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Une réforme au pas de charge

Dossier | publié le : 03.01.2016 | M. J.

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Une réforme au pas de charge

Crédit photo M. J.

La loi du 5 mars 2014 fait profondément, et rapidement, évoluer l’organisation et le financement de la formation continue. La mise en route s’est avérée difficile. Mais elle a permis de poser les bases du nouveau système.

Structurelle. Profonde. Ambitieuse. Dans la bouche des acteurs du secteur, les adjectifs utilisés pour qualifier la réforme de la formation professionnelle issue de la loi du 5 mars 2014 sont forts. Sa mise en œuvre, elle, est difficile. Le chantier a beau s’inscrire dans la suite de la précédente réforme de 2009, les évolutions sont majeures. Et s’imposent dans des délais très serrés. Résultat, l’entrée en vigueur des nouveaux dispositifs, qui oblige à mettre sur pied des pratiques innovantes, bouscule grandement l’ensemble des intervenants. Au premier rang desquels les partenaires sociaux, désormais aux manettes des instances qui pilotent la formation professionnelle. Ceux-ci ne peuvent pas s’en plaindre : cette nouvelle gouvernance figurait au cœur de l’accord national interprofessionnel (ANI) du 14 décembre 2013 à l’origine de la loi.

Aujourd’hui, syndicats et patronat jouent les stratèges dans de nombreuses instances. Tel le Comité paritaire interprofessionnel national pour l’emploi et la formation (Copanef) et ses déclinaisons régionales, chargés de déterminer les formations éligibles au compte personnel de formation (CPF) ; le Fonds paritaire de sécurisation des parcours professionnels (FPSPP), task force dotée de 1 milliard d’euros qui intervient en soutien des Opca et du Fongecif ; et, dans une moindre mesure, le Conseil national de l’emploi, de la formation et de l’orientation professionnelles (Cnefop) et ses cousins régionaux, chargés d’élaborer les stratégies en matière d’emploi et de formation. « La bonne surprise, c’est que cette gouvernance fonctionne bien », note Florence Poivey, négociatrice du Medef pour l’ANI. Et celle-ci de reconnaître que même les représentants des organisations non signataires (CGPME et CGT) sont aujourd’hui impliqués. En particulier au sein du Copanef. L’instance a pourtant concentré les regards des professionnels. Et les critiques. En cause : la mise en place laborieuse du CPF – le successeur du droit individuel à la formation (DIF) – qui implique la sélection préalable de toutes les formations finançables.

CPF, un démarrage poussif

Lancé voilà un an, le CPF a démarré dans la douleur. La raison ? Des délais très courts pour déterminer les certifications, qualifications et diplômes éligibles. « C’était un exercice difficile, confirme Christian Janin, président (CFDT) du Copanef. Aucun fichier n’était normé, nous avons dû nous appuyer sur le registre national des certifications professionnelles et sur les études prospectives des branches, qui ne sont pas conçues pour ça. » Le plus gros du travail a néanmoins été effectué : près de 90 % des salariés peuvent piocher dans des listes de formations reconnues dans leur secteur.

Mais le chantier n’est pas encore achevé. Les certifications dites « de l’inventaire », c’est-à-dire attestant de compétences transversales (informatique, management, langues, etc.) ou réglementaires (sécurité, hygiène, etc.) n’y sont encore incorporées qu’au compte-gouttes. Alors même qu’elles sont très demandées par les salariés. La preuve ? Les certifications en langues étrangères Toeic et Bulats sont devenues les best-sellers du CPF dès leur éligibilité acquise !

Cheville ouvrière de la réforme au sein de la Délégation générale à l’emploi et à la formation professionnelle (DGEFP), Jean-Marc Huart vante le travail accompli : « Le chemin parcouru est au-delà de nos espérances. Fin 2015, nous avons dépassé pour les salariés, avec le CPF, le nombre d’heures financées via le DIF en 2014 », estime le sous-directeur, qui a quitté ses fonctions fin novembre. Selon le ministère du Travail, 147 353 formations, d’une durée moyenne de quatre cent quatre-vingts heures, avaient été financées au 1er décembre. Les premiers bénéficiaires ? Les demandeurs d’emploi, à 78 %. Preuve que la réorientation des fonds vers les chômeurs fonctionne. Mais aussi que, pour les salariés, le financement des formations est plus complexe à valider…

Des coups de pouce ont néanmoins été nécessaires pour en arriver là. À savoir, pour les chômeurs, un abondement de cent heures via le FPSPP, qui pourrait passer à deux cents heures en 2016. Mais aussi la possibilité offerte aux Opca de compléter le nombre d’heures dont un salarié dispose sur son CPF pour qu’il puisse suivre une formation. « Cela facilitera les processus de mise en œuvre du CPF », justifiait, en juin, le ministre du Travail d’alors, François Rebsamen.

Malgré ce bilan honorable, les opposants à la loi continuent de dénoncer les conditions de la mise en place du nouveau système, dont ils jugent le rythme intenable : « On aurait pu imaginer de garder le DIF durant une année supplémentaire. Ce qui aurait permis au Copanef de construire de vrais critères, et non de se contenter de dresser des listes d’éligibilité dans lesquelles tout le monde se perd », observe Jean-Michel Pottier, le Monsieur Formation de la CGPME. Qui relaie ainsi le désappointement de nombre d’organismes de formation, pris de court par cette réforme imposant des règles très strictes.

