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Les territoires, clé pour l’emploi

À la une | Les territoires, clé pour l’emploi | publié le : 03.09.2016 | Éric Béal

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Les territoires, clé pour l’emploi

Crédit photo Éric Béal

En matière de politiques d’emploi, la parole est de plus en plus aux acteurs locaux. En dépit de sa culture jacobine, l’État a compris qu’il avait besoin de relais pour soutenir les entreprises. Même s’il renâcle encore à lâcher les rênes.

Fin juin, la Délégation générale à l’emploi et à la formation professionnelle (DGEFP) organisait son rendez-vous annuel de présentation des « belles initiatives » prises par les acteurs territoriaux de l’emploi. La troisième édition d’un événement en passe de devenir une référence. « L’objectif, c’est de valoriser les initiatives locales et de partager les informations en espérant contribuer à l’essaimage des bonnes pratiques », précise la DGEFP.

Dans son discours, la secrétaire d’État à la Formation professionnelle, Clotilde Valter, multiplie les allusions à la primauté des initiatives locales pour créer de l’emploi. « Il faut partir du terrain pour concevoir la réponse la plus appropriée et faire du sur-mesure pour rendre le meilleur service », assure-t-elle, en précisant que « les TPE-PME doivent identifier les Direccte comme un des points d’entrée d’un réseau de partenaires en mesure de leur apporter des solutions ».

Un renversement de la culture qui prévalait jusqu’alors. Malgré les initiatives de certaines collectivités locales dès les années 1980, l’État a longtemps décidé seul des mesures à prendre pour favoriser l’emploi. Alors même que la situation des entreprises et des travailleurs varie considérablement d’un territoire à l’autre. En 2014, le taux de chômage dans le bassin d’emploi de Rodez (Aveyron) s’affichait par exemple à 6,3 %, selon l’Insee. Alors qu’il culminait à 17,9 % à Pézenas (Hérault), 160 kilomètres plus au sud. « Au début des années 1980, les citoyens commencent à interpeller les élus. L’idée qu’il fallait être au plus proche du terrain pour trouver des solutions fait alors son chemin », explique Marie-Pierre Establie d’Argencé, déléguée générale d’Alliance Villes Emploi.

Maillon manquant.

Cette association, qui rassemble les collectivités locales et leurs outils territoriaux d’insertion, tels les maisons de l’emploi et les plans locaux pour l’insertion et l’emploi, a vu le jour en 1993 sous l’impulsion de Jacques Baumel, alors député-maire de Rueil-Malmaison (Hauts-de-Seine). Les maisons de l’emploi sont reconnues officiellement en 2005 (voir encadré page 22). Pour autant, l’endettement croissant de l’État fait fondre son soutien financier. Celui-ci décroît de 100 à 19 millions d’euros entre 2005 et 2016, laissant aux intercommunalités le soin de prendre le relais.

Outre la décentralisation, c’est la loi Notre (nouvelle organisation territoriale de la République) de juillet 2015 qui change la donne. « Cette loi permet à l’État et aux régions de partager les enjeux des territoires et de rendre cohérents les axes du développement économique avec les politiques de l’emploi », indique Carine Chevrier, la déléguée générale à l’Emploi et à la Formation professionnelle. Immédiatement après leur élection, nombre de nouveaux présidents de région ont annoncé qu’ils allaient s’emparer du sujet sans tarder. Ainsi, dans les Hauts-de-France, Xavier Bertrand a-t-il lancé à grand renfort de communication le dispositif Proch’emploi. Opérationnelle depuis janvier, cette plate-forme a pour ambition de faciliter les mises en relation. « Il ne s’agit pas de nous substituer à Pôle emploi. Nous allons travailler ensemble en nouant des partenariats. Il manque simplement un maillon entre les employeurs et les demandeurs d’emploi », explique le nouvel homme fort de la région au moment du lancement. En juin, il rappelait dans nos colonnes que les régions financent les deux tiers des formations Pôle emploi. « Le rôle des régions est essentiel pour faire coller l’offre aux évolutions du territoire », affirmait-il alors.

Autre exemple, celui de Valérie Pécresse. La patronne de l’Ile-de-France, qui a embauché l’ancien DGEFP Bertrand Martinot comme conseiller emploi, prêchait, fin juin, une nouvelle phase de décentralisation des compétences de l’État pour améliorer la clarté et l’efficacité des dispositifs. Notamment en matière de formation professionnelle et d’emploi.

De fait, beaucoup de chemin reste à faire. « En matière d’emploi, l’État n’a transféré que des compétences de coordination aux régions. Celles-ci sont loin de pouvoir réellement adopter une politique de l’emploi cohérente avec le développement de l’économie locale », pointe Bertrand Martinot. Ce qu’admet volontiers Carine Chevrier. « L’État conserve une approche top down, qui reste indispensable dans la conduite des politiques de l’emploi. Mais il sait aussi mieux prendre en compte, fédérer et accompagner les initiatives des acteurs locaux. Qu’ils soient élus, associatifs ou dirigeants d’entreprise. »

Défense des territoires.

