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“Il faut faire confiance à ceux qui sont en mouvement”

Actu | Entretien | publié le : 03.03.2016 | Manuel Jardinaud

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“Il faut faire confiance à ceux qui sont en mouvement”

Crédit photo Manuel Jardinaud

Fondateur du réseau Bleu Blanc Zèbre, l’écrivain se fait l’insatiable promoteur d’actions sociales de terrain. Et le critique zélé du centralisme de l’État.

Vous avez lancé un réseau intitulé Bleu Blanc Zèbre. Un nouveau parti politique ?

Bleu Blanc Zèbre n’est ni un parti ni un syndicat. Ce n’est pas un think tank non plus, c’est un « do tank ». Plus précisément, un mouvement qui rassemble des gens qui passent à l’acte sur le terrain pour faire face à l’urgence sociale absolue. Le défi de Bleu Blanc Zèbre, c’est de stopper la dispersion des initiatives, de mutualiser les savoir-faire et de créer des politiques publiques clés en main. Nous voulons bâtir des outils efficaces et coopérer avec les décideurs politiques locaux au sein de chaînes de commandement courtes afin de mettre en œuvre des actions réelles. Pas comme au sommet de l’État…

Vous portez un regard très critique sur l’État. N’y a-t-il pas une forme de populisme à vilipender ainsi le gouvernement et l’administration ?

J’ai la conviction que, tout en haut, on vit dans un monde virtuel. L’État est aux mains de techniciens et non de praticiens. On peut qualifier mon discours de populiste mais quand des pans entiers du territoire sont dans le coma, que plus de 5 millions de personnes sont au chômage et que plus de 9 millions vivent au-dessous du seuil de pauvreté, il faut que les républicains de cœur cessent de défendre l’inacceptable. À savoir un système qui ne fonctionne plus. À la suite de la promulgation des lois, 40 % des décrets ne sont jamais publiés… Cela confine à la folie collective ! Dans le domaine des transports, BlaBlaCar a fait plus pour transformer notre rapport à la mobilité que n’importe quel texte législatif. Ce n’est plus aux individus de faire confiance aux politiques mais aux politiques de leur faire confiance.

Est-ce la faute de l’État si certains dispositifs fonctionnent si mal ?

Prenons l’exemple du service civique, qui est édifiant. Cette expérimentation est partie d’une intuition géniale, modélisée par l’association Unis-Cité. À partir de 2010, l’État décide de copier le dispositif, sans en confier les clés aux créateurs qui en connaissaient déjà tous les rouages, qui se sont colletés au réel. Il place les copains à des postes clés, crée des normes pour y accéder, fixe des objectifs nationaux. Conclusion : on se retrouve aujourd’hui avec des préfets qui engueulent les maires ne réussissant pas à remplir les quotas fixés par le gouvernement. Un comble, une ineptie. Pourquoi n’avoir pas simplement organisé un pool d’opérateurs sur les territoires avec les maires et Unis-Cité ? Cela aurait remarquablement fonctionné. Il faut faire confiance à ceux qui sont en mouvement, sur le terrain.

Quelle méthode proposez-vous afin de sortir de l’ornière sociale ?

D’abord d’être très joyeux et enthousiaste ! Cela procure une joie immense de faire collaborer les gens entre eux. Pour l’association Lire et faire lire, j’ai par exemple fait travailler ensemble la Ligue de l’enseignement et l’Union nationale des associations familiales, qui ne sont vraiment pas de la même culture. L’idée, c’est de trouver des points de rencontre pour faire fonctionner de manière horizontale une société qui n’arrive plus à avancer sur un mode vertical. Le principe consiste à contracter des alliances qui peuvent paraître extravagantes mais permettent de créer des actions pragmatiques et qui fonctionnent. Contrairement à l’État qui, lui, raisonne en dispositifs et non en opérations concrètes.

Créer des alliances de « faizeux », comme vous dites, est-ce si simple ?

