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La grande foire des méthodes douces

À la une | publié le : 03.06.2016 | Catherine Abou El Khair

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La grande foire des méthodes douces

Crédit photo Catherine Abou El Khair

Ateliers de relaxation, de yoga, de méditation, thérapies cognitives… Pour répondre au mal-être au travail, des prestataires en tout genre toquent à la porte des entreprises. Un marché balbutiant.

Quand on est prof de yoga, masseur ou sophrologue et qu’on cherche à travailler en entreprise, mieux vaut ne pas manquer certains rendez-vous. En particulier la Semaine pour la qualité de vie au travail (QVT). « C’est un moment important pour nous, on a alors beaucoup de demandes », confirme Isabelle Hastings. Fondatrice de Magic Monday, elle proposera, entre les 13 et 17 juin prochains, des ateliers de sophrologie et de rigologie en milieu professionnel. Avec l’espoir de les compléter, ensuite, par des formations plus pointues en qualité de vie au travail et en risques psychosociaux (RPS). « Les entreprises ont aussi besoin de prestations pratico-pratiques. Il faut qu’elles communiquent aux salariés leur vision du bien vivre au travail », insiste l’entrepreneuse.

Après le business des audits en RPS, voici donc venu le marché du bien-être. Un créneau nouveau, sur lequel les prescripteurs sont multiples : DRH, responsables de la QVT ou de la santé au travail, élus de comité d’entreprise… Quelques « grossistes » du bien-être en entreprise ont étoffé leur catalogue en proposant ateliers de relaxation, massages ou conférences. Tels Pass-Zen Services, Well Ideas, Obiance, Les Ateliers durables ou La Pause Santé. À côté d’eux, des indépendants : coachs, anciens cadres d’entreprise, fans de shiatsu ou de méditation, professionnels de santé.

Chacun vend aujourd’hui sa méthode, qu’elle soit corporelle ou axée sur le mental, pour aider les salariés à se sentir plus heureux au travail. Ou simplement pour déstresser. Leur point commun ? Tous sont des partisans de l’approche anglo-saxonne du bien-être au travail, centrée sur l’individu, qui s’est développée via des programmes d’assistance aux employés. Et tous, aussi, se voient un bel avenir : selon eux, les employeurs tricolores ne pourront guère se passer de leurs services à l’avenir s’ils continuent à faire trimer leurs troupes aux mêmes cadences. « Changer les structures prend des années. Les entreprises ont besoin de solutions d’attente », explique Isabelle Hastings, de Magic Monday. « Les prestations des cabinets de management coûtent trop cher », abonde Arnaud Selosse, fondateur de Well Ideas, qui, depuis 2011, multiplie les offres en tout genre.

Entreprises méfiantes

Encore faut-il convaincre les employeurs du bien-fondé de ces techniques. Dans la foulée de la publication du rapport Lachmann sur le « bien-être et l’efficacité au travail », Shahine Ismaïl s’est lancée sur le créneau. Et a constitué un réseau national de 240 praticiens en « techniques psychocorporelles ». « La difficulté, c’est de trouver des clients, de décrocher les contrats, explique la fondatrice de L’Arbre de vie, experte en shiatsu. Dans les groupes, les processus de décision sont longs, il n’est pas facile d’identifier les bons interlocuteurs. Le bien-être au travail est dans l’air du temps mais les entreprises restent frileuses. »

« Marché bourgeonnant », qui « part dans tous les sens », « QVT cosmétique »… Lorsqu’on les interroge, les responsables RH ou qualité de vie au travail – ils préfèrent tous rester anonymes – n’accordent guère de crédit à ces pratiques. Et se méfient des prestations offertes par des individus isolés, hors de toute structure. S’il arrive à de grands groupes de consommer du massage ou des ateliers de relaxation, c’est à bas prix et de manière ponctuelle… Pas simple, dès lors, pour les acteurs de trouver la bonne porte d’entrée. Des difficultés que la fondatrice du salon VitaeLia, créé il y a deux ans sur le créneau du bien-être professionnel, a touchées du doigt. « En 2014, nous avions trop misé sur le corps et les massages. L’an dernier, nous avons fait fausse route avec l’ergonomie. Pour cette année, nous sommes à la recherche d’approches novatrices, tournées vers les nouvelles technologies », explique Caroline Larbaudie-Gorroz.

