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Les avocats en guerre contre les sites de droit

Décodages | publié le : 03.04.2016 | Anne-Cécile Geoffroy

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Les avocats en guerre contre les sites de droit

Crédit photo Anne-Cécile Geoffroy

Les avocats font face à l’arrivée sur le Net de « braconniers du droit » qui piétinent leurs plates-bandes. La profession n’apprécie pas. Elle riposte par des actions en justice et de nouveaux services.

Legalstart.fr, captaincontrat.com, weclaim. com, DemanderJustice.com… La liste des legal start-up qui fleurissent sur Internet depuis trois ans s’allonge. Leur promesse : faciliter l’accès au droit et à la justice à un coût défiant toute concurrence. SaisirPrudhommes.com s’occupe par exemple, en quelques clics et pour 89,90 euros TTC, d’engager une procédure amiable avec votre employeur. Ou de saisir le juge, pour 150 euros. Legalstart.fr offre de son côté des contrats de travail clés en main en moins de dix minutes. Le site Weclaim propose, lui, aux internautes de lui soumettre leur dossier de litige. Qu’il étudie moyennant 250 euros. « Si nous décidons de financer votre procès, vous n’avez plus rien à payer », promet la plate-forme. En cas de succès, celle-ci empoche 25 % des sommes, l’avocat 5 % et le travailleur le reste.

Derrière ces modèles économiques d’un nouveau genre, des algorithmes. Ces sites peuvent traiter automatiquement la masse d’informations fournies par leurs clients et les mettre en forme sans faire trimer des petites mains comme dans les cabinets d’avocat. Quelque 70 000 salariés seraient déjà passés par SaisirPrudhommes.com. « Et, dans 70 % des cas, une solution amiable a été trouvée », assure Léonard Sellem, qui en est l’un des fondateurs. Lancé en mai 2015, Weclaim annonce 4 000 litiges, principalement de masse, comme des retards d’avions ou des actions de groupe. Aux États-Unis, le phénomène a, comme souvent, un temps d’avance. LegalZoom et Rocket Lawyer, les deux principaux acteurs du marché, sont désormais incontournables. En 2014, cinq ans après sa création, Rocket Lawyer comptait 200 employés aux États-Unis et au Royaume-Uni et se targuait d’accueillir chaque année 30 millions d’utilisateurs sur son site.

En France, le marché est encore loin d’être arrivé à maturité. Mais les start-up du droit n’en sont pas moins déterminées. Leur objectif ? Faire exploser les fondements de la profession. « Notre génération rêve de changer le monde et ne comprend pas pourquoi elle devrait respecter les règles obsolètes de nos aînés. En 2016, la profession empêche encore ses membres de faire commerce, comme si c’était pécher, tempête Frédéric Pelouze, cofondateur de Weclaim et avocat de formation. L’arrivée de nouveaux entrants fait croître le « gâteau » en offrant des services à des justiciables qui en étaient exclus jusqu’alors. » De fait, une part des start-up propose aux justiciables de les aider à bâtir leur dossier et à saisir les juridictions sur des petits litiges. D’autres offrent des packs prêts à l’emploi pour aider les entrepreneurs à rédiger les documents nécessaires à leur business.

Nouveaux mercenaires.

Ces arguments agacent profondément les représentants de la profession. « Selon la loi de 1971, seuls les avocats ont le droit de faire du démarchage et des consultations juridiques. Le partage d’honoraires leur est en revanche interdit, rappelle Didier Adjedj, président de la commission de l’exercice du droit du Conseil national des barreaux (CNB). Ces règles n’ont pas été mises en place pour faire plaisir aux avocats mais pour protéger les consommateurs. » Afin de contrer les nouveaux mercenaires du droit, le CNB multiplie les procédures au civil comme au pénal. Avec une cible principale : les sites qui permettent la saisine des juridictions via des formulaires créés automatiquement.

Dans la ligne de mire, la société DemanderJustice.com et ses déclinaisons, SaisirPrudhommes. com et ActionCivile.com. « Ces sites trompent les consommateurs, leur vendent des formulaires qui sont gratuits, s’insurge Didier Adjedj. Ils créent du contentieux de saisine de juridiction de façon exponentielle alors même que l’État cherche à désengorger les tribunaux. » Autre grief : les offres de mise en relation que proposent certaines plates-formes avec des avocats. Les affaires engagées par le CNB sont en appel. Et le Conseil promet de nouvelles mises en demeure.

Pas de quoi décourager Léonard Sellem, cofondateur de DemanderJustice.com, qui fait face à quatre procédures judiciaires. « La profession va devoir bouger. Des dizaines d’avocats appellent chaque jour pour travailler avec nous. » Même analyse de Frédéric Pelouze, chez Weclaim. « La profession telle qu’elle existe va disparaître. Les universités et les représentants de la profession ont le devoir de réformer en profondeur la formation. Le juriste de demain devra maîtriser le langage homme-machine. » De fait, la plupart des start-up ont été créées par des jeunes diplômés d’écoles de commerce et d’ingénieurs, pas par des élèves avocats. « Si ce ne sont pas les avocats qui prennent le marché, ils seront demain salariés de ces start-up ou simples sous-traitants. Notre profession est très réglementée mais les digues pourraient tomber, ce qui entraînerait des risques de paupérisation », alerte Patrick Ramon, secrétaire général du cabinet August & Debouzy.

Plate-forme d’avocats.

Dans la profession, certains s’organisent. Comme Capstan ou August & Debouzy, qui ont lancé des packs d’accompagnement pour les jeunes entrepreneurs. Le premier propose depuis quelques mois aux start-up du conseil juridique en droit social. Le second a monté, voilà trois ans, le programme Start you up pour aider les entrepreneurs dans le développement de leur business moyennant 200 euros mensuels. « Les start-up du droit ne nous concurrencent pas directement, mais nous restons très attentifs à ce qui se passe en termes de nouvelles technologies, d’intelligence artificielle, d’automatisation des tâches à faible valeur ajoutée », explique Patrick Ramon. Le barreau de Paris n’est pas en reste. Depuis 2012, il héberge un incubateur. « Sa mission est de sensibiliser la profession au numérique, qui impacte notre métier, et de construire un dialogue avec les start-up du droit », précise l’avocat Ludovic Blanc, l’un des animateurs. En novembre, le site avocats-actions-conjointes.com a aussi été lancé. « J’ai voulu positionner les avocats sur le créneau des actions de groupe pour désamorcer la concurrence des braconniers du droit », raconte l’ex-bâtonnier Pierre-Olivier Sur. Gratuit, l’outil permet aux avocats de soumettre au comité déontologique du barreau une action de groupe. Une fois validée, celle-ci est ouverte aux justiciables.

De son côté, le CNB devrait lui aussi proposer une nouvelle plate-forme en mai, à partir du réseau social Hub Avocat, qu’il a racheté. « Elle permettra à tous les avocats de proposer des consultations juridiques par mail, par téléphone, en indiquant le montant des honoraires. L’outil mettra en relation les justiciables avec des avocats en fonction de leurs compétences et de leur localisation. Comme ça, ceux-là seront certains d’avoir face à eux des avocats », explique Didier Adjedj. Reste que les start-up du droit ont encore une longueur d’avance. Leur prochaine étape : proposer leurs logiciels en marque blanche aux avocats – et aux services juridiques des entreprises – pour qu’ils puissent réinternaliser des services à faible valeur ajoutée.

Auteur

  • Anne-Cécile Geoffroy