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L’avenir de la prévoyance de branche reste incertain

Dossier | publié le : 03.06.2016 | Séverine Charon

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L’avenir de la prévoyance de branche reste incertain

Crédit photo Séverine Charon

Plus qu’en assurance santé, la disparition des clauses de désignation pose problème en prévoyance. La question de la pérennité des régimes existants n’est pas réglée.

Si l’accord national interprofessionnel de janvier 2013 institue le principe de la complémentaire santé pour tous, il prévoit aussi l’amélioration de la prévoyance via de nouveaux accords. Selon le texte, les branches qui n’avaient pas de couverture en ce domaine auraient dû engager cette année des négociations sur le sujet. Le résultat ? Pour l’instant, rien. Les branches dépourvues ne négocient pas et celles qui avaient déjà mis en place un régime préfèrent ne pas aborder le sujet.

Celui-ci est pourtant capital. Pour preuve, bien avant de négocier d’éventuels accords portant sur les frais de santé, les partenaires sociaux s’étaient emparés de la prévoyance. Sur 330 branches de portée nationale, quelque 260 disposent d’un texte en la matière. Parmi elles, environ 220 ont opté pour la désignation d’un ou de plusieurs organismes assureurs.

À l’image du BTP, qui pilote différents régimes permettant de couvrir toute la population du secteur (plus de 1,5 million de salariés) depuis des dizaines d’années. Dès l’origine, la branche a confié la gestion de ces régimes d’assurance à « son » groupe de protection sociale professionnel, Pro BTP. Lorsque le BTP va mal, les partenaires sociaux qui gouvernent l’organisme s’entendent sur un allégement des cotisations. En puisant dans les réserves accumulées lors des années plus fastes, histoire de donner un peu d’air aux entreprises et aux salariés. Un exemple marquant par son ampleur, mais loin d’être unique.

La mutualisation en danger

Plus que pour l’assurance santé, la disparition des clauses de désignation bouleverse le modèle de prévoyance en cours. Ces clauses permettent en effet d’organiser la mutualisation dans la branche en obligeant les entreprises à s’assurer auprès d’un organisme unique qui, en retour, ne peut refuser de couvrir une quelconque entreprise au tarif prénégocié par les partenaires sociaux. Des arguments que les tenants de la libre concurrence balaient d’un revers de main. Eux affirment que le marché permettra de faire aussi bien, et aura même un effet bénéfique, les entreprises étant encouragées financièrement à présenter un bon profil de risque. Selon eux, les clauses de désignation déresponsabilisent les adhérents, puisque tous se voient appliquer le même tarif.

Hélas, la suppression des clauses intervient dans un contexte défavorable. D’abord, le recul de l’âge de départ à la retraite induit une inflation de la sinistralité, pour cause de hausse des incapacités et des invalidités en fin de carrière. Ensuite, la baisse continue des taux d’intérêt pèse sur les comptes de ces régimes, gérés avec des perspectives de long terme. Résultat, la nouvelle donne implique des augmentations de tarifs bien réelles.

Les édifices érigés dans les branches pourraient même s’écrouler en quelques années. « Dès lors qu’une entreprise quitte un régime, la mutualisation diminue. La survenance de risques décès, incapacité et invalidité – qui sont de forte intensité –, associée aux contraintes techniques qui pèsent sur les engagements à long terme, peut causer des à-coups sur l’équilibre du régime et, par ricochet, sur les tarifs », prévient Jérôme Bonizec, directeur général d’Adéis. Des hausses de cotisation qui, à leur tour, peuvent entraîner de nouveaux départs d’entreprises adhérentes. Un cercle vicieux, en quelque sorte. « Sur la base d’une clause de recommandation, qui n’a qu’un caractère facultatif, un régime qui traverse une période de déséquilibre peut s’engager dans une spirale inflationniste entretenant progressivement sa démutualisation », insiste Jérôme Bonizec. Un scénario catastrophe.

L’option de la labellisation

Légalement, des accords avec clause de désignation, valables cinq ans, pouvaient être conclus jusqu’à la fin 2013. Selon les branches, les textes peuvent donc produire leurs effets jusqu’à fin 2018 au plus tard. Mais après, quelle solution adopter ? Pour le moment, les branches restent souvent indécises, et toujours discrètes. Certaines ont signé de nouveaux accords dans lesquels la recommandation succède à la désignation. Communiquant peu sur le sujet et ne claironnant surtout pas la date d’échéance de la clause de désignation, partenaires sociaux et assureurs en place espèrent que les entreprises ne se poseront pas la question de savoir si elles peuvent s’assurer ailleurs à un meilleur prix.

Entre la mutualisation la plus large, sans pilotage du risque, et la libre concurrence qui pousse à chercher le tarif minimal, il existerait pourtant d’autres solutions. « Les branches qui ont recouru à la labellisation ou au référencement les ont adoptés comme un pis-aller et en dehors de tout consensus paritaire. Pourtant, la labellisation pourrait permettre de mieux encadrer la mutualisation des risques en évitant le principe d’entrées/sorties des entreprises, comme dans le cas de la recommandation. Sans déposséder les partenaires sociaux, qui se trouveraient renforcés dans le pilotage du risque et la responsabilisation des acteurs », estime Jean-Philippe Allory, directeur général du cabinet Adding. Instaurer des périodes au cours desquelles une entreprise peut adhérer lui laisserait la liberté de contracter avec l’assureur de son choix. Mais l’empêcherait de sortir lorsqu’elle obtient un meilleur tarif à la concurrence, puis de revenir quand celui proposé par l’assureur recommandé redevient plus attractif.

Pour l’avenir se pose aussi la question de la prévoyance dans les branches dépourvues d’accord. Si tous les cadres sont couverts au moins sur le décès grâce au 1,5 % prévoyance – une cotisation obligatoire à la charge de l’employeur appliquée sur la tranche A du salaire, dans la limite du plafond de la Sécu –, ce n’est pas le cas des autres. Un sujet qui pourrait revenir sur la table à la faveur des discussions sur la fusion des régimes de retraite complémentaire Agirc et Arrco. Ou lors de la négociation interprofessionnelle annoncée sur la définition de l’encadrement. « Les partenaires sociaux devront alors notamment traiter de la modernisation du 1,5 % prévoyance. Ce qui pourrait entraîner concomitamment l’ouverture d’une négociation sur une couverture minimale pour les salariés non cadres », prédit Jérôme Bonizec.

Le rapport Libault, des recommandations sans suite

Dominique Libault, directeur de l’EN3S, a rendu à l’automne un rapport qui proposait des pistes pour éviter les risques liés à la disparition des clauses de recommandation. Et pour organiser la mutualisation des risques au niveau d’une branche. Connu pour ses positions très favorables aux clauses de désignation, l’ex-directeur de la Sécu avait reçu mission de la ministre de la Santé, Marisol Touraine. Son rapport comprend une dizaine de mesures portant à la fois sur la santé et la prévoyance. Dominique Libault y prône notamment, pour le risque prévoyance, la création d’un système de désignation aménagé. Il propose aussi la création d’une « convention collective de sécurité sociale » pour traiter de la protection sociale complémentaire des branches volontaires. Des pistes perçues comme un retour déguisé aux clauses de désignation par ses détracteurs. Pour l’instant, le document est resté lettre morte. La seule suite donnée aux recommandations qu’il contient a consisté à mettre en place un comité de suivi portant sur… la généralisation de la complémentaire santé et non la prévoyance !

Auteur

  • Séverine Charon