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Complémentaire santé, année zéro

Dossier | publié le : 03.06.2016 | Séverine Charon

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Complémentaire santé, année zéro

Crédit photo Séverine Charon

La généralisation de la complémentaire santé est effective depuis le 1er janvier. En théorie. Car la publication tardive des textes réglementaires et la complexité du dispositif pour les salariés précaires ont freiné sa mise en place.

Une complémentaire santé pour tous les salariés le 1er janvier 2016 ? Presque six mois après l’échéance, la promesse n’est pas tenue. De fait, le sujet est éminemment technique. Plusieurs dispositifs, comme les régimes spécifiques des salariés multiemployeurs (intérimaires et journalistes pigistes notamment), montent encore en charge. Et toutes les entreprises n’ont pas non plus mis en place le Chèque Santé. Destinée aux salariés qui demandent à être dispensés d’affiliation au contrat collectif de leur entreprise, cette aide financière concerne pourtant tous les employeurs du secteur privé. Sauf que ce dispositif n’a été précisé… qu’en toute fin de l’année 2015. Et c’est peu dire qu’il s’avère complexe. Les cas de dispense peuvent ainsi être prévus de plein droit (bénéficiaires de la CMU-C ou de l’ACS, contrats courts…), relever de la convention collective (temps partiel, apprentis, CDD de plus de trois mois…) ou encore de l’accord d’entreprise. « Les entreprises et leur expert-comptable sont encore en train de découvrir le dispositif du versement santé. Il faut notamment mettre en œuvre des changements dans les logiciels de paie pour procéder au calcul de l’aide à verser », explique Jérôme Bonizec, directeur général du groupement paritaire Adéis. Caillou supplémentaire, le dispositif concerne aussi près de 60 % des intérimaires. Ceux qui n’ont pas travaillé les quatre cent quatorze heures requises dans l’année 2015 pour avoir droit à la nouvelle couverture conventionnelle.

Trois ans et demi après la signature de l’accord national interprofessionnel (ANI) obligeant les entreprises à instaurer une couverture santé pour tous leurs collaborateurs, la généralisation a donc été plus délicate à mettre en œuvre que prévu. Au départ, pourtant, tout est allé très vite. Moins de six mois après sa signature, l’ANI était transposé dans la loi et l’obligation devenait applicable à toutes les entreprises, y compris celles ne relevant pas du champ de l’accord (agriculture, économie sociale et solidaire, professions libérales). Mais le processus s’est alors grippé, les clauses de désignation, communément insérées dans les accords de branche, étant censurées par le Conseil constitutionnel.

Négociations retardées

Si les lobbys patronaux ont leur part dans les ratés de la gestation du dispositif – les institutions de prévoyance n’avaient pas franchement les mêmes intérêts que les assureurs ! –, les pouvoirs publics ne sont pas non plus sans reproche. La publication des textes nécessaires à la définition du cadre global dans lequel devait s’inscrire la généralisation de la complémentaire a terriblement traîné en longueur. Le cortège des décrets et des circulaires s’est ainsi étiré jusqu’au 30 décembre 2015, soit deux jours seulement avant l’entrée en vigueur de la nouvelle obligation ! Aujourd’hui, il manque même encore un décret pour que le cadre soit complet…

L’échéancier initialement prévu n’a donc jamais été applicable. Il établissait que les négociations de branche devaient s’achever fin juin 2014 pour laisser la place au dialogue dans l’entreprise. Mais nombre de négociations conventionnelles se sont prolongées bien au-delà, jusqu’à la fin 2015, une fois connues les définitions des garanties minimales – correspondant au panier ANI – et celles du contrat responsable, qui donne droit aux exonérations fiscales et sociales.

En dépit de ce retard, les branches ont été nombreuses à s’emparer du sujet : une soixantaine sont parvenues à un accord. Parmi les plus importantes en termes d’effectifs, les bureaux d’études techniques (Syntec), le travail temporaire, les entreprises de propreté et le secteur sanitaire et social. « Il y a eu beaucoup de négociations engagées sur les frais de santé pendant l’année 2015 et la majorité ont abouti à un accord. Dans la mesure où plusieurs dizaines de branches avaient déjà mis en place des obligations conventionnelles avant l’ANI, entre 100 et 120 branches ont désormais mis en place une couverture qui leur est propre », résume Yves Trupin, associé du cabinet de conseil Actense.

Certains textes ont été signés dans les dernières semaines de l’année, et la procédure d’extension qui rend leur application obligatoire à toutes les entreprises publiée plus tard encore. Les partenaires sociaux des bureaux d’études techniques (80 000 entreprises, 910 000 salariés) ont ratifié leur accord le 7 octobre pour un arrêté d’extension publié le 7 décembre. Le travail temporaire (2 millions de salariés) a signé le dernier texte précisant la mise en œuvre le 14 décembre, et obtenu un arrêté d’extension le 24 décembre. D’autres accords pourraient allonger cette liste. À l’instar des professions libérales (750 000 entreprises et 1,8 million de salariés), qui ont entamé des négociations.

