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Les pratiques de haute voltige du groupe R9

Décodages | publié le : 03.03.2016 | Emmanuelle Souffi

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Les pratiques de haute voltige du groupe R9

Crédit photo Emmanuelle Souffi

En quatre ans, ce groupe de communication a acheté des dizaines d’entreprises. Salaires en retard, charges sociales et cotisations de mutuelle non versées, chèques en bois, factures impayées… Salariés et fournisseurs craquent.

En voilà qui n’ont pas froid aux yeux. Ni ne s’inquiètent de leurs agissements. À la tête du groupe R9 – pour Révolution 9 –, trois amis d’enfance, Nicolas Bianciotto et les frères Olivier et Xavier Baillet, aiment visiblement faire des affaires. En quatre ans, leur holding, immatriculé en octobre 2013, a avalé pas moins d’une soixantaine de sociétés dans le secteur de la communication. Parmi elles, Plumes de pub, les Éditions le Baron perché, Alerte Orange, Starting Block, Ipso Facto, Venise, Soprano ou PuMa Conseil. De quoi régner, « officiellement », sur quelque 240 collaborateurs et disposer d’une offre globale dans la vidéo, la production de contenus ou le digital.

Un empire ? Pas vraiment, car la stratégie du groupe, composé d’une myriade de structures autonomes, relève plutôt de la fuite en avant. « Racheter des sociétés en difficulté ne coûte pas cher. Les unes en attirent d’autres, qui servent à tenir financièrement et à préserver les apparences », décrypte un ancien dirigeant. Sandrine* est tombée dans le panneau. « R9, c’était la sirène. Au bout de dix jours, c’était un cauchemar : ma trésorerie a été siphonnée, 80 000 euros ont disparu, près de 2 500 euros de notes de frais ont été établies alors que l’Urssaf, les fournisseurs et la TVA n’étaient plus payés ! » se désole-t-elle. Licenciée au bout de deux ans, son solde de tout compte lui a été réglé avec un chèque… en bois. En référé, R9 est aussi condamné à lui verser plusieurs dizaines de milliers d’euros pour des primes non payées. Sauf que les huissiers repartent à chaque fois bredouilles, les fonds n’étant – hélas ! – jamais disponibles.

En octobre, dans une autre affaire jugée aux prud’hommes de Paris, l’avocat de la direction fait profil bas. Dans ses conclusions, il affirme que les dettes du groupe atteignent « 20 millions d’euros » en 2014 et que la trésorerie accuse un « déficit de 18 437 162 euros ». On est bien loin des 24 millions d’euros de marge brute revendiqués sur le site Internet. Plusieurs fois sollicité, Nicolas Bianciotto n’a jamais répondu à nos questions. L’histoire de Sandrine n’a rien d’unique : plus d’une dizaine de contentieux prud’homaux sont en cours. Sans compter ceux devant les tribunaux de commerce. Pour les gérants floués, le scénario est toujours le même. « On leur fait miroiter un superbe contrat de travail qui n’est jamais respecté. Au bout de quelques mois, ils sont mis à pied, licenciés pour faute. Ensuite, c’est la politique de la terre brûlée », assure un avocat. Les plus malchanceux se retrouvent caution solidaire de traites inconnues, faute d’avoir levé les nantissements après la vente. Laurent* a ainsi tout perdu. Il a vendu sa société pour 500 000 euros. Il a reçu le premier chèque, mais pas les deux suivants. « Ils m’ont ruiné. Je suis grillé auprès de tous mes clients et fournisseurs. Ma boîte, qui marchait bien, affiche aujourd’hui un déficit de 2 millions d’euros ! » s’étrangle-t-il. Quant à ses 50 salariés, ils ont presque tous été licenciés.

Défiance.

