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Attention aux mauvaises notes !

À la une | publié le : 03.05.2016 | Éric Béal

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Attention aux mauvaises notes !

Crédit photo Éric Béal

L’apparition de sites de notation bouscule la communication des entreprises. Des évaluations négatives, des commentaires critiques… et leur attractivité à l’égard des jeunes générations en prend un coup.

« Management féodal […] Pas de feedback […] Hiérarchie nobiliaire. Beaucoup de turnover et de ruptures conventionnelles abusives […] Stress important […] Salaires à la tête du client […] » Le patron d’Angie, une agence de communication logée dans le quartier du Sentier à Paris, devrait surveiller le site BizMarks. Car si les prochains commentaires sont aussi mauvais que celui laissé ce 9 mars, la qualité de son recrutement pourrait en pâtir… Ouvert fin 2014, ce pendant français de Glassdoor n’attire certes pas encore les foules. Mais il n’est jamais bon de laisser les internautes donner libre cours à leur mauvaise humeur sans réagir.

Le site présente l’originalité de découper les groupes par filiales, pour inciter les salariés à évaluer uniquement le périmètre qu’ils connaissent. Huit thématiques sont passées au crible : salaire, avantages, management, perspectives, ambiance, vie perso, environnement de travail et responsabilité sociale. Comme chez Glassdoor, le grand rival américain, les entreprises citées peuvent répondre gratuitement à leurs détracteurs. Mais également payer pour poster des offres d’emploi et accéder aux détails de leurs notes. Un créneau que le réseau social Viadeo a aussi investi : le concurrent tricolore de LinkedIn offre lui aussi aux internautes la possibilité d’évaluer les rémunérations, les avantages sociaux, la pression ou les espaces de travail.

Si les formules varient d’un site à l’autre, l’idée et le modèle économique restent les mêmes. Il s’agit d’offrir un service gratuit aux internautes – qu’ils soient salariés, stagiaires, étudiants ou demandeurs d’emploi – pour s’exprimer et consulter les commentaires déposés par d’autres. Et de se rémunérer uniquement sur les services de « place de marché », à savoir les offres d’emploi et les informations déposées par les entreprises. Bon gré mal gré, ces dernières y viennent petit à petit. Environ 70 % des mastodontes du CAC 40 disposent déjà d’une page carrière sur Glassdoor, d’après l’enquête HR Idea 2015 réalisée par les cabinets 231e47 et Althéa. « Les plus avancés revendiquent les commentaires laissés par les internautes sur leurs pages carrière et incitent leurs salariés à ajouter un avis. Ils espèrent ainsi obtenir plus de commentaires positifs et noyer les remarques désobligeantes dans la masse. Cette stratégie vise à renforcer l’authenticité de leur marque employeur en s’appuyant sur les retours des candidats et des collaborateurs », analyse Héloïse Lemeillet, associée chez Althéa.

Transparence obligée.

Pour Yves Delnatte, cofondateur d’Ineat Conseil, une société spécialisée dans les métiers de l’informatique et du conseil, cette logique s’est imposée depuis longtemps. « Dans l’informatique, les candidats visitent tous au préalable les réseaux sociaux et les sites de notation. Comme la concurrence est rude pour attirer les meilleurs, nous maintenons une veille RH sur les réseaux sociaux et répondons systématiquement aux remarques déposées », précise-t-il. Dans l’ensemble, les salariés d’Ineat déposent aussi des commentaires, globalement positifs. Mais certains égratignent aussi la direction générale, sous couvert d’anonymat. Pas simple de contrôler son image et sa réputation…

Hélas ! les employeurs vont devoir s’y faire. Car les réseaux sociaux sont devenus une caisse de résonance des conditions de travail. « Le digital permet un mode d’expression horizontal et sans contrôle, que tout le monde utilise désormais. Il force les entreprises à modifier leur management pour être cohérentes avec l’image qu’elles projettent à l’extérieur », prévient Didier Pitelet, patron du cabinet Onthemoon, spécialisé dans la réputation d’entreprise. De fait, le Web 2.0 oblige les employeurs à mettre en cohérence les valeurs qu’ils revendiquent avec le vécu des collaborateurs, qui n’hésitent plus à s’exprimer. « Les entreprises doivent accepter la transparence parce qu’une part croissante des candidats l’exige. Glassdoor est un miroir du ressenti des salariés. Le seul moyen d’améliorer sa marque employeur, c’est de les écouter », prévient Diarmuid Russel, patron de Glassdoor Europe.

