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Les nouvelles voies du bien-être

À la une | publié le : 03.06.2016 | Anne-Cécile Geoffroy

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Les nouvelles voies du bien-être

Crédit photo Anne-Cécile Geoffroy

Les entreprises découvrent des pratiques soft qui permettent de gérer ses émotions et d’améliorer sa concentration. Objectif ? Doper le bien-être et l’efficacité des salariés. Une approche très individuelle de la prévention.

Le groupe Volvo avait jusqu’ici gardé l’initiative discrète. Depuis deux ans, à Saint-Priest, près de Lyon, un petit groupe de salariés de l’industriel pratique la méditation de pleine conscience. En anglais, la mindfulness. Tous les vendredis, sur le temps du repas, ils poussent les tables et les chaises d’une salle de réunion et s’adonnent à cette technique de concentration développée par Jon Kabat-Zinn, professeur de médecine américain.

Au début, il s’agissait pour l’équipe d’Anne-Lyse Ruis-Belles, directrice santé et sécurité du groupe, et Jean-Luc Ginot, son homologue pour la France, de participer à une recherche scientifique conduite par Grenoble École de management. « Nous y sommes allés par curiosité, pour comprendre comment cette pratique pouvait améliorer la capacité de concentration d’un individu, sa relation aux autres, la qualité de son travail. Et les retours ont été très positifs en ce qui concerne la compréhension des émotions qui nous gouvernent, l’attention, le lâcher-prise », explique la responsable. Sur la vingtaine de salariés volontaires, une dizaine poursuit l’expérience. Et un deuxième petit groupe vient de se constituer.

À l’image du constructeur suédois, d’autres entreprises s’aventurent sur le terrain délicat du bien-être physique et surtout mental de leurs troupes. Après avoir investi dans des conciergeries, des crèches et des salles de sport, les voilà qui commencent à porter leur regard sur des techniques plus « douces ». Méditation, sophrologie, cohérence cardiaque, psychologie positive, relaxation, yoga, qi gong… Des entreprises aussi différentes que Sanofi, Ubisoft, l’Institut de veille sanitaire, Allo Resto, le fabricant de produits bio Léa Nature, les laboratoires Baxter, la Maif, Airbus Helicopters engagent des programmes « pilotes » ou initient des actions. Voire signent des accords avec leurs syndicats pour tester au travail ces outils d’un nouveau genre. Selon l’enquête mondiale menée par le cabinet de conseil Willis Towers Watson sur les priorités stratégiques des employeurs en termes de bien-être au travail, la tendance devrait s’accentuer. D’ici à 2018, plus des deux tiers des entreprises interrogées envisagent d’instaurer une culture de la santé et du bien-être.

Dans l’Hexagone, la tendance est émergente et accompagne un glissement sémantique. Confrontés aux risques psychosociaux (RPS) au milieu des années 2000, ne sachant comment traiter ces questions de mal-être, les employeurs ont investi le thème plus « positif » de la qualité de vie au travail puis lui ont adjoint, ces dernières années, celui du bien-être et même du bonheur. « Lorsque les entreprises ont eu l’obligation de mener des audits sur le stress au travail, elles se sont trouvées très exposées. Personne ne s’était vraiment occupé de cette question et le sujet faisait peur. Parler du bien-être permet d’entrer dans ce débat en évitant le danger », analyse Dominique Steiler, titulaire de la chaire Mindfulness, bien-être au travail et paix économique de l’EM Grenoble. « La bonne nouvelle, c’est que les entreprises sont sorties du déni du stress et des risques psychosociaux. Elles savent et reconnaissent qu’elles peuvent être maltraitantes dans des phases de réorganisation », souligne de son côté Laurence Bibas, enseignante certifiée en mindfulness-based stress reduction (MBSR). Cette ex-consultante du cabinet Technologia a longtemps formé les entreprises et les élus du personnel à la détection du stress chez les salariés avant de proposer aux entreprises des programmes de méditation. « Ces techniques permettent de prendre conscience des ressources et des stratégies que chacun peut développer pour mettre à distance les effets du stress », explique-t-elle.

