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Méditer pour chasser le stress

À la une | publié le : 03.06.2016 | Catherine Abou El Khair

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Méditer pour chasser le stress

Crédit photo Catherine Abou El Khair

La méditation s’invite aujourd’hui au bureau, dans une version modernisée. Outre la gestion du stress, ses promoteurs vantent ses effets sur la performance et les relations de travail.

Dans une salle aux murs nus, mi-avril à Paris, une centaine de salariés, coachs et curieux s’apprêtent à assister à un séminaire quelque peu inhabituel. Foin de grands discours, les travaux pratiques débutent immédiatement. Assis bien droit sur leur chaise, pieds vissés au sol, yeux fermés ou mi-fermés, les participants commencent par un « exercice d’attention » de cinq minutes pour prendre conscience de leur respiration. Le séminaire est conduit par deux spécialistes de la « pleine conscience », venus des États-Unis. La formation, baptisée Search inside yourself, a été développée par Google et l’un de ses good fellows, Chade-Meng Tan, il y a quelques années. Elle a un tel succès que Google a créé une école dédiée et certifie des coachs.

En silence, le public applique les conseils de Laurie Cameron, l’animatrice : « Sentez l’espace entre deux respirations de votre ventre. » Inspirer, expirer et, lorsque des pensées viennent polluer l’esprit, se reconcentrer sur sa respiration… Cette technique est au cœur de la formation et vise un entraînement de l’attention, une meilleure connaissance de soi et une ouverture aux autres. Objectif : développer « l’intelligence émotionnelle » et le « leadership » des collaborateurs. Elle s’appuie sur une pratique de la méditation dite de pleine conscience, ou mindfulness, qui prend son essor en France. À Lille ou en Rhône-Alpes, les antennes locales du Centre des jeunes dirigeants l’expérimentent. « Cette année, nous avons inscrit 120 dirigeants », témoigne Sylvie Blanc, membre du CJD et responsable de la commission mindfulness. Des écoles de commerce comme HEC ou l’Insead accueillent des conférences sur la méditation, d’autres, tel Grenoble École de management, l’enseignent et en étudient les effets. Enfin, des entreprises – Airbus, la Maif, Sodexo –, la pratiquent. Parmi les pionniers, le Groupe Casino, qui propose une formation depuis 2011. Quelque 2 000 personnes l’auraient suivie, selon Phil Dat Phan, coach en méditation, qui travaille sur ce sujet pour le distributeur.

« Effet de mode »

Selon l’Association pour le développement de la mindfulness, qui fait référence dans cette discipline peu encadrée en France, la pleine conscience consiste à « diriger son attention d’une certaine manière, c’est-à-dire : délibérément, au moment voulu, sans jugement de valeur ». « La méditation peut provoquer une détente, mais ce n’est pas un objectif en soi. C’est une pratique d’introspection, de présence à soi », complète le coach Thomas Emmanuel Gérard. « C’est un entraînement de l’esprit », confirme Yves Le Bihan, président de l’Institut français du leadership positif, qui forme des collaborateurs, cadres et dirigeants. Théorisée aux États-Unis, la pleine conscience a d’abord été utilisée dans les hôpitaux pour traiter les dépressions et prévenir les rechutes. Étudiée par des scientifiques pour ses effets sur le cerveau, elle s’est, depuis, démocratisée.

Aujourd’hui, des coachs toujours plus nombreux proposent des initiations à la méditation en entreprise. Faudra-t-il, si cette pratique fait mouche dans l’Hexagone, s’attendre à voir des collègues en position du lotus dans des salles de réunion ? Il est trop tôt pour le dire. « Mais il y a clairement un effet de mode », affirme Yves Le Bihan. Les spécialistes de la pleine conscience en entreprise travaillent en tout cas à en présenter une version laïque, indispensable pour percer le marché français. « Si la méditation est associée au bouddhisme, c’est parce que les scientifiques se sont d’abord basés sur les bouddhistes, qui y ont recours pour mener leurs études. Mais les pratiques méditatives existent aussi en Occident », explique Dominique Steiler, titulaire de la chaire Mindfulness, bien-être au travail et paix économique à l’EM Grenoble.

Régler des soucis

De fait, les préjugés existent sur la méditation, encore mal vue en France, en particulier dans l’entreprise, qui ne laisse guère de place à l’introspection des salariés. « Elle est perçue comme une pratique égocentrique », admet Sébastien Henry, qui forme des cadres dirigeants. Pour casser cette image, les spécialistes mettent en avant les bienfaits concrets de la pleine conscience sur les relations de travail, l’efficacité professionnelle et le bien-être. Utile devant des DRH ou des comités exécutifs qui pourraient juger la pratique nébuleuse. Voire sectaire. « On travaille la place de l’ego. Il est présent et tend à façonner les décisions », explique Sébastien Henry, auteur de Ces décideurs qui méditent et s’engagent (éditions Dunod, 2014). Selon lui, la méditation permettrait de prendre des décisions « plus justes et plus rapides », qui émergent d’un « silence intérieur ». « La mindfulness est un catalyseur », résume Anne-Sophie Pastel-Dubanton, fondatrice du site Aufeminin.com, aujourd’hui coach certifiée auprès du Search inside yourself leadership institute.

Au dire de ses promoteurs, chacun pioche ce dont il a besoin dans la pleine conscience : être plus attentif, se sentir plus heureux, mieux gérer le quotidien, les relations avec les collègues, stimuler l’esprit d’équipe… Salariée d’une entreprise pharmaceutique et initiée à la méditation sur son lieu de travail, Laurence Leung Tack utilise jusqu’à sept déclinaisons de la méthode, qui peut se pratiquer de manière formelle, en étant allongé, assis, ou en exécutant certains mouvements. Mais aussi en marchant, pendant une réunion ou la pause déjeuner. « Parfois je mange seule en prenant conscience du goût des aliments », explique cette cadre, qui indique méditer « plus de quarante-cinq minutes par jour » en cumulant les exercices au cours de la journée.

Gestion du stress

Mais, du côté des salariés, tous ne sont pas aussi fondus. L’objectif reste, le plus souvent, de régler d’abord quelques soucis très concrets de la vie de bureau. « Les principales attentes des participants concernent la gestion des émotions, la prise de recul et la gestion du stress, ainsi que la découverte d’une nouvelle pratique », explique Thomas Emmanuel Gérard, qui a récemment formé plus d’une vingtaine de salariés chez Airbus.

« Dans le contexte du travail, on est bombardés par des milliards de choses à faire, à cause du multitâche et du travail en réseau. Dans les open spaces, il est difficile de se concentrer à cause du bruit. La méditation aide beaucoup à créer de l’espace pour une meilleure clarté d’esprit », témoigne Florence, qui pratique la pleine conscience « entre midi et deux ». Laurent, agent de maîtrise dans un grand groupe, est venu à la méditation après un burn out. « Dès que la pression monte, je médite. J’ai tellement vécu le stress que je l’évite à tout prix. Je me mets en position du lotus, puis je commence à prendre conscience de ma respiration. Je me reconnecte aux bruits, aux odeurs. » « Le surmenage m’a conduit à pratiquer la méditation, enchérit Harith. Aujourd’hui, je peux dire que c’est beaucoup plus qu’un outil de gestion du stress. Je ne me laisse plus traîner par ses pensées. Je suis posé, confiant, je vois loin », confie le cadre. Tel « un alpiniste en haut de la montagne »…

Auteur

  • Catherine Abou El Khair