Ce repositionnement se traduit par un changement dans le mode de fonctionnement des Direccte. Les services déconcentrés communs aux ministères de l’Économie et de l’Emploi se préoccupent davantage des PME et se comportent comme des pilotes ou des « ensembliers ». Lors de la Journée des initiatives territoriales pour l’emploi de juin, quelque 150 expériences ont été présentées. « L’enjeu est que d’autres acteurs locaux puissent s’emparer de ces bonnes idées pour les adapter à leur territoire et ainsi créer de l’emploi », souligne Carine Chevrier. « L’État a fini par comprendre que l’avenir de l’emploi en France ne passait pas par la relocalisation de l’industrie automobile. Le problème est moins d’attirer de grosses entreprises que de garder celles qui restent et de soutenir leurs sous-traitants », assure Bertrand Martinot.

Traditionnellement, l’État a toujours joué un rôle de premier plan dans la défense des territoires secoués par des fermetures d’usines. Une place qu’il n’entend pas partager. « Le préfet prend les choses en main. C’est lui qui réunit les acteurs du territoire pour réfléchir à l’utilisation des fonds de revitalisation. Ce n’est pas une mauvaise chose, d’ailleurs, car il a la neutralité nécessaire pour faire coopérer des élus, la CCI, Pôle emploi ou les partenaires sociaux », commente Estelle Sauvat, directrice générale de Sodie, un cabinet d’ingénierie RH spécialiste de l’accompagnement des mobilités. La situation actuelle lui paraît cependant très compliquée. « Emploi et formation vont de pair. Il faut simplifier la distribution des compétences entre les régions et Pôle emploi », affirme-t-elle.

Sur le terrain, pour autant, les acteurs locaux n’attendent pas le feu vert des décideurs régionaux ou nationaux pour lancer des expériences. La ville de Drancy a ainsi créé une mission emploi en 2013. Depuis, une petite dizaine de communes l’ont imitée. Constituées en réseau depuis le mois de mars, elles se donnent pour objectif de faciliter le rapprochement entre demandeurs et employeurs, en apportant à ces derniers un service pointu, « un peu à la manière d’un chasseur de têtes ». « On est en train d’inventer une nouvelle génération de structures publiques spécialisées dans l’emploi, l’intégration et le développement économique. Les communes et les communautés de communes sont les mieux placées pour s’occuper de l’adéquation entre besoins et offres de compétences », justifie Jérôme Laverny, le directeur de ce réseau national. Une structure modeste, pour l’instant, mais qui a déjà signé des partenariats avec Sodexo, Lapeyre et Carglass. De quoi empiéter, à terme, sur l’activité des cabinets de recrutement ou d’intérim.

GRH territorialisée.

Restent tous les autres acteurs de terrain. Les clusters, grappes ou groupements qui rassemblent des entreprises petites ou grandes, en vertu d’une logique d’implantation géographique, de filière ou de marché. Les chambres consulaires ne sont pas en reste. Celle d’Alès Cévennes a piloté une action de gestion prévisionnelle des emplois et des compétences pour sécuriser les parcours professionnels des sous-traitants industriels. Autre exemple dans le sud de l’Alsace, où la maison de l’emploi de Mulhouse a développé une plate-forme visant à encourager les passages entre les métiers en déclin et ceux d’avenir, localement. Dans le même bassin d’emploi, c’est l’association E-nov Campus qui permet à des jeunes passionnés d’informatique mais sortis trop tôt de l’école de se former et de transformer leur passion en activité professionnelle.

Ces nombreuses initiatives répondent toutes à des besoins concrets. Elles illustrent l’émergence d’une gestion des ressources humaines territorialisée et pragmatique, dont la concrétisation est le fait d’acteurs locaux issus de tous les horizons : les entreprises, les partenaires sociaux, le service public de l’emploi, les collectivités locales, les organismes de formation, les associations. Tous présents dans un même espace géographique, qui se relèvent les manches pour lutter ensemble contre le chômage.

Le long combat des territoires

1982-1983 : Les lois de décentralisation accordent aux régions une compétence de droit commun en matière de formation professionnelle continue.

1989 : La première maison de l’emploi est créée à Rueil-Malmaison (Hauts-de-Seine). Le lieu se veut un centre de ressources et d’accompagnement pour les chômeurs et un outil de diagnostic pour les acteurs locaux.

1990 : Pierre de Saintignon, premier adjoint au maire de Lille, crée le premier plan local pour l’insertion et l’emploi (Plie).

1993 : Un colloque réunit les représentants de 250 communes autour de la création d’Alliance Villes Emploi. Cette association rassemble les communes ayant créé une maison de l’emploi ou un Plie.

1998 : La loi d’orientation relative à la lutte contre les exclusions fixe comme objectif d’augmenter le nombre de Plie de 120 à 250.

2004 : La loi relative aux libertés et responsabilités locales réaffirme la compétence des régions en matière de formation professionnelle continue.

2005 : La loi de programmation pour la cohésion sociale prévoit la création ou la labellisation de 300 maisons de l’emploi.

2015 : La loi Notre (Nouvelle organisation territoriale de la République) renforce le rôle des régions. Des schémas de développement économique fixent des orientations quinquennales pour les territoires régionaux.

Auteur

  • Éric Béal