En quatre ans, près de 250 départs auraient été enregistrés. Dans des conditions qui laissent parfois songeur. Indemnités de licenciement non versées, ancienneté oubliée, dossiers Unedic incomplets ou truffés d’erreurs, chèques dont les montants en chiffres et en lettres ne correspondent pas… Les irrégularités donnent le tournis. Estelle* a dû présenter son chèque pour solde de tout compte quatre fois à sa banque. Sonia* en a récupéré six, signés d’employeurs différents mais jamais du sien. Le jour de l’audience en référé, la direction en a même présenté un septième ! Dans plusieurs structures (Ipso Facto, Précision, Alerte Orange), les cotisations de complémentaire santé et prévoyance sont bien prélevées mais pas reversées aux organismes. Audiens, SMI ou AGF ont donc radié les salariés, contraints de financer leur propre couverture santé. « Ils débitaient 85 euros tous les mois de mon salaire. Où va l’argent ? Les dirigeants se font de la trésorerie sur notre dos », enrage une ancienne graphiste.

En interne, le climat est à la défiance. « On est dans l’intimidation. Réclamer, c’est courir le risque de ne jamais être payé », assure un salarié. Les paies de décembre ont ainsi été virées… fin janvier. Idem en novembre. Les prestataires sont logés à la même enseigne. En janvier, appuyés par la Société des gens de lettres et la Charte des auteurs et illustrateurs jeunesse, 18 auteurs travaillant pour le Baron perché ont lancé un commandement de payer pour tenter de recouvrir 15 000 euros. Mi-février, malgré les promesses, aucun virement n’avait été effectué. Ne pas acquitter ses loyers est aussi une pratique courante. Depuis 2011, R9 a déménagé quatre fois. Avenue Bertie-Albrecht (Paris VIIIe), les quittances n’ont été réglées que les trois premiers mois. La propriétaire a dû faire appel à un avocat pour récupérer les 110 000 euros d’impayés. Idem pour les déménageurs. D-Max a entamé un recours pour obtenir quelque 20 000 euros. Quant au Club Med de Vittel, lieu d’une convention, il pleure 30 000 euros non acquittés.

L’étau se resserre.

Le 18 décembre, d’anciens salariés ont interpellé le ministère du Travail, qui a saisi la Direccte et la DGT. Le 11 janvier, ils ont également écrit au procureur de Paris. « Il y a une prudence exacerbée des institutions au détriment des salariés, victimes des mêmes pratiques », regrette un avocat.

Un collectif d’une quarantaine de salariés et fournisseurs lésés vient de se constituer. Le montant des sommes dues dépasse les 2,4 millions d’euros, d’après leurs calculs. Sans compter les ardoises abandonnées. « 90 % des fournisseurs renoncent à dépenser leur énergie pour recouvrir des impayés inférieurs à 10 000 euros, observe un ancien dirigeant. Ça fait partie de la stratégie. R9 gagne plus d’argent en ne payant pas qu’en développant du business. »

L’Inspection du travail a, à plusieurs reprises, constaté des infractions. Mais comme l’entreprise déménage sans cesse et plaide les difficultés de trésorerie, il faut tout recommencer à chaque fois. Le 6 février 2014, le groupe a été visé par une descente de l’Urssaf au cours de laquelle neuf inspecteurs ont constaté que 14 salariés n’étaient pas déclarés, alors même que leurs cotisations étaient encaissées. Leur situation a été régularisée le lendemain et un échéancier portant sur les charges sociales impayées établi. Sauf qu’il ne serait toujours pas respecté. En juin 2014, le groupe a aussi fait l’objet d’un vaste contrôle fiscal. Un autre est en cours. L’étau se resserre : la brigade financière est alertée, l’Urssaf s’impatiente. Pas de quoi, pourtant, inquiéter outre mesure les trois dirigeants. Le 31 mars, ils doivent ainsi lancer l’Alliance R9 au Vaisseau, leur nouveau bâtiment futuriste de l’île Saint-Germain. La référence à Star Wars pourrait faire sourire. Sauf que beaucoup ne goûtent guère le clin d’œil au côté obscur de la Force…

* Le prénom a été modifié.

Auteur

  • Emmanuelle Souffi