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Pierre-René Lemas engage la mutation de la Caisse des dépôts

Décodages | publié le : 03.06.2016 | Manuel Jardinaud

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Pierre-René Lemas engage la mutation de la Caisse des dépôts

Crédit photo Manuel Jardinaud

Le directeur général impulse la transformation des politiques de l’emploi et des RH de la vénérable institution. Pour gagner en souplesse et adapter l’établissement aux évolutions de ses métiers et missions. Pas simple quand cohabitent les statuts public et privé.

Deux siècles qu’elle œuvre pour l’intérêt général. La Caisse des dépôts et consignations (CDC) fête cette année ses 200 ans. La vieille dame a changé de costume à de multiples reprises, tour à tour opérateur de la décentralisation dans les années 1980, puis bras armé de l’État face à la mondialisation dans les années 1990 et 2000. Elle accompagne aujourd’hui entreprises et collectivités locales dans les grandes transitions en cours : écologiques et énergétiques, numériques, territoriales, démographiques et sociales.

Quatre points cardinaux qui structurent la feuille de route du directeur général, Pierre-René Lemas. Nommé en mai 2014, l’ex-secrétaire général de François Hollande à l’Élysée doit donner le cap à un paquebot de 117 000 collaborateurs. Un groupe qui se déploie, via ses filiales, dans l’assurance (CNP Assurances), le transport (Transdev), le développement économique (Banque publique d’investissement), les loisirs (Compagnie des Alpes), l’habitat (Icade) ou le conseil et l’ingénierie (Egis). Cette galaxie gravite autour de la maison mère – l’établissement public proprement dit, riche de 5 500 salariés –, qui regroupe les directions historiques. Notamment celle des retraites et de la solidarité, qui gère les pensions des agents publics (50 % de l’activité) ; celle des fonds d’épargne, financeur du logement social, ou celle des services bancaires, qui intervient pour le compte de la Sécu. Ingénieurs, informaticiens, comptables, gestionnaires de fonds, traders… La Caisse des dépôts est un concentré de matière grise. Avec une particularité : y cohabitent deux statuts, des fonctionnaires et des salariés de droit privé. Un vrai frein en matière de GRH, les carrières étant entravées par des règles de mobilité différentes. Mais aussi par le cloisonnement des services, dans lesquels les directeurs gardent la haute main sur les politiques RH. Des obstacles que Pierre-René Lemas tente de lever. L’ancien préfet, âgé de 65 ans, s’est fixé comme objectif d’entraîner l’établissement public dans sa propre transition interne, celle des personnels cette fois. Afin de l’adapter à ses nouvelles missions. Comme la gestion – complexe ! – des emblématiques compte personnel de formation (CPF) et compte personnel d’activité (CPA). Deux dossiers chauds pour les équipes, regroupées sur les bords de la Seine, quai d’Austerlitz.

Un contrat social de trois ans

La charpente de la nouvelle politique sociale de l’établissement public tient en 31 pages. Un accord-cadre portant sur les années 2015 à 2017 qui, selon le DRH, Paul Peny, est « relativement proche d’un accord de gestion des emplois et des compétences, avec une dimension opérationnelle ». Ce texte de large portée traite des règles de mobilité géographique, des fins de carrière ou des politiques d’avancement. Et il a été signé par l’ensemble des organisations syndicales représentatives (Unsa, CFDT, CGT et CFE-CGC) en mars 2015. Ce dont n’est pas peu fier le DRH, un ancien de la RATP arrivé dans le sillage de Pierre-René Lemas, qui se décrit comme « bilingue », parlant aussi bien aux fonctionnaires qu’aux collaborateurs de droit privé.

Ce premier étage a enclenché une séquence dense de négociations. En un an, sept textes ont été soumis aux syndicats. « Une méthode lourde, avec des petits accords qui auraient pu être directement mis dans l’accord-cadre », commente Luc Dessenne, de l’Unsa. Ainsi, la simple question de l’harmonisation des jours de congé pour la naissance d’un enfant – une problématique typique d’une structure à deux statuts – a mobilisé les négociateurs durant quatre réunions ! Son homologue cédétiste, Patrick Borel, se montre, lui, plus positif, vantant « une intelligence de forme et une méthode pragmatique ». En tout état de cause, le dialogue social de la maison s’en est trouvé revivifié.

Signé en janvier, l’accord relatif aux parcours professionnels et à la mobilité individuelle constitue le plat de résistance. Objectif : élaborer des règles RH qui permettent de retrouver un équilibre entre collaborateurs de droit public (deux tiers) et sous contrat privé (un tiers), de stabiliser les effectifs, de maîtriser les recrutements (500 embauches prévues en trois ans) et de plafonner le nombre de contrats courts. « Ce rééquilibrage vise à mettre fin à l’inflation des recrutements dans le secteur privé, depuis 2008, et à traduire l’appartenance forte de la Caisse à la sphère publique », explique Jacqueline Poincelet, directrice des politiques de l’emploi, de la rémunération et du développement des compétences. Deux priorités de la maison mère pas si simples à faire accepter. Par exemple lorsqu’on pousse la direction du service bancaire à recruter, hors compétences rares, au sein du service public plutôt que dans le privé. « Cela met le système en tension et bouscule les métiers », reconnaît Paul Peny.

