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Détenus mais formés à Fleury-Mérogis

Décodages | publié le : 03.01.2016 | Manuel Jardinaud

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Détenus mais formés à Fleury-Mérogis

Crédit photo Manuel Jardinaud

La maison d’arrêt propose des formations qualifiantes aux prisonniers. Un atout pour leur permettre de retrouver une place dans le monde du travail une fois libérés. Mais les obstacles sont multiples. Reportage.

Le couloir long d’une centaine de mètres, aux murs gris et blanc délavés, est jalonné de lourdes grilles. Le corridor permet d’accéder à cinq ateliers dans lesquels se forment des prisonniers de la maison d’arrêt de Fleury-Mérogis (Essonne). Dans l’un d’eux s’affaire une dizaine de détenus. Les uns confectionnent des tailleurs sur des mannequins, d’autres manient machines à coudre, fers à repasser et patrons étalés sur un large plan de travail. À part un surveillant en uniforme et des barreaux aux fenêtres, rien ne distingue à première vue cet espace d’un atelier classique.

Laurent *, 35 ans et large stature, est en formation depuis août 2015. Il tente d’obtenir un titre professionnel de « fabricant de vêtements sur mesure » de niveau IV. Un sésame qu’il espérait tenir entre ses mains fin décembre. « Il n’est jamais trop tard pour apprendre », assure l’intéressé, qui a abandonné ses études après un bac pro. Récemment condamné, il lui reste deux ans de détention. Mais Laurent n’entend pas devenir couturier. « Je veux montrer que je peux suivre un parcours professionnel, me lever le matin pour travailler et, au final, avoir plusieurs cordes à mon arc », explique-t-il tout en repassant consciencieusement une veste qu’il a cousue. Un atout lorsqu’il recouvrera la liberté.

Multiples avantages.

La formation professionnelle en prison est un élément central de la politique de réinsertion et de la lutte contre la récidive. À l’échelon national, selon les derniers chiffres du ministère de la Justice, 5 838 détenus ont bénéficié d’une action qualifiante, près de 9 000 d’une préqualification et 10 000 d’une remise à niveau ou d’une formation de base type socle de compétences ou illettrisme en 2012. À Fleury-Mérogis, la plus grande maison d’arrêt d’Europe avec environ 4 000 détenus, 274 personnes devaient être formées en 2015, au travers de 11 stages (10 qualifiants et 1 préqualifiant), de niveaux IV et V. « Ça fait partie du projet d’exécution de la peine. Mettre un pied dans une formation, c’est d’abord accéder à l’autonomie pour des personnes très éloignées des cursus scolaires. Et se mettre en situation d’apprentissage des règles », explique Patricia Théodose, directrice pénitentiaire d’insertion et de probation, responsable de l’antenne de Fleury-Mérogis.

Suivre un stage en prison présente de multiples avantages. Il permet de toucher une rémunération – 2,26 euros l’heure pour un maximum de cent vingt heures mensuelles –, de bénéficier d’aménagements de peine et d’avoir… une activité. « Un détenu occupé, c’est une détention plus calme », assure Thierry Péré, surveillant orienteur à la maison d’arrêt. Mais pas seulement. Ce dernier sait aussi l’importance de la construction d’un parcours professionnel dans un but de réinsertion. Avec l’agent de probation et d’insertion, il est l’un des maillons pour accompagner les détenus vers une qualification. L’accès à la formation n’est pas un droit. Une commission examine chaque candidature et décide de lui donner suite, ou non. « Cette année, nous avons reçu 1 030 demandes et retenu à peine un quart d’entre elles », indique Dominique Orsini, responsable de la formation des détenus. La sélection est donc sévère. En plus de prendre en compte la motivation de chacun, l’instance doit faire avec des contraintes qui n’ont pas cours à l’extérieur : la dangerosité, la durée de la peine et la possibilité ou non de son aménagement, en particulier pour pouvoir continuer un parcours hors de la prison.

Ni absences ni retards.

Pour les heureux élus, l’obtention du titre ne va pas non plus de soi : environ deux tiers concluent positivement leur cursus. En la matière, le rôle des formateurs s’avère crucial. Ceux-là travaillent pour des organismes extérieurs (Greta, Ariès, ECF…) et se portent volontaires pour intervenir derrière les barreaux. « Cela demande une pédagogie différente, avec une approche plus fine et beaucoup de psychologie. Il faut être très attentif au moral et aux difficultés des détenus », confie Raymond Madham, responsable de la formation en couture. Son collègue José Luis Peixoto da Silva, qui pilote les activités de peinture, assure, lui, ne pas faire de différence. « Je leur parle comme à des ouvriers », affirme-t-il. Tout en mettant l’accent sur leur forte motivation.

