentielles ont cette fois-ci été soigneusement évités : la privatisation de la sécurité sociale, la retraite de base américaine, et la remise en cause de Medicare, l’assurance santé du troisième âge, gérée par Washington. Pas touche à ces deux piliers de la société américaine, bien trop populaires dans le pays. Les économistes qui se sont longtemps inquiétés du financement de ces deux programmes devront donc attendre pour remettre leurs projections de caisses vides sur le tapis. Et pour cause : au fin fond des montagnes des Appalaches, le berceau historique du charbon, on vit de la sécurité sociale. Même Donald Trump le dérégulateur l’a compris !

Trump

> 70 ans.

> Magnat milliardaire de l’immobilier.

> Novice en politique, investi candidat républicain après un succès inattendu aux primaires.

Le populiste suscite de plus en plus de défiance dans son camp.
Clinton

> 68 ans.

> Sénatrice, battue par Barack Obama aux primaires de 2008, ex-secrétaire d’État.

> Première femme candidate démocrate à la présidentielle.

La démocrate a dû faire des concessions à sa gauche.
Profs contre patrons

Les conseillers économiques des candidats vivent dans deux sphères opposées. Hillary Clinton s’est entourée d’une équipe de scholars, des professeurs réputés. En font partie Jacob Leibenluft, directeur adjoint du National Economic Council, et Alan Krueger, un ancien conseiller de Barack Obama professeur à Princeton. Si la candidate a la réputation d’être une bosseuse aimant à se plonger dans les dossiers, elle consulte aussi régulièrement une poignée d’experts, tels le Prix Nobel d’économie Joseph Stiglitz et Jared Bernstein, l’ancien conseiller du vice-président Joe Biden. Elle est aussi en relation avec Heather Boushey, patronne du Center for Equitable Growth.

Son rival républicain préfère, lui, s’adresser à ses amis patrons, tous de sexe masculin. Son cercle compte un seul docteur en économie, Peter Navarro, professeur à l’université de Californie (Irvine), qui s’oppose fermement à la Chine. Son dernier livre ? Le Tigre tapi : l’impact du militarisme de la Chine sur le reste du monde. Tout un programme ! Stephen Moore et David Malpass sont aussi des proches de Donald Trump. Le premier, partisan des taux d’imposition fixes, fait partie du Club for Growth, quand le second est l’ancien économiste de la banque Bear Stearns. Avec eux, toute une flopée de grands patrons, tels John Paulson, un as des hedge funds, ou Wilbur Ross, spécialiste du capital-risque.

Auteur

  • Caroline Crosdale