De nouvelles règles de mobilité

À défaut de révolutionner la culture de l’établissement, l’accord dit de mobilité fixe une nouvelle doctrine, dont l’établissement public manquait cruellement. Priorité aux mouvements internes, à l’adaptation aux postes et aux recrutements de fonctionnaires. Et, surtout, introduction d’une batterie d’indicateurs de suivi afin de vérifier le respect du nouvel accord. « Nous avions besoin d’un consensus sur les règles du jeu », se réjouit Paul Peny. D’autant plus qu’il implique la mise en place d’un vrai contrôle de gestion sociale.

Une sacrée nouveauté. Au total, 31 indicateurs quantitatifs et qualitatifs – audit des fiches de poste, nombre de conseils en orientation effectués, pourcentage de recruteurs formés – ont été définis. Ils seront scrutés par une commission de suivi, qui se réunira quatre fois la première année et pourra proposer des ajustements. Une très bonne chose, selon la CFDT (29 % des voix aux élections professionnelles). « Les règles de mobilité répondaient trop souvent à des usages non écrits. Par exemple, rester trois ans au même poste avant toute possibilité de bouger », explique Patrick Borel. « Pourtant, cette clause de durée minimale n’existait pas dans les textes », enchérit Salomé Vaillant, déléguée syndicale Unsa (30 % des voix). Une règle non formulée contre laquelle les syndicats ont bataillé pour qu’elle ne figure pas dans l’accord. Avec succès.

Selon Jacqueline Poincelet, le nouveau corpus a redonné de la souplesse à l’établissement en matière de mobilité. Fini, les quatre à six mois incompressibles pour mener à bien un quelconque transfert d’un service à un autre ! Même si tout n’est pas rose. « Les mobilités sous le manteau continuent. Il est difficile de revenir sur quinze ans de pratique », nuance Luc Dessenne. Par ailleurs, tous les obstacles n’ont pas disparu. L’évolution professionnelle des personnels relevant du secteur public reste ainsi soumise à une commission paritaire, tout comme les recrutements externes aux règles de détachement ou à la réussite d’un concours.

Des freins impossibles à contourner, comme l’explique Jean-François Frère, responsable du département gestion et comptabilité à la direction des prêts et de l’habitat. « En tant que manager, je parle objectifs, résultats, compétences. J’ai également besoin d’un minimum de bagage sur la mécanique des statuts qui détermine l’évolution professionnelle des agents », explique le responsable, qui a dans ses équipes des collaborateurs des deux statuts. Autre disparité de taille, les rémunérations. La politique salariale diffère entre ceux du public et ceux du privé, notamment en matière de primes liées aux résultats, qui ne profitent qu’à 20 % des fonctionnaires. Une réflexion sur une meilleure harmonisation est en cours. Mais, prudent, Paul Peny n’a pas voulu s’y attaquer lors du premier round de négociation.

Une organisation RH repensée

L’accord mobilité a une conséquence directe sur l’organisation des ressources humaines. Le pôle RH central a été grandement renforcé, sous la responsabilité de Jacqueline Poincelet. « Il gère quasiment l’ensemble des collaborateurs de la Caisse, explique la patronne du service. Nous avons une vision à 360 degrés des candidats et des postes. » Une centralisation que vient compléter une trentaine de conseillers RH, chargés d’accompagner les directions dans leurs projets de recrutement et de mobilité. « Auparavant, chaque direction travaillait un peu comme une PME indépendante, ce qui encourageait une forme d’endogamie. L’évolution est très significative, elle bouscule beaucoup les RH de proximité, dont le métier évolue », analyse Jacqueline Poincelet. Un changement qui ne va pas encore assez loin, selon Luc Dessenne, de l’Unsa. « Nous aurions souhaité que les conseillers RH auprès des métiers n’aient pas de lien hiérarchique avec les directeurs et soient directement rattachés à la DRH », explique le syndicaliste. Une façon plus radicale d’éviter les petits arrangements entre amis.

Les managers semblent néanmoins se mettre au diapason. « Aujourd’hui, avec le conseiller RH, nous avons un interlocuteur identifié. Cela facilite les mobilités car il connaît la population, les métiers et ses besoins », admet Angele Calabrese-Vidal, responsable affaires générales et gouvernance à la direction des retraites et de la solidarité. « Cela facilite les recrutements car le pôle central dispose d’une vision transversale et intermétiers. S’y ajoute la bonne connaissance des compétences qu’ont développée les conseillers RH », abonde Jean-François Frère. Reste que l’organisation est toujours en rodage. Et qu’elle doit encore faire ses preuves.

En chiffres

26,3 MILLIARDS D’EUROS d’investissements en 2015.

117 000 salariés groupe, dont 5 500 au sein de l’établissement public.

Source : Caisse des dépôts.

Auteur

  • Manuel Jardinaud