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La rupture conventionnelle plombe-t-elle l’Unedic ?

Idées | Débat | publié le : 03.02.2016 |

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La rupture conventionnelle plombe-t-elle l’Unedic ?

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Le succès de cette séparation amiable ne se dément pas. Sécurisante pour l’employeur, elle l’est aussi pour le salarié, qui bénéficie du droit à l’assurance chômage. À l’heure de la renégociation de la convention Unedic, dont la dette explose, certains s’interrogent sur la durabilité d’un tel dispositif.

Bruno Coquet Économiste (OFCE, IZA, Institut de l’entreprise)

Les principes comme les faits ne permettent pas d’établir un lien entre rupture conventionnelle et déficit de l’Unedic. Le principe de l’assurance chômage est d’indemniser les assurés involontairement privés d’emploi. Si le motif de la perte d’emploi est un indice de ce caractère involontaire, celui-ci s’apprécie par le fait que le travailleur est dépourvu d’emploi et en recherche un. Ainsi, un salarié démissionnaire, en principe non indemnisable, peut faire réexaminer sa situation après 122 jours si sa recherche d’emploi est infructueuse. C’est aussi vrai d’un CDD, qui reflète un consentement à ce que l’emploi prenne fin de façon bien plus prévisible qu’une rupture de CDI. Ni les principes ni la pratique ne justifient donc qu’il y ait des restrictions d’accès à l’indemnisation pour cette dernière. Dans les faits, le flux des sorties de l’emploi n’a pas été influencé par la rupture conventionnelle. Avant, la rupture d’un CDI ne pouvait prendre la forme que d’un licenciement – économique ou personnel – ou d’une démission. Depuis que la rupture conventionnelle a remplacé, en 2008, certains licenciements qui dissimulaient des transactions entre employeur et salarié, le total de ces trois modalités de sortie de l’emploi est identique, ou moindre, à celui observé lors de la crise du début des années 2000. Et quels que soient l’âge du salarié, la taille de l’entreprise et le secteur d’activité. Seul le retour à une situation économique normale lèvera les incertitudes (marginales) demeurant quant aux effets de la rupture conventionnelle. Dans le secteur de la construction, une légère hausse de la somme des trois motifs de rupture est ainsi décelable. Mais la forte baisse des démissions ne permet pas de dire si certaines d’entre elles ont été remplacées par des ruptures conventionnelles. Une réduction de la réticence à embaucher en CDI ne peut donc être mise en évidence. La rupture conventionnelle s’est, en fait, substituée à des licenciements, en contribuant à clarifier les motifs de rupture du contrat de travail. Dès lors, il n’y a pas de raison de penser que cette nouvelle modalité de séparation a accru le nombre de chômeurs indemnisés, et donc les dépenses de l’Unedic.

Véronique Descacq Secrétaire générale adjointe de la CFDT

La hausse des ruptures conventionnelles de CDI démontre qu’elles répondent au besoin de sécurisation juridique des salariés et des employeurs. Elle leur évite de recourir à des formes boiteuses de séparation, notamment aux licenciements déguisés pour les salariés refusant une démission, qui génèrent du contentieux prud’homal. Le salarié signant une rupture conventionnelle a l’assurance d’obtenir les indemnités de rupture légales et conventionnelles, et il ne renonce pas au bénéfice des allocations chômage.

C’est une solution judicieuse pour éviter la dégradation des relations de travail. Rappelons qu’avant sa création, en 2008, nous assistions à une montée d’affaires de harcèlement pour pousser les salariés à la démission ou obtenir un licenciement individuel, voire collectif dans le cadre de plans de départs volontaires.

Mieux, le succès de cette modalité de sortie de l’emploi salarié ne s’est pas accompagné d’une hausse du nombre total de ruptures de CDI. Preuve que la rupture conventionnelle a remplacé le licenciement et la démission.