Il convient d’abord de procéder à un vaste boulot de repérage, que nous avons déjà engagé depuis plusieurs mois. Nous avons, pour l’instant, identifié 250 actions de terrain. Puis il faut travailler au niveau régional en ciblant les bons acteurs. Comme nous nous payons le luxe de ne pas avoir de couleur politique et d’être bénévoles, nous pouvons créer des alliances fortes. Et fabriquer des modèles universalistes qui fonctionnent. Nous allons commencer par le Nord, où il y a des stocks de souffrance, surtout chez les jeunes. Sur ce territoire, deux sujets forts coexistent : l’accès à l’emploi et la réussite éducative. Et pourtant, dans certains centres locaux de formation pour apprentis, un tiers des places n’est pas pourvu. C’est une situation insupportable, de la responsabilité de la région, alors que les plans locaux pour l’insertion et l’emploi ont identifié des dizaines et des dizaines de personnes en attente d’une formation. Nous sommes donc sur le point de sceller un partenariat entre la chambre de métiers, plus spécifiquement son université des métiers, et l’Agence pour l’éducation par le sport, qui utilise l’activité physique comme outil de socialisation. La probabilité que ces deux organisations se rencontrent était quasiment nulle. Nous l’avons rendue possible, c’est notre force.

En quoi consistera ce dispositif ?

Il s’agit de mettre en place deux briques complémentaires. L’Agence pour l’éducation par le sport va créer un premier module, comme un sas de remise à niveau, afin que les jeunes reprennent confiance en eux. C’est un formidable outil car il y a une dimension affective, un lien entre le jeune et l’éducateur sportif, qui s’ajoute au respect des règles. Ensuite, les plus aptes pourront intégrer un centre de formation d’apprentis de la chambre de métiers pour y réaliser un stage, comme dans une sorte de préparation à l’apprentissage. Ce que nous construisons est hors des clous par rapport à ce qui se fait habituellement pour l’intégration des jeunes vers la formation et l’emploi. Je suis persuadé que cela va marcher.

Qui sont, pour vous, les acteurs exemplaires en matière d’emploi ?

J’en citerai deux, avec qui nous essayons d’aller plus loin à partir de ce qu’ils effectuent déjà sur le terrain. D’abord, l’association Solidarités nouvelles face au chômage, qui aide plus de 4 000 demandeurs d’emploi chaque année. Ses bénévoles détiennent la clé pour améliorer la situation des chômeurs de longue durée : l’accompagnement. C’est également le cas de Force Femmes, qui fait un travail étonnant à l’égard des demandeuses d’emploi de plus de 45 ans. Celles-ci ont des difficultés spécifiques, notamment en termes d’image d’elles-mêmes. Dans ces deux structures, les gens sont dans la relation humaine, pas dans la simple gestion des droits administratifs. Ils ont compris comment fonctionne un être humain en difficulté, ce que l’administration ne sait pas faire. Nous allons tout tenter pour mettre en place des coopérations afin que ces organisations puissent étendre leurs activités sur le territoire. Et ainsi faire profiter les plus fragiles de leur expertise.

Comment pouvez-vous démontrer la pertinence et l’efficacité des partenariats que vous initiez ?

Nous avons récemment engagé un travail avec le cabinet d’audit et d’expertise comptable Grant Thornton. Nous construisons avec lui des indices sur les coûts et la performance de ce que nous mettons peu à peu en place. Ensuite, nous irons montrer le fruit de ce travail aux politiques de terrain afin de pouvoir essaimer dans d’autres territoires en France.

Vous parlez peu du monde du travail et des partenaires sociaux en particulier. Ne sont-ils pas des « faizeux » ?

Pour moi, les syndicats présentent le même problème que n’importe quel corps intermédiaire. Ils ont fini par adopter des mœurs administratives. Aujourd’hui, le dialogue social est une machinerie qui nourrit un système inerte. Syndicats et organisations patronales ont le même défi à relever que de nombreuses autres structures : peuvent-ils adopter un mode de fonctionnement plus horizontal pour redevenir des « faizeux » et ne plus simplement être dans les discours et les postures ? Je reconnais néanmoins que, au sein de certains syndicats que j’ai rencontrés, comme à la CFDT ou chez SUD, il y a des poches entières où l’on rencontre des militants novateurs et efficaces. Eux aussi doivent faire bouger leurs organisations.

Alexandre Jardin

À près de 51 ans, Alexandre Jardin a laissé de côté ses romans et films à succès pour se consacrer à son « do tank », un vaste réseau d’initiatives locales dédiées à l’éducation, l’emploi et l’entrepreneuriat. Dans son essai laissez-nous faire, on a déjà commencé (éd. Robert Laffont, 2015), il plaide pour donner le pouvoir aux acteurs de terrain, seuls capables de redynamiser la France.

Auteur

  • Manuel Jardinaud