CEP, l’essentiel reste à faire

Mais la réforme de la formation professionnelle ne se résume pas au seul CPF et à ses querelles de chapelle. Elle inclut d’autres maillons, tout aussi essentiels et dont la mise en œuvre est très progressive. C’est le cas du Conseil en évolution professionnelle (CEP), qui doit être le point de référence des salariés et des chômeurs en quête d’information et d’accompagnement sur leur projet de formation.

Un CEP qui s’appuie sur une myriade d’acteurs : Pôle emploi et l’Apec pour les demandeurs d’emploi, les missions locales pour les jeunes de moins de 25 ans sans emploi, les Fongecif et Opacif pour les travailleurs handicapés. Des réseaux dont la diversité des cultures et des pratiques rend complexe une montée en charge homogène. « Le CEP exige une formation et une adaptation des personnels qui ne pouvaient être effectives dès janvier 2015 », reconnaît Jean-Marc Huart. D’autant que, malgré l’hétérogénéité des publics suivis, le service rendu doit être identique.

Afin d’accompagner les structures dans la construction de leur offre, le Cnefop a publié, en novembre dernier, un guide intitulé « Repères du conseil en évolution professionnelle » à destination des acteurs. Un vade-mecum de… 154 pages ! Une épaisseur qui illustre la difficulté du sujet pour les organismes impliqués. Et l’effort de pédagogie à fournir pour sensibiliser les actifs, encore fort mal informés sur le dispositif.

Entretien professionnel… à réaliser d’urgence

Si le CEP doit aider salariés et demandeurs d’emploi à prendre en main leur carrière et leurs projets professionnels, il n’est pas le seul nouvel outil destiné à cet usage. Autre levier pour les travailleurs en emploi, l’entretien professionnel. Celui-ci est désormais obligatoire tous les deux ans, avec une première série à boucler dans les entreprises au plus tard le 31 mars. C’est-à-dire demain. Le pari est audacieux. Il consiste à créer un dialogue entre les services RH, les managers et leurs collaborateurs sur les évolutions professionnelles possibles, et souhaitables, tout au long du parcours de ces derniers au sein de leur société et même au-delà.

Une gageure pour beaucoup d’employeurs et de salariés, qui doutent de la pertinence de tels échanges dans des entreprises soumises à des mutations profondes, sans vision stratégique à moyen terme, avec des carnets de commandes vides à trois mois. Ces interrogations quant aux entretiens sont relayées par la CGPME, qui souhaiterait pour les entrepreneurs une plus grande liberté dans l’accompagnement de leurs salariés. D’autant plus que la loi leur impose une nouvelle obligation : celle de former et de faire évoluer leurs troupes au minimum tous les six ans. À l’échéance, en… 2021, on saura si le monde de l’entreprise s’est approprié, ou non, cette réforme de fond.

D’ici là, le travail ne devrait pas manquer. Pour finaliser les chantiers en cours et lancer véritablement le dernier d’entre eux : la qualité. Il constitue un enjeu essentiel pour les organismes de formation et les Opca. Le gouvernement a déjà lâché du lest : les acteurs ont jusqu’au 1er janvier 2017 pour être en ordre de marche. Le chemin s’annonce long : sélection des labels et des certifications qualité, adaptation de l’ingénierie de formation des organismes, mise en place de contrôles par les Opca… « Nous avons du temps pour parachever cette réforme », veut croire la DGEFP. Un optimisme partagé par Jean-Michel Pottier, pour la CGPME. Ce dernier dit trouver « beaucoup plus raisonnables le choix des critères et l’agenda retenu sur la question de la qualité ». Une note positive pour une révolution copernicienne. Ces sujets s’avèrent, il est vrai, nettement plus consensuels : personne ne conteste que le système de formation doit gagner en qualité, et les organismes en professionnalisme.

Les entreprises dans l’expectative

Faire confiance aux entreprises pour maintenir leurs investissements en formation tout en supprimant l’obligation légale de dépenses… Le pari du législateur s’avérait risqué ! Il est trop tôt aujourd’hui pour connaître le résultat de cette petite révolution puisque la collecte des Opca ne sera connue qu’à la fin du mois de février. En outre, les plans de formation des grandes entreprises ne sont pas encore tous élaborés ni validés. Pour la CGPME, cette stratégie va droit dans le mur, en particulier pour les sociétés employant de 10 à 50 salariés : « La disparition de l’obligation de financement porte le message de ne plus investir dans la formation. L’arbitrage va se faire avec d’autres dépenses », illustre Jean-Michel Pottier, président de la commission formation de l’organisation patronale. Ardent défenseur de cette réforme, le Medef reconnaît lui aussi aujourd’hui l’évident besoin de pédagogie pour acculturer les entreprises à la récente loi. « Celles-ci sont déjà sous l’eau. Ce nouveau changement crée forcément des résistances à l’amorçage », note Florence Poivey, chargée du dossier au sein de l’organisation patronale. D’où une communication non stop du Medef tout au long de l’année pour convaincre ses adhérents du bien-fondé de la réforme. Vidéos, site Internet dédié, flyers, réunions, kits pédagogiques : tout a été mis en œuvre pour tenter de rallier les employeurs. L’année 2016 dira si cette sensibilisation à grande échelle les a convaincus de continuer d’investir à haut niveau dans les compétences de leurs salariés. Jusqu’à maintenant, l’effort de formation moyen s’établissait à 2,6 % de la masse salariale.

Auteur

  • M. J.