La jungle !

À la décharge des entreprises, faire le tri entre les prestataires relève du casse-tête dans un marché en manque de repères. « Un naturopathe m’a sollicitée. Mais comme sa médecine n’est pas reconnue, je n’ai pas donné suite », témoigne Florence Quentier, DRH du groupe Up. La qualification des praticiens ou des coachs pose problème. Sans de solides arguments pour justifier ce type de prestations, impossible de convaincre les dirigeants de tenter l’expérience. Or, en la matière, c’est la jungle ! Même le yoga, pourtant très en vogue et connu de longue date, ne figure pas dans le répertoire national des certifications professionnelles.

Aujourd’hui, l’État commence à peine à reconnaître quelques formations : les sophrologues depuis 2012, les masseurs sous le vocable de « praticiens bien-être » depuis 2014, les réflexologues et spécialistes du shiatsu depuis 2015… Pour l’instant, les écoles qui délivrent ces titres sont peu nombreuses. « Et le niveau de formation est très bas en France, comparé à ce qui se pratique en Asie », estime Lambert Hô, d’Ergotonic, qui vend depuis plus de quinze ans des ateliers de massages et de gestion du stress en entreprise.

Pour séduire, à chacun ses ficelles. Les uns font preuve d’imagination, les autres maîtrisent l’art du référencement sur le Web, les derniers présentent de solides arguments et des garanties sur le professionnalisme des intervenants… « On s’appuie par exemple sur le yoga ou les arts martiaux pour vendre les philosophies auxquelles ces pratiques sont associées », confie le coach Raphaël Mayeux, qui propose des prestations sous la marque Le Ki Dojo. Chez Greenworking, au contraire, on chasse tout exotisme pour mieux mettre en avant les effets concrets des techniques de développement personnel. « Les clients veulent qu’on leur explique que ces outils sont un vecteur de performance. Ça fait fonction d’alibi », justifie Olivier Brun, directeur associé de ce cabinet de conseil en bien-être au travail. L’un des rares, avec Stimulus, à proposer des ateliers s’appuyant sur la psychologie positive, la pleine conscience, des thérapies comportementales et cognitives. Du côté d’Akayogi, spécialiste du yoga et de la méditation, on mise sur les effets « mesurables » des ateliers sur les troubles musculo-squelettiques, l’insomnie ou la capacité de concentration des salariés.

Chèque santé

Enfin, d’autres prennent le cap du numérique en proposant des applications de méditation guidée, comme Petit BamBou ou My Mental Training Pro. « Les budgets de formation ont été drastiquement réduits. Il faut rendre accessibles des exercices avec un minimum de temps de présentiel », note Jean-Christophe Beau, concepteur de la dernière nommée, qui s’est appuyé sur des experts en programmation neurolinguistique, en sophrologie et en développement personnel. Le marché pourrait-il se structurer encore ? Voilà le pari de Vincent Daffourd, dirigeant de Care Labs. À l’instar des titres-restaurants ou des Chèque Culture distribués par les entreprises, sa start-up a lancé le Chèque Santé, un titre prépayé de prestations de santé en entreprise ouvert aux médecines non conventionnelles : art-thérapeutes, hypnotiseurs, naturopathes, profs de yoga, de shiatsu…

L’entreprise, qui a levé 2 millions d’euros, notamment auprès du Crédit agricole, vient de signer des partenariats avec deux mutuelles pour que ces prestations soient accessibles en tiers payant. « On va permettre à des milliers de thérapeutes d’exercer dans de meilleures conditions et nous allons tirer vers le haut la qualité des formations », promet l’entrepreneur. Les 27 000 thérapeutes – allant de l’aide-soignant au coach sportif – qu’il a répertoriés pendant dix-huit mois sont en tout cas sur le pont pour répondre à une demande qui tarde à se concrétiser.

Auteur

  • Catherine Abou El Khair