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Les reconversions précoces d’actifs en quête de sens

Décodages | publié le : 03.03.2016 | Nathalie Tissot

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Les reconversions précoces d’actifs en quête de sens

Crédit photo Nathalie Tissot

Ils ont la trentaine – ou à peine –, un CDI, un bon salaire. Pourtant, ils décident de tout laisser tomber pour se reconvertir dans les secteurs de la santé ou du social. Ils gagneront moins d’argent mais, pour eux, l’essentiel est ailleurs…

Chloé de Laubier était une élève brillante. Sans jamais trop se poser de questions, elle a suivi la voie de l’élite économique : prépa, HEC, un emploi à 3 000 euros net par mois en début de carrière… jusqu’à n’en plus pouvoir du « rythme infernal de la course à la performance » exigé par son poste de manager dans un cabinet de conseil en stratégie. À 31 ans, elle quitte son emploi et entre en école d’orthophonie. « Mon salaire sera beaucoup moins élevé mais j’ai le sentiment de gagner en reconnaissance en exerçant un métier utile aux autres », justifie-t-elle.

À peine insérés sur le marché du travail, de plus en plus de jeunes actifs feraient, comme la jeune femme, leur « job out », claquant la porte de leur employeur pour se lancer dans une activité qu’ils jugent plus valorisante. L’Association pour l’emploi des cadres (Apec) a mené une enquête en 2015 auprès de 4 700 diplômés de niveau bac + 5 ou plus. Résultat : 14 % d’entre eux déclarent avoir vécu « un changement significatif d’orientation professionnelle dans les deux années ayant suivi l’obtention de leur diplôme ». Les uns ne veulent plus être salariés, les autres aspirent à être « mieux » salariés.

Combien concrétisent leurs envies en se lançant dans un métier qu’ils considèrent plus « utile », dans les secteurs de la santé et du social ? Difficile à évaluer, car les emplois et les manières d’y accéder sont très divers. Pourtant, des passerelles se créent pour les reconvertis. « On en a davantage depuis qu’il existe, à côté du concours traditionnel d’entrée en école, une sélection sur dossier pour les personnes diplômées d’une licence ayant déjà travaillé », confirme Sylvie Freulon, directrice de l’Institut de formation en ergothérapie de Paris. Autre exemple, en orthophonie, celui de la prépa lyonnaise Sup Santé, qui proposera bientôt un module spécialement adapté aux reconvertis.

Cet engouement se nourrit aussi des besoins du marché. Les métiers de la santé, mais aussi ceux dédiés aux services à la personne et à la collectivité, font en effet partie de ceux qui résistent le mieux à la crise. « C’est un secteur qui se professionnalise et s’enrichit en compétences cadres », explique Pierre Lamblin, directeur du département études et recherche à l’Apec. Pour preuve, les 10 500 recrutements en CDD et CDI de cadres en santé et action sociale dans l’année 2014. Ces professions correspondent aussi à un idéal auquel certains jeunes aspirent. « On voulait travailler dans un métier plus humain, faire quelque chose qui ait du sens, de la valeur », raconte Marie Deville, 26 ans, qui a suivi pendant neuf mois une formation de conseiller en insertion professionnelle. Cette ancienne manager et responsable de formation chez McDonald’s aurait pu prendre la direction d’un restaurant en Normandie. « Mais ça ne correspondait pas à mes valeurs, à mon éthique », assure-t-elle.

Profils très divers.

« Les jeunes veulent être fidèles à eux-mêmes. C’est une notion très forte dans la société d’aujourd’hui, confirme Sandra Gaviria, sociologue de la jeunesse. Ils ne cherchent pas juste le CDI, ils veulent se sentir bien au travail. » Ce sentiment se serait renforcé avec la crise, forçant les jeunes actifs à gérer une incertitude permanente. « On leur a dit qu’il y avait du chômage, ils savent qu’ils ne vont pas exercer le même métier toute leur vie et ne sont même pas sûrs de trouver un emploi à la hauteur de leur formation », ajoute la chercheuse.