Pensée magique

Pour le moment, les entreprises ne se bousculent pas pour faire savoir qu’elles engagent de tels programmes. Dans le monde très cartésien des dirigeants et managers français, ces méthodes restent perçues comme incongrues ou suspectes. Ou relevant du gadget RH. Armelle Carminati-Rabasse, responsable de la commission innovation sociale et managériale du Medef, se souvient encore du SMS interloqué du patron du groupe immobilier dans lequel elle travaillait : « En quoi consiste ce “truc” de mindfulness dans lequel sont embarqués 12 hauts potentiels ? » « T’inquiète, c’est pour devenir des Jedi », lui avait-elle alors répondu du tac au tac. « J’ai travaillé en clandestine sur ce sujet. Parler de capital vitalité ou d’émotions dans l’entreprise n’a rien d’évident. Or savoir gérer ses émotions, s’accorder des temps de pause pour mieux se régénérer est essentiel et ne relève en rien du gadget », assure-t-elle.

Il a fallu trois présentations et les témoignages des hauts potentiels se sentant plus efficaces au travail pour que le directoire du groupe immobilier donne son feu vert à d’autres expériences. À la tête de l’agence de communication CoSpirit, Florian Grill est, lui, adepte de la sieste flash. Cet ancien sportif de haut niveau pratiquant aussi la visualisation n’a pas eu besoin de longs discours pour partager ces techniques avec ses consultants. Il a ainsi aménagé une salle de sieste dans son entreprise « pour que les salariés puissent faire des breaks et remettre leur cerveau à l’endroit. Quand on sait que ce dernier travaille davantage au repos qu’en pleine activité, favoriser cette pratique est finalement ultrarationnel », explique-t-il.

Mieux utiliser ses performances cognitives en s’éclipsant dix minutes pour une sieste ou en méditant deux fois par semaine peut-il transformer des salariés épuisés en winners ultraperformants ? Répondre par l’affirmative relève un peu de la pensée magique. Et porte le risque de laisser l’individu seul responsable de son bien-être ou de son mal-être au travail. « Le bien-être et le bonheur au travail doivent être une fin en soi. La question de la performance doit être perçue comme secondaire », souligne Béatrix Jounault, secrétaire générale du think tank la Frabrique Spinoza. « Attention à l’idéologie du bien-être et à son approche très individuelle et subjective, pointe Julien Pelletier, responsable de la priorité qualité de vie au travail à l’Anact. L’entreprise risque de se transformer en prestataire d’activités et de ne plus penser à l’organisation et au contenu du travail. À l’Anact, nous croyons plus à l’idéologie du bien faire, qui permet au salarié de gagner en autonomie dans son travail. »

Chez Volvo, les promoteurs de la mindfulness se défendent de toute vision purement individualiste. « Cette pratique pose forcément des questions. Ne brouille-t-elle pas encore davantage la frontière entre vie professionnelle et vie personnelle ? L’entreprise ne cherche-t-elle pas à se déculpabiliser en renvoyant la gestion du stress à la seule responsabilité du salarié ? Oui, la méditation est une façon d’outiller l’individu. Mais cela ne dédouane en rien l’entreprise de sa responsabilité de ne pas générer de souffrance au travail », insiste Lise Peillod-Book, vice-présidente de la learning expertise de l’université du groupe Volvo.

Pour ne pas tuer le projet dans l’œuf, Volvo a adopté la stratégie des petits pas. « Il n’est pas question pour le moment de décliner ce programme à grande échelle. Nous avançons doucement et humblement, toujours sur le principe du volontariat », précise Anne-Lyse Ruis-Belles. Pas de communication interne, juste le bouche-à-oreille. D’ici à juin, quelques volontaires d’autres pays pourront s’initier et pratiquer la méditation en groupe une fois par semaine pendant vingt minutes. Le constructeur teste également auprès d’une centaine de salariés (en France, en Suède, en Angleterre) deux applications d’entraînement mental qui mêlent des exercices d’autohypnose, de sophrologie, de psychologie cognitive. « Ces initiatives arrivent en complément de ce que nous faisons déjà depuis huit ans dans le cadre de notre plan de prévention du stress. Elles ne s’y substituent pas », insiste Jean-Luc Ginot, responsable santé et sécurité de Volvo en France. Si certaines entreprises se laissent tenter, c’est aussi parce que ces pratiques s’articulent bien avec la philosophie du troisième plan santé au travail du gouvernement. Lancé en décembre 2015, il fait du développement de la culture de la prévention en entreprise son premier axe stratégique.

