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Prévention santé, le grand chantier

Dossier | publié le : 03.06.2016 | Séverine Charon

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Prévention santé, le grand chantier

Crédit photo Séverine Charon

Les partenaires sociaux doivent plancher cette année sur le dispositif de collecte des cotisations et sur les actions relatives aux avantages non contributifs.

Sur la soixantaine d’accords frais de santé signés depuis 2013, environ la moitié contient une clause de recommandation. Depuis la censure des clauses de désignation, ces recommandations n’ont droit de cité qu’à la condition que 2 % de la cotisation santé servent à financer des actions de solidarité dites « avantages non contributifs ». Si l’année 2015 a été consacrée aux négociations sur le contenu de la couverture santé, le cru 2016 sera donc celui de l’action sociale et de la prévention santé.

Pas simple. Car à elle seule, la collecte de la cotisation additionnelle est déjà un chantier hasardeux. Si on retient l’hypothèse d’une cotisation santé à 40 euros mensuels, la contribution de solidarité s’élèverait à 80 centimes d’euro. En supposant un versement trimestriel, il s’agit donc de mettre en place un processus qui permette de récupérer 2,40 euros par salarié tous les trois mois…

Aucun dispositif consensuel et efficace n’a jusqu’ici émergé, les solutions imaginées variant d’une branche à l’autre. Les partenaires sociaux des services de l’automobile, par exemple, ont désigné IRP Auto comme responsable de la collecte et délégataire de la gestion des fonds prélevés… auprès de toutes les entreprises, qu’elles aient choisi ou pas de s’assurer auprès de cet organisme. Les caisses de retraite du secteur faisant partie du groupe IRP Auto, le prélèvement ne pose pas de problème logistique majeur. Mais il a fallu créer une association, IRP Auto Solidarité Prévention, pour recueillir les sommes. Autre exemple, celui du travail temporaire. La branche, qui dispose d’un fonds d’action sociale déjà financé par une cotisation spécifique, n’a pas non plus eu de difficultés en matière de prélèvement. Mais un nouveau fonds va être créé pour collecter et gérer la cotisation additionnelle.

Une centralisation risquée

Si la centralisation a des avantages évidents, elle n’est pas facile à concevoir quand elle n’a pas déjà été mise en œuvre dans la branche. Et lorsque certaines d’entre elles essaient d’innover, la solution imaginée n’est pas toujours du goût des courtiers et autres chantres de la libre concurrence, qui y voient un retour en douce des clauses de désignation. Pour cette raison, trois branches (bétail et viandes ; poissonnerie ; espaces de loisirs), qui ont voulu habiliter un organisme unique, sont actuellement poursuivies en justice par l’Association pour la promotion de l’assurance collective.

Cette structure de lobbying, créée à l’initiative de courtiers d’assurance, n’en est pas à son coup d’essai. Elle a même déjà gagné des batailles. Elle est ainsi à l’origine, aux côtés de l’assureur Allianz, de la censure des clauses de désignation par le Conseil constitutionnel. Par sécurité, les branches faisant appel à la recommandation n’ont donc, en majorité, pas prévu de centraliser la cotisation additionnelle. Chaque organisme assureur est donc censé la collecter et l’allouer aux actions prévues par les partenaires sociaux. Ce qui pose d’autres difficultés en matière de suivi et de contrôle des prestations fournies. Et interroge sur l’efficacité du dispositif, avec des fonds totalement éparpillés !

Les garages innovants

La question des gros sous traitée, reste aux partenaires sociaux à se saisir de l’essentiel. À savoir l’utilisation des fonds. « Les actions de solidarité peuvent se décliner selon trois grands axes : la prise en charge partielle ou totale de la cotisation de certains bénéficiaires, des aides financières relevant de l’action sociale ou des programmes de prévention santé », explique Yves Trupin, associé du cabinet de conseil Actense. Là encore, les services de l’automobile jouent les pionniers puisque les réflexions paritaires sur le sujet ont été menées en 2015 et les actions engagées dès janvier 2016. À raison d’une cotisation mensuelle de 2 euros pour chacun des 400 000 salariés, financée pour moitié par l’employeur, l’enveloppe avoisine les 10 millions d’euros par an.