Pour certains diplômes, les détenus bénéficient de conditions exceptionnelles. C’est le cas de ceux qui préparent leur certificat d’aptitude à la conduite en sécurité (Caces), permettant de manier des engins de levage en entrepôt. L’atelier de Fleury-Mérogis est parfaitement équipé, avec rampe de déchargement, camion et rayonnages : « En plus, nous pouvons les former quatre semaines à la conduite au lieu de deux normalement à l’extérieur », se réjouit Aziz Smaili. Responsable de cette formation depuis vingt-cinq ans, il dit apprécier la « relation plus proche » avec les détenus. Et plus facile à gérer : en prison, peu d’absences et pas de retards !

Difficile articulation.

Hacine*, lui, a décroché l’une des 12 places préparant au titre professionnel d’agent d’entretien du bâtiment. Il s’exerce dans l’atelier flambant neuf, au sein d’un des bâtiments de la maison d’arrêt récemment rénovés. Le plateau technique est modulable pour s’adapter aux quatre certifications nécessaires à l’obtention du diplôme : plâtrerie, peinture, plomberie et électricité. Chaque détenu a un poste de travail attitré. Une petite salle de classe, où sont dispensés les enseignements théoriques, prolonge l’espace d’apprentissage.

Hacine a déjà validé la plomberie et devait terminer en décembre la session consacrée à l’électricité. Il s’est attelé au montage d’un circuit électrique, plan détaillé à la main. « J’ai travaillé dans le bâtiment toute ma vie, mais sans diplôme et très souvent au noir », confie-t-il. Père de famille, il souhaite créer son entreprise à la sortie. « Je suis en aménagement de peine et je voudrais sortir plus tôt pour effectuer à l’extérieur les deux modules restants », explique-t-il. En se disant fier, la quarantaine passée, de pouvoir valider un diplôme complet. Une première. Seul hic ? Pas simple de trouver un organisme de formation quand on ne peut ni téléphoner aisément ni se connecter à un ordinateur.

Cette articulation entre le « dedans » et le « dehors » reste l’élément le plus problématique dans la finalisation du parcours professionnel. Et, finalement, dans la réussite de la réinsertion. À Fleury-Mérogis, une antenne de Pôle emploi et une autre de la mission locale des Ulis sont ouvertes cinq jours par semaine pour accompagner les détenus proches d’être libérés. Le personnel travaille avec le service de probation et d’insertion pour trouver des solutions sur mesure : une permission pour passer un entretien avec un organisme, une demande de libération anticipée ou d’aménagement de peine afin de suivre un stage complémentaire, une réponse à une offre d’emploi… Des difficultés qu’il faut résoudre au cas par cas. D’autant plus qu’il convient aussi, et souvent, de régler la question de l’hébergement. Un peu perdu dans cet entremêlement de contraintes, Hacine a bien l’intention de soumettre son projet à son agent de probation. En temps et en heure. Mais pour l’instant il préfère replonger illico le nez dans son circuit électrique. L’examen approche.

Les clés aux régions

Depuis tout juste un an, les régions ont officiellement la responsabilité du pilotage et du financement de la formation des « personnes sous main de justice » dans les établissements sous gestion publique directe. Et celle des prisons en gestion dite « déléguée » depuis le 1er janvier 2016. Certaines n’ont pas traîné. En Ile-de-France, la vice-présidente chargée du dossier sous l’ère Huchon, Hella Kribi-Romdhane, a déjà visité l’ensemble des maisons d’arrêt et des centres de détention. Objectif : s’approprier ce sujet délicat, qui devrait mobiliser 3 millions d’euros par an. « Il faut améliorer le lien entre le dedans et le dehors », résume-t-elle. C’est ce que font déjà l’Aquitaine et les Pays de la Loire, qui expérimentent cette nouvelle mission depuis plus de trois ans. But commun des deux exécutifs ? « Accentuer la certification et la qualification des détenus, ce qui est d’autant plus important que 95 % n’atteignent pas un niveau IV », assure Jean-Philippe Magnen, vice-président des Pays de la Loire jusqu’aux récentes élections. En Aquitaine, une formation « hors les murs » a été lancée pour des détenus de la maison d’arrêt de Pau. Six d’entre eux ont validé un module de maçonnerie sur un chantier de réhabilitation du fort du Portalet, dans la vallée d’Aspe. « Sans surveillants ni bracelet électronique », précise la vice-présidente Catherine Veyssy. Une première. Les Pays de la Loire financent, eux, une plate-forme spécifique de Pôle emploi au sein de cinq établissements, avec des conseillers volontaires (soit trois équivalents temps plein) qui accompagnent les détenus en amont. Et font le lien avec les services de probation. Avec un but clair : tout faire pour une meilleure insertion à la sortie.

* Les prénoms ont été modifiés.

Auteur

  • Manuel Jardinaud