Respiration lente

Jean-Paul Babey, directeur général du groupe de protection sociale Alptis (500 salariés) n’a pas attendu les pouvoirs publics. Adepte des méthodes alternatives, il a ouvert les portes de son entreprise à un ostéopathe voilà quatre ans. Depuis, il propose aussi des ateliers « découverte du qi gong » et « bienfaits de la sieste » ou des conférences philosophiques autour de l’enthousiasme au travail. Pour compléter cette artillerie, ses commerciaux ont été initiés à la cohérence cardiaque, une technique de respiration lente qui permet d’évacuer le stress. Et ils testent l’application My Mental Training Pro, qui doit les aider à préparer des situations professionnelles parfois stressantes. « Ce qui m’importe avant tout, c’est que les salariés apprennent à gérer leurs émotions, leurs déceptions. Il s’agit aussi pour l’entreprise d’être en cohérence avec le message qu’elle fait passer à ses clients. Nous en appelons à leur responsabilité pour qu’ils restent en bonne santé en adoptant une vie saine. Nous devons montrer l’exemple », explique le DG d’Alptis.

Dans son tout récent accord sur la qualité de vie au travail, Airbus Helicopters a consacré un volet à la question du bien-être. Ainsi, 400 000 euros seront débloqués sur deux ans pour financer des activités. « Ces actions s’inscrivent dans un plan plus large de promotion de la santé et de la sécurité de nos salariés. Il ne s’agit pas d’imposer quoi que ce soit. Se soucier du bien-être est le gage d’une entreprise performante », explique Roxane Randazzo, la responsable santé, sécurité, environnement. Les salariés allemands et français d’Airbus Helicopters vont pouvoir bénéficier d’une initiation au yoga, au Pilates, à la méditation, ou encore au renforcement musculaire pour prévenir les troubles musculo-squelettiques. Charge à ceux qui le souhaitent de poursuivre l’expérience en dehors de l’entreprise. Une façon de bien délimiter la frontière entre le personnel et le professionnel.

“La méditation influe sur le fonctionnement du cerveau” Aroldo Ayub Dargél Psychiatre, chercheur au laboratoire Perception et mémoire de l’Institut Pasteur

Pourquoi les neuroscientifiques s’intéressent-ils à la méditation ?

La mindfulness associe des techniques de différents courants, comme la méditation ou la psychologie positive. Trois minutes de pratique par jour peuvent suffire pour modifier la régulation des émotions. Cela influe sur la qualité de la « conversation » qu’entretiennent les parties de notre cerveau. Notamment le cortex frontal, dont la fonction est de contrôler les émotions.

La méditation a des effets physiologiques ?

Les scientifiques ont longtemps cru que le corps et l’esprit ne communiquaient pas. C’est faux. On sait par exemple aujourd’hui que la méditation peut moduler l’activité du nerf vague, qui convoie des informations motrices, sensitives, sensorielles. Par ailleurs, quand on contrôle sa respiration, le cerveau l’interprète comme un signal positif. Et il réduit la production de cortisol, l’hormone du stress.

Dans quelles conditions la méditation joue-t-elle sur le bien-être ?

Il faut la pratiquer sur le long terme pour constater une amélioration des différents marqueurs physiologiques comme la fréquence cardiaque. Le cerveau est un organe complexe capable de changer. Il a une vraie plasticité. Les expériences que nous menons à l’Institut Pasteur montrent qu’après cinq jours de nouvelles pratiques quotidiennes le cerveau commence à créer des connexions entre neurones. Et cela à tout âge. Comme tout muscle, il faut entraîner son cerveau régulièrement pour l’entretenir. Néanmoins, il nous manque encore des données quantitatives. Les entreprises qui mettent actuellement en place des programmes sur la méditation de pleine conscience ne sont pas en capacité d’en mesurer les impacts physiologiques sur leurs salariés.

Quels dangers menacent le cerveau ?

C’est un organe fait pour comprendre et non pour savoir. Or, depuis l’apparition du Web au milieu des années 90, nous sommes entrés dans la société du savoir. L’information nous arrive sans qu’on aille la chercher. Au travail, les salariés sont interrompus dans leur tâche en moyenne toutes les deux minutes. Qui n’a pas reçu le fameux mail « pour info » dont on n’a que faire ? Cette société du savoir pousse notre cerveau à se mettre en mode automatique, ce qui favorise la routine et tue la créativité.

Quel rôle le manager peut-il jouer auprès des salariés ?

Celui d’un manager neuro-amical, qui se soucie de générer le désir chez ses collaborateurs. Une telle attitude conduit à des changements physiologiques chez ces derniers : elle fait varier leurs niveaux d’ocytocine, de cortisol et de sérotonine. Le bon manager, c’est celui qui rythme le travail et l’organise, installe le désir plus que le plaisir. C’est la clé pour favoriser l’engagement et la reconnaissance.

Propos recueillis par Anne-Cécile Geoffroy

Auteur

  • Anne-Cécile Geoffroy