Des prestations modestes

De ces très nombreuses couvertures conventionnelles, quelle tendance retenir ? D’une manière générale, les accords ne différencient pas la couverture santé entre cadres et non-cadres. Parallèlement, en ces temps de restriction budgétaire, les garanties santé ne dépassent guère les planchers obligatoires de remboursements du panier de soins ANI. Et, pour la très grande majorité, ne couvrent que le salarié. Les cas isolés de Syntec, dont les garanties s’étendent aux enfants (pour une cotisation mensuelle de 45 euros), et des familles rurales, dont les prestations généreuses profitent aussi aux ayants droit (pour une cotisation proche de 100 euros), ne peuvent masquer le caractère modeste des textes ratifiés. De fait, les partenaires sociaux se sont accordés sur des cotisations mensuelles faibles, aux alentours de 32-35 euros, alors que le panier ANI coûte entre 25 et 30 euros.

Les avantages ? Ils se limitent le plus souvent à une prise en charge modique des dépassements d’honoraires, à un léger relèvement des prestations optiques ou à un forfait de quelques dizaines d’euros pour des actes non remboursés, comme l’ostéopathie. Bref, pas de quoi améliorer plus qu’à la marge le panier de soins minimal institué par l’ANI. « Le niveau des garanties le plus couramment observé dans les accords signés en 2015 atteste d’une vision minimaliste du sujet. Les organisations patronales ont cherché à limiter les impacts techniques pour les entreprises déjà équipées, et financiers pour celles qui n’avaient rien », analyse Jean-Philippe Allory, directeur général du cabinet Adding. « Une grande partie des branches ayant trouvé un accord ont institué une couverture à peine supérieure au panier minimal de l’ANI. Pour autant, cela constitue une avancée sociale, car le sujet fait désormais partie du champ des négociations », nuance Yves Trupin.

Un faible taux d’adhésions

Si les accords sont souvent « peu-disants », il y a aussi eu des échecs notables. Dans le BTP, le texte soumis à signature par la Fédération française du bâtiment n’a pas trouvé preneur. Et il a en plus conduit à une grosse fâcherie avec la Confédération de l’artisanat et des petites entreprises du bâtiment. Après avoir engagé puis abandonné des négociations courant 2015, la métallurgie les a reprises en 2016 pour finalement jeter l’éponge. Résultat, l’UIMM a unilatéralement procédé à une labellisation de contrats, dont on ne connaît pas encore le succès.

Du côté des employeurs, la multiplication des négociations et des accords n’a pas contribué à la compréhension du dispositif. Dans les petites structures, les chefs d’entreprise ont donc tardé à franchir le pas. De l’aveu même des assureurs, le flot des nouveaux contrats collectifs santé ne s’est d’ailleurs pas tari après le 1er janvier 2016. Preuve que la généralisation n’est pas achevée. Si certains salariés ne sont pas couverts parce qu’ils ont fait jouer un des multiples cas de dispense, d’autres ont aussi refusé le contrat d’entreprise au motif qu’il a été mis en place par décision unilatérale de l’employeur (DUE). Les travailleurs présents au moment de la DUE peuvent en effet demander à être dispensés d’adhésion, et pas seulement pour l’année en cours.

Et ils le font ! Dans le cas de la généralisation de la complémentaire santé, la situation ne s’observe pas que dans les seules TPE et PME. « Avant l’ANI, le taux d’adhésions atteignait couramment les 90 %. Il n’est aujourd’hui parfois que de 50 %. Les employeurs ont encore du mal à comprendre qu’ils doivent imposer la complémentaire santé à ceux qui n’en veulent pas s’ils ne se trouvent pas dans un cas de dispense », souligne Jérôme Bonizec, directeur général d’Adéis. « On observe avec les premiers chiffres une proportion de cas de dispense élevée, confirme Jean-Philippe Allory. « À l’inverse, un salarié sur deux qui accepte le contrat souscrit une option supplémentaire avec des garanties plus élevées. Ce qui tend à montrer que le besoin de couverture n’est pas systématique mais que, lorsqu’il y a un besoin, la couverture proposée n’est pas suffisante », ajoute ce dernier.

Un léger toilettage pour les grandes entreprises

En très grande majorité déjà dotées de garanties santé collectives, les grandes entreprises ont été moins touchées par la réforme. Dans leur cas, il s’agissait surtout d’adapter leur couverture existante pour entrer dans le nouveau cadre responsable. Indispensable pour bénéficier des exonérations sociales et fiscales. Si les textes prévoient en théorie une période transitoire jusqu’au 31 décembre 2017, beaucoup n’ont pas attendu la date butoir. En pratique, les employeurs ont préféré se conformer aux nouvelles règles au plus tôt, afin de ne courir aucun risque de redressement. Le toilettage a souvent consisté à adapter des garanties : écrêter les prestations optiques au-delà des plafonds, moduler le remboursement des dépassements d’honoraires…

Certains employeurs ont aussi dû aborder le sujet sensible du financement patronal quand il n’atteignait pas le seuil de 50 % de la couverture globale. Sur ce point, le flou a longtemps subsisté, mais une circulaire est venue confirmer que l’employeur devait financer la moitié de la couverture prévue par l’accord, y compris pour les éventuels ayants droit. Dans ce cas, deux voies ont été empruntées pour mettre aux normes les couvertures. Certaines entreprises ont travaillé à enveloppe financière constante et raboté les garanties, quitte à proposer des options facultatives financées par les salariés désireux de maintenir leurs niveaux de remboursement. L’autre méthode a consisté à affecter un budget supplémentaire au financement de la complémentaire santé et à l’introduire dans les éléments de la négociation annuelle obligatoire sur les salaires.

Auteur

  • Séverine Charon