Dans ce contexte où rien n’est assuré, beaucoup se fixent des projets à très court terme, laissant place à des idées de reconversion parfois très rapidement. Entre 2010 et 2013, 49 % des diplômés d’un master 2 et 56 % des diplômés d’un master 1 ont changé au moins une fois de travail dans les trois premières années de leur sortie d’études. À l’image de Do Huynh, directeur de l’association parisienne Carton plein, où sont collectés, triés et revendus des cartons de déménagement. « J’ai toujours été dans une logique de passer de projet en projet », assure cet ancien ingénieur en informatique. Sur les six salariés de la structure, cinq sont des jeunes qui, diplômés d’une licence ou d’un master, travaillaient dans un milieu totalement différent.

Ici, ils accompagnent des personnes en situation de grande exclusion vers la réinsertion sociale et professionnelle. « Ce qui m’importe, c’est d’aller chercher des profils très divers. Comme nos salaires ne concurrencent pas ceux des entreprises, on essaie de compenser en s’assurant qu’ils se sentent bien au travail », confie Do Huynh. Comme lui, les responsables de ressources humaines interrogés par les chercheurs de l’Apec « tiennent sur les jeunes diplômés réorientés un discours très positif, dans lequel ils mettent en relief leurs qualités propres, comme la ténacité et la débrouillardise ». Même si, dans les faits, le monde de l’entreprise leur octroie « assez peu de place dans les recrutements ».

Désillusions.

Pour entrer en école d’aide-soignant au CHU de Rouen, aucune expérience du soin n’est requise. Référente pédagogique, Élisabeth Jacquemin déplore les désillusions de certains des 7 % de reconvertis dans cette filière. « Des personnes qui ont une image de l’infirmière plus que de l’aide-soignant. Elles voient le soin technique, non l’accompagnement dans le quotidien du patient. L’approche du corps peut être difficile », précise la responsable. Surtout pour ceux qui viennent d’un univers professionnel totalement différent.

De retour sur les bancs de l’école à 29 ans, Nathalie Eypert, désormais infirmière, se souvient qu’au-delà des tâches qu’on lui demandait d’effectuer elle souffrait avant tout de sa position d’élève. « Le statut de stagiaire est très compliqué avec des professionnels qui te voient comme un apprenant. Il faut mettre sa fierté de côté mais le dire quand même quand ça va trop loin. A contrario, j’ai aussi rencontré des soignants généreux, qui te considèrent comme leur pair », confie la jeune femme.

Si les urgences du monde hospitalier peuvent décourager, les formations dans le paramédical connaissent, elles, un certain succès. À l’école d’orthophonie de Paris, les jeunes reconvertis représentent un étudiant sur six ces dernières années. Anciens chefs de projet, ex-responsables du marketing, ingénieurs… Quel que soit leur parcours, tous passent un concours d’entrée, très sélectif, pour intégrer ce cursus.

« Tous les ans, nous avons des étudiants en reconversion professionnelle venant d’horizons très divers », confirme Thi Mai Tran, directrice du département d’orthophonie à la faculté de médecine de Lille. Désormais en troisième année à l’école d’orthophonie de Paris, Chloé de Laubier affirme que toutes ses camarades de promotion reconverties « étaient en poste et ont décidé de changer pour se tourner vers le soin ». Depuis, la jeune maman s’épanouit. La formation est « plus dense et plus exigeante » que ce qu’elle avait imaginé, mais « tous les cours sont passionnants ». Et son parcours est plutôt bien perçu par le monde professionnel : « On a plus de maturité, on sait qu’il y a des règles en entreprise, ça compte. » Néanmoins, aucun de ses stages n’est indemnisé. Elle a dû compter sur l’appui financier de son mari pour reprendre ses cinq années d’études.

Retour au bercail.

De fait, la reconversion requiert des moyens économiques et un soutien des proches pour franchir le pas. « En France, cette mobilité n’est pas prévue par les politiques publiques, contrairement aux pays nordiques. Reprendre une formation est donc un vrai effort », souligne la sociologue Sandra Gaviria. Le plan « 100 000 formations prioritaires » pour l’emploi lancé par François Hollande en 2013 a bien permis la prescription de 4 759 stages pour les demandeurs d’emploi dans le secteur de la santé sur l’année 2014. Mais pour les salariés en poste, se reconvertir reste compliqué.

