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Les DRH en première ligne

À la une | publié le : 03.03.2016 | Anne-Cécile Geoffroy

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Les DRH en première ligne

Crédit photo Anne-Cécile Geoffroy

Malgré la succession de réformes, l’État ne s’est jamais doté d’une « DRH groupe ». Pourtant indispensable pour que la machine administrative fonctionne. Au niveau central, dans les ministères, préfectures ou agences, les DRH prennent la main. Formation, carrières, mobilité, accompagnement… les chantiers sont ouverts.

Les DRH sont-ils en passe de prendre le pouvoir au sein de la fonction publique d’État ? Ils vont en tout cas avoir du grain à moudre dans les mois qui viennent ! Surtout le premier d’entre eux, Thierry Le Goff, nouveau directeur général de l’administration et de la fonction publique nommé en octobre. Sa mission, concoctée par le Premier ministre, Manuel Valls, et Marylise Lebranchu, alors ministre de la Décentralisation et de la Fonction publique ? Transformer la DGAFP en « DRH de l’État » chargée « de la définition et de la conduite de la stratégie de la politique de ressources humaines ».

Dans le détail, les chantiers à mener pour y parvenir sont nombreux et extrêmement ambitieux. Ils portent sur l’ouverture des recrutements pour favoriser la diversité, le développement d’une culture managériale, le pilotage de la gestion prévisionnelle des emplois et des compétences, l’encouragement à la mobilité, l’évolution des organisations de travail ou la mise en œuvre du protocole sur les parcours professionnels, les carrières et les rémunérations. Mais aussi sur des dimensions internes au métier, tel le renforcement des fonctions RH des différents ministères.

Serpent de mer.

Rien de nouveau sous le soleil diront les grincheux ! Ils n’ont pas tort. L’ambition de doter l’État d’une DRH groupe et de décloisonner sa gestion des hommes, en silos, pour favoriser des carrières interministérielles ne date pas d’hier. Elle fait même figure de serpent de mer. Voilà une bonne décennie que les gouvernements appellent à la révolution RH sans que la DGAFP n’y parvienne, trop absorbée qu’elle est par la gestion des statuts des fonctionnaires. Il y a en effet de quoi faire pour les fines lames de cette direction centrale, qui doivent appliquer et articuler les quelque 3 000 textes réglementaires (lois, décrets, arrêtés, circulaires) encadrant les 380 corps de l’État et ses 2,5 millions de fonctionnaires !

Dans les faits, la DGAFP n’est jamais parvenue à s’imposer comme le pilote des ressources humaines. Et pour cause. Rattachée au Budget, elle doit composer avec le secrétariat général du gouvernement (SGG), qui a en main la carrière des cadres dirigeants nommés en Conseil des ministres. Mais aussi avec les secrétariats généraux de tous les ministères, sans oublier les DRH de ces derniers. Ni les syndicats. Très présents dans la gestion individuelle des carrières au sein des commissions administratives paritaires, ils se vivent en gardiens de leur statut édicté en 1946 et révisé en 1983 puis 1986. Un totem que certains, dont le ministre de l’Économie Emmanuel Macron, jugent responsable de l’impossible réforme de l’État sur le plan de la GRH.

Pour Bernard Pêcheur, président de la section de l’administration du Conseil d’État, c’est un faux problème : à ses yeux, le statut est toujours pertinent et suffisamment souple pour s’adapter aux exigences posées par une société mondialisée. Mais le statu quo n’est plus possible. Cet auteur d’un rapport sur le sujet remis au Premier ministre à l’automne 2013 n’est pas tendre. « Des progrès sont indispensables. Qu’il s’agisse de la mobilité, de la formation ou de la gestion des fonctionnaires de l’État. Celle-ci est encore trop centralisée et est même devenue, dans certains cas, plus rigide, sous couvert de mutualisation. Le développement des responsabilités managériales des directeurs et chefs de service opérationnels est incontournable. Ce chantier doit être ouvert. »

Depuis quinze ans, la gestion des hommes au sein de la fonction publique d’État est ballottée au gré des sigles et des réformes. Loi organique relative aux lois de finances (Lolf) en 2001, révision générale des politiques publiques (RGPP) en 2007, réforme de l’administration territoriale de l’État (Réate) la même année, modernisation de l’action publique (MAP) depuis 2012. Cette instabilité complique certes la donne. Mais il n’empêche, les RH doivent aujourd’hui sortir du bois pour mettre en musique des pratiques managériales plus qualitatives et plus individualisées, qui dépassent la seule gestion par le statut qui prédomine encore. « Rien n’empêche de conjuguer le statut à une gestion prévisionnelle des emplois et des compétences moderne. Faire bouger les agents, développer leurs compétences, les former, les sanctionner… On peut tout faire. Ça demande juste du courage managérial », estime Michèle Kirry, DRH de la police nationale.

