Belle performance que celle du comédien Jean-Pierre Bodin, seul en scène pendant une heure trente mais qui y fait surgir une multitude d’existences. Et démontre, au-delà, ce qui a fait la condition d’ouvriers à la fabrique de porcelaine de Chauvigny. C’est dans cette ville de la Vienne que se joue la pièce coécrite avec Alexandrine Brisson. C’est là que les auteurs ont glané de multiples témoignages racontant la vie réglée par la sirène de l’usine, le poids des hiérarchies, le corps soumis jusqu’à devenir machine, les bons et les mauvais souvenirs. À l’appui, une mise en scène légère et efficace qui transforme les mots en univers grâce à des photos et des vidéos.

C’est à la fabrique de Chauvigny, aussi, que l’impensable s’est joué, le 24 mars 2009, quand Philippe Widdershoven, directeur informatique et délégué CGT, un cadre apprécié et investi, s’est suicidé en demandant que son geste soit reconnu en accident du travail. Ce qui a été accordé, bien que son geste ne se soit pas produit sur son lieu de travail. Un cas rarissime que le psychiatre Christophe Dejours (présent sur scène virtuellement via une vidéo) explique par le tournant gestionnaire pris par l’usine et les effets pervers des nouvelles organisations du travail qui isolent. Le chercheur spécialiste de la souffrance au travail intervient trois fois dans ce spectacle polyphonique, pédagogique et sensible, qui appelle au sursaut. Et à construire une « fraternité nouvelle ».

de et avec Jean-Pierre Bodin. Jusqu’au 10 janvier au Théâtre du Soleil, Paris XII^e.