« Ce n’est pas facile. Il y a des choses qui s’offrent à vous mais il faut vraiment fouiller, ça prend du temps », constate Hélène*, salariée chez Lanvin depuis quatre ans. Cette trentenaire a déjà choisi de s’investir comme bénévole dans la Fondation Claude-Pompidou, mais trouve « frustrant de ne pas pouvoir faire plus ». Elle mise sur le congé individuel de formation pour suivre des études d’infirmière ou d’ergothérapeute. Et espère pouvoir négocier une rupture conventionnelle avec son employeur pour bénéficier des allocations chômage pendant sa formation.

Pour changer de vie professionnelle, il existe aussi des bourses émanant des conseils régionaux et départementaux, des caisses d’allocations familiales ou des mairies. Mais celles-ci ne couvrent souvent qu’une petite partie des frais liés au temps de reconversion. Autre outil qui permet de se forger une première expérience, le service civique. Hélas, cet engagement volontaire de six à douze mois dans une mission d’intérêt général ne prévoit qu’une très faible indemnisation. De surcroît, le dispositif est, sauf exception, réservé aux 16-25 ans. Résultat, la démarche implique souvent pour les intéressés, incapables de subvenir à leurs besoins, un retour au domicile parental. Une cohabitation pas forcément simple. Mais le jeu pourrait en valoir la chandelle. Selon la dernière étude prospective du ministère du Travail publiée en 2015, les aides à domicile, aides-soignants et infirmiers figureraient parmi les métiers qui recruteront le plus avec, entre 2012 et 2022, 350 000 créations nettes d’emplois.

Nathalie Eypert Infirmière à l’hôpital de Garches

Devenir infirmière était pour Nathalie Eypert un « désir profond », « un truc [qu’elle] avait en tête depuis des années ». En 2011, la jeune femme, très motivée, franchit le pas. Diplômée d’un master 1 de droit, elle ne s’épanouit pas à son poste de coordinatrice de projets à Lille. « Je me suis dit : j’ai 29 ans, c’est le moment ! » L’Isarienne quitte le Nord-Pas-de-Calais et retourne chez ses parents à Compiègne. Après une année passée à trouver des financements pour reprendre trois ans d’études, elle entre en école d’infirmières dans l’Oise. L’hôpital de Garches lui paie une partie de ses études en échange de deux années de travail. En août 2015, Nathalie Eypert enfile enfin sa blouse d’infirmière pour de bon. La plongée dans la réalité du monde hospitalier s’avère difficile mais elle ne regrette rien : « Ma satisfaction, ce sont les retours des patients. » Parmi ses premiers bons souvenirs, ce malade dont elle a fêté l’anniversaire avec ses collègues soignants. « On lui a acheté une bougie et on lui a apporté son gâteau d’anniversaire dans sa chambre. Il était hypercontent, ça fait du bien ! »

François Hirschowitz Accompagnateur socioprofessionnel

Diplômé d’un master 2 en mathématiques appliquées aux sciences sociales à Nice, François Hirschowitz a été chargé d’études statistiques chez un courtier en assurances pendant trois ans. En 2013, il décide de quitter son CDI et ses 2 600 euros net par mois pour se lancer dans un service civique. « Ce que je faisais, c’était nul. Il n’était pas possible de continuer, il fallait que je bouge », raconte ce jeune homme de 30 ans qui signe ses mails par une citation d’Antoine de Saint-Exupéry : « La grandeur d’un métier est peut-être avant tout d’unir les hommes. Il n’est qu’un luxe véritable et c’est celui des relations humaines. » Au bout de six mois de maraude auprès des plus démunis à l’association Charonne en 2014, il commence un temps partiel en CDI à l’association Carton plein, accompagnant les personnes en situation d’exclusion vers l’insertion sociale et professionnelle. À présent employé à temps plein, il gagne 1 000 euros de moins par mois qu’avant mais il se sent dans son élément. « C’est hyperagréable de travailler avec des gens qui te ressemblent, qui se battent pour un monde qui te donne envie. »

* Le prénom a été modifié.

Auteur

  • Nathalie Tissot