L’immobilisme est d’autant moins une option que les réformes successives, visant à faire maigrir l’État, ont sérieusement nourri le mal-être au travail. « La mode de la rémunération à la performance installée au milieu des années 2000 a été un désastre total, pointe ainsi l’économiste Maya Bacache, dans un récent rapport du think tank Terra Nova. Cette politique a eu pour effet d’installer une inégalité de traitement entre les usagers et d’alimenter la démotivation et la perte de sens des agents dans leur mission. »

Malgré tout, la fonction RH au sein de l’État a commencé sa mue. « Marylise Lebranchu a notamment mis en place une communauté des DRH des différents ministères. On peut y échanger et être force de proposition », note Claire Chérie, la DRH du ministère de la Culture et de la Communication. Tous les deux mois, ses membres se retrouvent en comité de pilotage, à la DGAFP. « Jusque-là, on privilégiait plutôt la dimension budgétaire. Mais aujourd’hui, on voit que la fonction RH est la vraie clé pour faire en sorte que la machine administrative fonctionne au mieux », insiste Claire Chérie.

Vivier d’élites.

Début décembre, Marylise Lebranchu reconnaissait pudiquement, lors de la leçon inaugurale de l’executive master « Coaching et accompagnement de la transformation des organisations publiques », que l’État avait « sans doute oublié d’accompagner les agents dans les dernières réformes ». Elle promettait alors d’« en faire un axe majeur de la stratégie RH et de la culture managériale ». Un engagement que sa successeur, Annick Girardin, néophyte sur ces questions, devrait normalement reprendre à son compte.

« Le rôle du manager public doit évoluer, affirme Emiland d’Alincourt, associé du cabinet Eurogroup Consulting. La GRH de la fonction publique s’est construite autour des valeurs de continuité, de sécurité de l’emploi, de solidarité, d’égalité de traitement. Or la transformation de l’État demande de l’adaptabilité, de la transversalité, de l’agilité. À charge aujourd’hui pour les managers de trouver la bonne articulation entre ces deux familles de valeurs. Et ce n’est pas si simple. » Jusqu’ici, l’accent a surtout été mis sur les hauts potentiels. Depuis 2012, le secrétariat général du gouvernement s’est ainsi doté d’une mission « cadres dirigeants ». Son travail : créer un vivier interministériel pour les élites nommées en Conseil des ministres puis les accompagner dans leur prise de poste. Coaching, accompagnement stratégique des équipes de direction, bilan de carrière, le secrétariat général du gouvernement est aux petits soins pour ses très hauts fonctionnaires.

Il se penche désormais aussi sur les quelque 650 membres de son vivier. Au programme media training, prise de parole en public, gestion du dialogue social. L’an dernier, les 100 heureux élus qui ont rejoint la liste ont tous suivi une formation obligatoire axée sur la performance managériale et le leadership. À travers un cycle interministériel de management de l’État construit en partenariat avec l’ENA. « Un escalier ne se balaie bien que par le haut », justifie Florence Méaux, déléguée aux cadres dirigeants.

À la tête d’une petite équipe de sept personnes, celle-ci entend faire de cette mission un « ferment de changement » pour l’ensemble de la fonction publique. « On peut conquérir des quick wins et partager les bonnes pratiques. Notre rôle, c’est d’ouvrir l’interministériel, de telle sorte qu’on puisse proposer des postes de très haut niveau à des profils auxquels on ne pensait pas auparavant. » Une façon d’échapper à l’immuable logique des corps et aux chasses gardées qui prévalent encore dans l’administration française.

Depuis juin dernier, c’est au tour des ministères de constituer des viviers et de mettre en place des revues de cadres. Des pratiques qui existaient déjà dans certains ministères, mais sans pilotage central. Une époque révolue : le manager, cadre intermédiaire, est désormais au centre des préoccupations. Ces derniers mois, c’est même le branle-bas de combat dans les ministères, qui testent, expérimentent et font du brainstorming. Il y a urgence. En ce début d’année, chacun d’entre eux était en effet prié de faire remonter à la DGAFP les plans managériaux qu’il avait au préalable mis sur pied.

Coaching collectif.

Décloisonner, faire bouger les cultures, développer les compétences, susciter la créativité… Pour y parvenir, les DRH peuvent aussi s’appuyer sur l’École de la modernisation de l’État (EME). Depuis 2011, cet établissement hors les murs entend accompagner les managers de la transformation de l’action publique des ministères et des services déconcentrés. Plus que des formations stricto sensu, l’EME propose des séances de coaching collectif. « Nous voyons arriver des managers fatigués, avec un très fort sentiment d’isolement. En les faisant travailler entre pairs sur leurs projets de transformation, ils se rendent compte qu’ils ne sont pas seuls, que d’autres partagent les mêmes problématiques. Et ils retrouvent des marges de manœuvre et leur motivation », souligne Laure Manificat, chargée du développement de cette structure originale.

Ces méthodes de coaching et de codéveloppement se diffusent petit à petit dans les arcanes de l’État. Marylise Lebranchu encourageait ainsi la création d’« espaces professionnalisés de coaching », des lieux au sein des ministères dans lesquels les cadres pourraient échanger avec des coachs internes sur leurs situations de travail. Le ministère de l’Écologie, du Développement durable et de l’Énergie dispose ainsi d’un bureau de l’accompagnement du changement et de l’innovation managériale. Un endroit pour incuber de nouveaux dispositifs, les tester puis, éventuellement, les déployer.