Elle est un outil pertinent dans la phase actuelle de transformation économique, caractérisée par d’importants mouvements de création et de destruction d’emplois. C’est une meilleure solution que la précarisation du CDI proposée par le patronat avec son « contrat agile ». S’il ne faut pas supprimer la rupture conventionnelle, elle doit être mieux encadrée. La CFDT condamne l’usage abusif qu’en font certaines entreprises pour faire des préretraites déguisées pesant sur les comptes de l’Unedic. La convention d’assurance chômage de 2014 a réduit l’intérêt du dispositif, en rallongeant de 75 à 180 jours le délai avant le versement des indemnités de chômage, pour ceux percevant des indemnités de rupture élevées. Ce n’est pas suffisant. La CFDT défend l’instauration d’une cotisation sur toutes les transactions accordées à la suite d’une rupture du contrat de travail d’un senior, ruptures conventionnelles comprises. Cela sera discuté lors de la renégociation de la convention d’assurance chômage. Mais il faudra aussi, via les accords seniors en entreprise, endre attractif leur maintien dans l’emploi.

Antoine Foucher Directeur général adjoint du Medef

Le déficit de l’assurance chômage s’élève à 3,7 milliards d’euros par an ? Puisque les ruptures conventionnelles représentent 15 % des entrées à l’Unedic, soit 15 % des allocations, soit environ le montant du déficit annuel, supprimons-les pour sauver le régime ! Trois manières de répondre au sophisme : le moquer, le démonter par les chiffres ou rechercher son sens politique.

Le moquer, d’abord. Si le déficit de l’Unedic se niche dans la possibilité pour les salariés quittant leur entreprise de bénéficier des allocations chômage, il serait plus efficace d’interdire les licenciements (24 % des entrées et donc, en appliquant le même raisonnement, 24 % des allocations, soit 7 milliards d’euros d’économies potentielles). Ou, mieux, les CDD (34 % des entrées, soit plus de 11 milliards d’euros d’économies).

Le démonter par les chiffres, ensuite. La rupture conventionnelle a-t-elle entraîné une hausse du volume de chômeurs indemnisés ? On dénombrait en 2007 (dernière année avant son instauration) 200 000 inscriptions à Pôle emploi après un licenciement économique et 700 000 après un autre type de licenciement. En 2014, on enregistre 160 000 inscriptions après un licenciement économique, 475 000 liées à un autre type de licenciement et 285 000 après rupture conventionnelle. Soit un différentiel de 20 000. Conclusion : il n’y a pas d’effet inflationniste mais une substitution d’un mode de rupture conflictuelle par un autre, négocié donc pacifié.

Rechercher son sens politique, enfin. Dans notre représentation collective plus ou moins consciente des relations sociales, marquées par un héritage historique lourd, il y a toujours un salaud qui sommeille en l’employeur et une victime derrière le salarié. Il faut donc que la séparation soit conflictuelle et dramatisée (25 % des licenciements pour motif personnel se terminent aux prud’hommes). La rupture conventionnelle, créée par la négociation interprofessionnelle, prouve que la culture sociale mûrit, qu’employeur et salarié peuvent intelligemment se parler. Pour les nostalgiques de la lutte des classes, c’en est trop. Tous les sophismes sont alors bons pour nier l’évidence d’une belle et profonde évolution sociale.

Ce qu’il faut retenir

Plus de sept ans après sa création, par la loi du 25 juin 2008, la rupture conventionnelle de CDI n’en finit plus de se développer. Le seuil symbolique des 2 millions a été franchi en octobre 2015.

Ni le durcissement de sa taxation ni la jurisprudence n’ont freiné l’engouement pour cette mesure, qui évite la lourdeur d’un licenciement pour l’entreprise et l’insécurité d’une démission pour le salarié.

Les syndicats (la CGT, la CFDT, FO…) pointent un usage détourné de la rupture conventionnelle pour faire des préretraites déguisées. Selon la Dares, 25 % des signataires sont âgés de 58 à 60 ans. Cette pratique a un effet négatif pour les comptes sociaux : les départs de seniors leur permettent notamment de reporter le coût social de leurs ex-salariés sur le régime d’assurance chômage. Alors même que l’Unedic était endettée, fin 2015, à hauteur de 26 milliards d’euros !

En chiffres

358 244 ruptures conventionnelles ont été homologuées par le ministère du Travail en 2015, dépassant largement le bilan 2014 (+ 25 000).

75,7 % des ruptures conventionnelles ont été suivies d’une inscription à Pôle emploi en juin 2015 (contre 77,7 % en juin 2010).

Source : Dares.