En matière d’action sociale, l’accent a été mis sur le soutien aux aidants et l’accompagnement des personnes qui connaissent un décès. « La survenance d’un tel événement est très perturbante au sein des entreprises, en particulier dans les TPE-PME », explique Olivier Haumont, directeur des relations clients prévoyance santé chez IRP Auto. Concrètement, une plate-forme d’accueil téléphonique a été mise en place pour apporter aide et accompagnement sur le plan tant psychologique qu’administratif. Sur le volet santé, priorité est donnée à la prévention des accidents du travail liés au métier de la mécanique et à la diminution des risques auditifs. Les entreprises vont se voir proposer des diagnostics sur les conditions de travail dans leurs ateliers afin d’y limiter le niveau sonore. « Pour faire connaître les actions que nous proposons, deux sites Internet dédiés ont été développés. Le premier pour les salariés, l’autre pour les employeurs », précise Olivier Haumont.

Les autres branches, encore en phase de réflexion, tournent leur regard vers celles qui ont déjà engagé des actions par le passé. Le bâtiment, connu pour son activisme, ne faisant pas œuvre de prosélytisme, l’emblématique boulangerie artisanale, qui s’est dotée il y a neuf ans d’un régime frais de santé avec clause de désignation, est souvent citée en exemple. Grâce aux excédents du régime, plusieurs types d’actions ont été lancés. Dont un mécanisme de solidarité intergénérationnelle qui permet de plafonner la cotisation des boulangers retraités à 125 % de celle des actifs. Des programmes de prévention spécifiques à certains risques professionnels ont aussi été déployés, portant sur la prévention des caries et des affections respiratoires.

« La majorité des commissions paritaires de branche ont pour objectif de déterminer un plan d’actions concret dès 2016 afin de pouvoir le communiquer auprès des entreprises avant la fin de l’année, notamment auprès de celles qui n’ont pas encore rejoint le ou les organismes recommandés », explique Jérôme Bonizec, directeur général d’Adéis. Si certaines branches ont déjà connaissance de risques spécifiques à leur activité, sur lesquels elles vont pouvoir agir, d’autres ne sont pas si avancées. Elles doivent d’abord mener un diagnostic sur l’état de santé et le profil de leurs salariés avant de se lancer.

De nouveaux marchés pour les cabinets de conseil

Comme c’est le cas pour la pénibilité, la mise en place de programmes de prévention santé dans les branches ouvre de nouveaux horizons aux prestataires et cabinets de conseil. D’abord parce que les partenaires sociaux souhaitent être accompagnés pour mener un diagnostic sur les risques spécifiques de la branche, parfois mal connus. S’ils ont souvent sollicité les assureurs sur leurs propositions en matière de prévention lors des appels d’offres, ils ont aussi jugé leurs réponses peu convaincantes et passe-partout.

Une fois le diagnostic des risques établi et les actions de prévention prioritaires décidées, il y aura encore de la place pour les prestataires. Même si un seul organisme est désigné pour collecter la part de cotisation dédiée à la prévention, il ne mettra pas en œuvre lui-même les actions décidées par la branche. En effet, les programmes relèvent en général de la responsabilité de professionnels de santé. Ils nécessitent par ailleurs la mise en place de plateformes d’accueil et de sites Internet spécialisés. Dans le cas des régimes de branche ayant déjà instauré des actions de prévention, telles la boulangerie et la coiffure, l’assureur s’est systématiquement reposé sur des prestataires spécialisés, comme l’Union française pour la santé bucco-dentaire (pour la prévention des caries) ou le cabinet Medialane (pour les problèmes respiratoires). Didacthem – devenu par ailleurs partenaire exclusif de l’assureur AG2R La Mondiale sur les sujets de pénibilité – a par exemple bien l’intention de développer une offre de prévention santé à destination des branches.

Auteur

  • Séverine Charon