« Nous avons par exemple testé le codéveloppement, un dispositif de diagnostic collectif qui vient du Canada. Il s’agit de réunir six à huit managers, l’un d’eux soumettant sa problématique aux autres, qui interviennent comme des consultants. C’est une technique très efficace pour faire émerger de nouvelles solutions, sans jugement », indique Patrice Roux-Caillebot, le chef de ce bureau. Une trentaine d’agents du ministère ont d’ores et déjà été formés à animer ce type d’échange. Et la technique est désormais expérimentée en interministériel. La revanche des DRH est en marche.

“Nous, DRH, sommes là pour que la fonction publique reste motivante !”

Les ressources humaines, c’est son combat. Véritablement. « J’aime cette idée que la seule richesse de nos ministères sont les hommes et les femmes qui y travaillent, investis au service de l’intérêt général. Et j’aime ce métier très technique, car c’est un métier de droit et le droit ne ment pas », confie Michèle Kirry, directrice des ressources et des compétences de la police nationale. Cette énarque roule sa bosse dans les ressources humaines de la fonction publique d’État depuis dix ans. Comme sous-directrice des personnels à la direction des RH du ministère de l’Intérieur, d’abord, puis DRH des ministères sociaux de 2009 à 2012. De retour à l’Intérieur après un passage par la préfecture de la Nièvre, elle gère aujourd’hui la carrière de 143 000 agents et dispose pour ce faire de 10 milliards d’euros de crédits. « L’un des chantiers prioritaires concerne l’accompagnement de l’encadrement supérieur. La fonction publique de l’État est-elle encore en capacité d’attirer les meilleurs profils ? Ça n’est pas certain. Nous devons travailler sur les parcours, donner une vision pour les séduire. » La DRH planche aussi sur la réconciliation « du grade et de l’emploi » qui peut être la source de mal-être au travail. Car, dans la fonction publique, si le grade est propriété de l’agent, son emploi ne l’est pas. « Nous y travaillons en passant en revue la nomenclature des emplois pour réaffirmer les missions des agents. Aujourd’hui, par exemple, certains officiers occupent un poste qui ne correspond pas à leur grade. Ils sont payés comme tels mais n’encadrent personne. On aura beau multiplier les primes, ils n’y trouveront pas leur compte. » Donner des perspectives, c’est l’essentiel de la mission de Michèle Kirry. En fusionnant des corps d’agents de catégorie C pour leur donner des perspectives d’avancement dans le statut, ou en décrochant un troisième grade pour les officiers avec l’idée d’en faire un corps interministériel. « Nous, DRH, sommes là pour que la fonction publique reste motivante ! »

A.-C. G.

Michèle kirry Directrice des ressources et des compétences de la police nationale.
“Il nous faut ouvrir des progressions de carrière”

On peut passer des chiffres à la GRH. Sorti de l’Institut d’études politiques de Toulouse, puis quelques années plus tard de l’ENA, Joël Blondel a passé vingt ans dans les problèmes budgétaires et l’audit pour le compte de différents ministères ou de la Cnam. Fin 2005, il est à la Direction générale du travail d’Ile-de-France, où ses responsabilités s’étendent à la gestion du personnel. « Mon intérêt pour la gestion des ressources humaines est venu progressivement. À la DGT, j’ai eu l’occasion de m’intéresser au dialogue social, à la négociation collective, aux conditions de travail dans les entreprises. J’avais des échanges réguliers avec les partenaires sociaux sur ces sujets. » En septembre 2011, il devient directeur de l’administration générale et de la modernisation des services (Dagemo), du ministère du Travail. Lorsque ce service disparaît, fin 2013, pour séparer la gestion RH des affaires financières ainsi que du service logistique, patrimoine, système d’information, il est nommé à la tête des ressources humaines des trois (quatre aujourd’hui) ministères sociaux. « Depuis la mise en place de la RGPP, puis de la MAP, la fonction publique se doit d’améliorer la gestion de son personnel. Pour accompagner les agents sur les mobilités et favoriser les possibilités d’évolution de carrière. La gestion prévisionnelle des emplois et des compétences doit également se développer. Il s’agit de permettre l’adaptation des ressources nécessaires à la mise en œuvre des politiques publiques », s’enflamme l’énarque. Avouant à demi-mot que la fonction publique n’a pas toujours été performante sur ces questions, le DRH admet que le public est allé chercher dans le secteur privé de quoi améliorer ses pratiques RH. « Mais en adaptant toujours les outils à nos spécificités. » Et de prendre pour exemple ce qui se passe dans les agences régionales de santé. « Dans ces établissements publics autonomes, nous inventons une GRH innovante pour faire travailler ensemble des agents de la fonction publique et des salariés du privé. Ce n’est pas simple, mais on y arrive. »

E. B.

Joël Blondel DRH des ministères sociaux (affaires sociales, santé, droits des femmes, travail, emploi et dialogue social, ville, jeunesse et sports)

Auteur

  • Anne-Cécile Geoffroy