Une opinion partagée par Anne-Sophie Bourgeois, responsable marque employeur, recrutement et mobilité groupe de Crédit agricole SA. « Les jeunes attendent plus de transparence. Les réseaux sociaux et les sites de notation créent l’obligation pour les employeurs de se conformer à ce qu’ils prétendent être. » Reste aux responsables des ressources humaines à faire évoluer les pratiques managériales dans ce sens. Pas forcément le plus simple.

Du côté des organisations syndicales, on ignore tout de ces sites, prétendument capables de révolutionner la façon de travailler. Thierry Noleval, secrétaire fédéral de la Fédération FO des employés et cadres, n’en connaissait même pas l’existence. Un rapide coup d’œil sur Glassdoor ne le convainc pas. « À de rares exceptions, il n’y a pas assez de commentaires sur chaque entreprise. On ne peut pas se fier à des jugements aussi isolés », estime-t-il. Comme lui, Sophie Binet, numéro deux de la CGT Cadres, n’est pas une habituée de BizMarks ou de Glassdoor. Et se montre tout aussi prudente. « Les notations sont sujettes à manipulation par les directions. Il suffit d’ajouter une bonne note à une mauvaise pour obtenir la moyenne. Mais les commentaires laissés par les salariés peuvent nous aider à connaître leurs conditions de travail. Si l’envie nous prend de nous implanter, on sait où ça gratte. » Chez les syndicalistes plus avertis, les sites de notation n’ont pas davantage la cote. « On peut éventuellement y prendre la température d’une boîte. Mais je me méfie des excès de critiques comme des commentaires élogieux pilotés par les directions. Pour prendre des infos sur une entreprise, mieux vaut consulter les comptes Twitter des sections syndicales ou leurs blogs », assure Jérôme Chemin, secrétaire national de la CFDT Cadres.

Les sections syndicales d’entreprise de toutes obédiences sont en effet en nombre croissant sur les réseaux sociaux. Même si certains comptes s’avèrent peu actifs ou sont alimentés avec irrégularité. « Nous incitons nos militants à utiliser Twitter, poursuit le cédétiste. Hormis dans les entreprises de technologie, l’impact sur les salariés eux-mêmes reste limité. Mais l’outil est très efficace pour communiquer vers les médias et faire un peu de lobbying. » Même enthousiasme de la part de Thierry Noleval. « Twitter, c’est une porte d’entrée pour se faire connaître ou pour médiatiser un communiqué posté sur un blog. » En revanche, les organisations syndicales n’ont développé aucune stratégie pour prendre pied sur les sites de notation des employeurs. Au grand soulagement de ces derniers.

“Les vidéos, c’est devenu un rituel” Hélène Lecomte, conductrice de travaux en tour de France chez Colas

« Avant d’intégrer le groupe comme stagiaire, je connaissais déjà Colas grâce aux vidéos réalisées par des anciens des Arts et Métiers ParisTech, disponibles sur le site thestagiairecolas-lefilm.fr », raconte Hélène Lecomte, elle-même diplômée de cette école. Recrutée après six mois de stage de fin d’études, cette ingénieure en BTP a tellement apprécié l’expérience qu’elle n’a pas hésité à en témoigner sur la page Facebook RH de l’entreprise. Elle a également participé au concours vidéo interne réservé aux stagiaires et aux alternants. « Il s’agissait de réaliser un premier film d’une minute trente un peu fun sur l’entreprise. Puis, si l’on était sélectionné, un second de cinq minutes sur son stage. » Toutes les vidéos sont disponibles sur YouTube, les finalistes étant récompensés par des voyages et des caméras GoPro. « Il y a toujours une vingtaine de volontaires qui se débrouillent pour réaliser quelque chose. Quant aux vidéos, c’est devenu un rituel interne. Même les tuteurs participent », précise la jeune femme. Les vidéastes amateurs s’empressent ensuite de montrer leur œuvre sur les réseaux sociaux, pour récolter des likes… De la communication gratuite et efficace pour Colas.

Auteur

  • Éric Béal