logo Info-Social RH
Se connecter
Newsletter

Décodages

L’humour, arme de dissuasion sensible

Décodages | publié le : 03.05.2016 | Rozenn Le Saint

Image

L’humour, arme de dissuasion sensible

Crédit photo Rozenn Le Saint

Dans l’entreprise, l’humour peut être un bon outil pour faire tomber le stress, mettre en confiance, déminer des situations de crise. À condition de savoir le manier. Quelques intervenants investissent le créneau.

La journée de séminaire a été longue pour les directeurs commerciaux de cette banque réunis au siège, à Paris. Et voilà qu’un énième intervenant débarque en fin d’après-midi. Son nom ? Jean-Pierre Dubois, un consultant spécialiste de la conduite du changement. Or le changement, ils en ont soupé : ces managers viennent d’en vivre un, avec la disparition de 100 postes de directeur d’établissement. L’orateur démarre sans soulever l’enthousiasme. Puis s’enfonce. « J’ai été formé à travailler dans la banque en sept ans, et au commercial en sept jours », débite-t-il. La salle commence à rire, puis se lâche carrément quand le prétendu consultant tourne en dérision leurs N + 1 puis leur directeur exécutif.

L’auditoire prend alors conscience que ce Dubois est… un consultant bidon. Un personnage joué par Serge Grudzinski, fondateur d’Humour Consulting Group. « Il parvient à s’approprier la culture d’entreprise, à saisir les angoisses et à dire avec humour des choses que les collaborateurs n’osent pas aborder entre eux », témoigne le dirigeant à l’origine du one-man-show. Une séquence pas uniquement ludique. « Cela permet de comprendre que toutes les entreprises se transforment, que c’est normal », poursuit-il. « J’interviens souvent dans des sociétés où la pression monte. Traiter les préoccupations des gens dans un grand rire partagé permet de dégonfler tout cela », confirme Serge Grudzinski.

Au bureau aussi, l’art de rire est paré de vertus. À condition de savoir le manier. « L’humour fait partie des qualités d’un bon manager. Mais il faut qu’il ne soit ni humiliant ni à sens unique », prévient Marc Loriol, chercheur au CNRS et coordinateur d’un dossier sur le thème, paru en 2013 dans la revue les Mondes du travail. « C’est devenu une compétence clé, un avantage relationnel, voire concurrentiel, que les leaders naturels possèdent souvent. On a envie de travailler avec des personnes dotées d’une intelligence de situation », abonde David Autissier, maître de conférences en management à l’IAE de Paris-Est Créteil et coauteur du Petit Traité de l’humour au travail (éditions Eyrolles, 2011). Une qualité qui, selon lui, ne s’apprend pas : « On est inégaux face à l’humour, c’est le fruit de son éducation. »

Relâcher la pression.

De rares formations tentent bien d’investir le créneau. Sans grand succès. « On ne nous sollicite pas pour faire de l’humour un outil car le monde du travail est sérieux. Mais on l’utilise de manière détournée lors de sessions sur le bonheur ou la qualité de vie au travail », confie Frédéric Cosseron, formateur à l’École du rire. À la Cegos, c’est sous l’appellation « Osez lâcher prise » que se cache un atelier intitulé « expérimenter le recadrage et l’humour ». Une trentaine de stagiaires s’y essaient chaque année depuis 2011. « Plaisanter peut être interprété comme du dilettantisme. Or c’est un outil pour relâcher la pression. Si un manager semble détendu, prend les choses avec humour, cela met en confiance ses équipes », assure Jean-Pierre Testa, responsable de la formation.

Autre essai, celui de la CCI de Rouen qui, en septembre, a inscrit « L’humour : l’atout stratégie du manager » à son catalogue de formations. Mais n’a pas pu encore inaugurer l’atelier, faute de participants. Au grand regret de la responsable pédagogique, Chantal Lefebvre, conceptrice de cette session visant à « sortir des situations de blocage grâce à l’humour, développer son sens de la repartie, dédramatiser et faire face à des situations déstabilisantes ».

Un manque de succès paradoxal. Car les offres d’emploi qui exigent de savoir plaisanter, elles, fleurissent. Des exemples ? « Sens de l’humour et résistance au stress et aux déconvenues », requiert une annonce pour un chargé d’affaires. « Un sens de l’humour à toute épreuve », précise une autre, destinée à un technicien chef de projet. « Conviction, enthousiasme, sens de l’humour et humilité », précise une troisième pour un poste de consultant. « Le sens de l’humour apparaît comme une formule magique pour mobiliser les troupes », traduit le sociologue Marc Loriol, qui a recensé les offres.

D’autres types de prestations se font jour sur le marché. À l’image de la session tenue début avril à Rennes, par Christophe Tricart, qui relève de la thérapie par l’humour. Face à cet intervenant au pull trop grand et aux faux airs de Mr. Bean grisonnant, cinq actifs aux profils disparates : un gestionnaire de comptes chez Orange, un chômeur, une responsable de projet dans une administration et deux consultants. Objectif ? Les aider à dépasser leurs difficultés en empruntant la voie de la dérision. Par exemple avec ce petit jeu consistant à raconter un souvenir professionnel douloureux qu’un autre participant doit « retourner ». Le harcèlement subi par Monique, qui l’a menée au burn out, se transforme ainsi en idylle au bureau. « En temps normal, j’ai de la repartie, mais pas avec mes supérieurs. J’attends de cette formation d’être davantage à l’aise et de lever ce blocage », raconte la pimpante quinqua, qui a déboursé 200 euros de sa poche.

Consultant indépendant en stratégie commerciale, Norbert aimerait, lui, apprendre à utiliser la « déconne » pour « lutter contre l’inertie au changement des clients ». « Mais sans dépasser les bornes, précise-t-il. J’aime l’humour piquant mais il peut être dévastateur, notamment dans l’entreprise. » Tout est en effet question de mesure. Pour attirer l’attention des passagers blasés par les consignes de sécurité, un steward de CityJet avait un jour agrémenté son discours de facéties. « Les parents doivent mettre leur masque à oxygène avant d’en appliquer un à leurs enfants, en commençant par celui qu’ils préfèrent », avait-il lancé dans un vol Dublin-Paris, en 2008. Une plaisanterie qui lui a coûté son poste.

Clown pompier.

Christophe Tricart, qui ne croule pas sous les demandes, intervient auprès des personnels d’établissements pour personnes âgées. « Il s’agit de dédramatiser, de faire tomber la souffrance, le stress et de favoriser la cohésion d’équipe dans un univers confronté à la maladie et à la mort », souligne-t-il. Serge Grudzinski intervient, lui aussi, en clown pompier. Comme dans cette entreprise publique qui entretient des relations tendues avec un fournisseur. « Pour résoudre cette crise de couple, l’humour est une bonne thérapie », justifie le directeur des systèmes d’information, à l’origine de la démarche. Afin de préparer son intervention, le comédien s’est entretenu avec des salariés des deux parties. Puis a monté des saynètes pour faire ressortir les difficultés et élaboré un plan d’action. « L’humour joue un rôle de révélateur, il peut être la première étape d’une prise de conscience. Aux managers de passer à l’action ensuite », approuve le chercheur David Autissier. Une intervention sur mesure facturée… 30 000 euros. Pas sûr que le service achat ait, lui, beaucoup ri !

Auteur

  • Rozenn Le Saint