logo Info-Social RH
Se connecter
Newsletter

Idées

Contrat à durée déterminée, du droit à la pratique

Idées | juridique | publié le : 03.12.2015 | Pascal Lokiec

Image

Contrat à durée déterminée, du droit à la pratique

Crédit photo Pascal Lokiec

Comme chacun sait, les contrats à durée déterminée constituent, en France et dans la plupart des pays qui nous entourent, la part essentielle des embauches. Le régime d’exception mis en place par le Code du travail est ainsi devenu en pratique la règle, consacrant un fossé de plus en plus béant entre le droit et le fait.

I. Le CDD en droit

Le contrat à durée déterminée, qui ne peut « avoir ni pour objet ni pour effet de pourvoir durablement un emploi lié à l’activité normale et permanente de l’entreprise » (art. L. 1242-1, C. trav.), est, en droit, un contrat d’exception.

D’abord, contrairement au contrat à durée indéterminée, il doit faire l’objet d’un écrit, transmis au salarié au plus tard dans les deux jours suivant l’embauche et contenant la plupart des éléments du rapport de travail (définition précise du motif, date et échéance du terme…). Ensuite, il ne peut être conclu que pour des cas strictement limités. Outre la protection de catégories de personnes en difficulté sur le marché du travail (contrats d’avenir, contrats de professionnalisation, etc.), quatre cas de recours sont admis.

Premièrement, le remplacement de salariés absents, sachant que le remplacement doit concerner une seule et unique personne et qu’il n’est pas question de faire se succéder les CDD au point de créer des remplaçants permanents ; on ne peut conclure avec la même personne 94 contrats en quatre ans avec la même qualification et le même salaire quel que soit le remplacement assuré (Cass. soc., 4 décembre 1996, n° 93-41 891). Le contrat à durée déterminée peut être utilisé, en deuxième lieu, pour traiter des surcroîts temporaires d’activité tels qu’une commande exceptionnelle. Le surcroît ne doit pas être régulier ni correspondre au lancement d’un nouveau produit. Il se distingue du travail saisonnier qui concerne des tâches qui se répètent en fonction du rythme des saisons ou des modes de vie collectifs. Restent les CDD d’usage, très fréquents dans des secteurs comme l’audiovisuel, le spectacle (les intermittents sont en principe sous CDD d’usage) ou la restauration (les « extras »), sachant qu’au sein de ces secteurs seuls les emplois par nature temporaire peuvent être occupés sous cette forme.

La durée du contrat à durée déterminée est encadrée par l’exigence d’un terme précis. Renouvelable deux fois, il ne peut excéder dix-huit mois, renouvellements inclus. Mais il existe des exceptions. Lorsque le CDD est conclu pour remplacer un salarié absent, pour effectuer un travail saisonnier ou en cas de CDD d’usage, une durée minimale suffit. L’entreprise est également dispensée, alors, d’appliquer un délai de carence entre deux contrats successifs. À la survenance du terme, le salarié a droit – sous réserve, ici encore, de nombreuses exceptions – à une indemnité de précarité égale au dixième de la rémunération perçue pendant toute la durée du contrat.

Seuls quatre motifs autorisent une rupture anticipée : la faute grave, qui peut être soit celle de l’employeur (non-paiement des salaires, par exemple), soit celle du salarié (auquel cas il faut respecter la procédure disciplinaire) ; l’accord des parties, soumis au droit commun des contrats et non à la procédure spécifique de rupture conventionnelle ; la force majeure et l’embauche en CDI.

II. Le CDD en faits

Ce qui est une exception en droit ne l’est plus dans les faits. Le CDI représente encore 86 % des contrats de travail, mais 90 % des embauches se font aujourd’hui en CDD et en intérim. Parmi ces embauches, un certain nombre vise à pourvoir des missions à durée indéterminée. Que penser de la situation de ce salarié qui demande la requalification de ses 2 500 contrats d’extra conclus sur une période de vingt-cinq ans (www.laprovence.com) ?

La complexité du dispositif n’aide pas, a fortiori dans les TPE, à son application effective. Si simplifier veut dire chasser les complexités inutiles (ce qui n’implique nullement d’écrire un nouveau Code du travail ou de changer de modèle social comme cela est aujourd’hui proposé, voir notre chronique dans Liaisons sociales magazine d’octobre 2015.), le régime du CDD devrait figurer en bonne place. Un régime d’exception lui-même truffé d’une kyrielle d’exceptions, lesquelles ont d’ailleurs été attaquées, en vain, sur le fondement du principe d’égalité devant la loi.

Le Conseil constitutionnel a déclaré conformes les dispositions du Code du travail excluant du bénéfice de la prime de précarité les jeunes ayant occupé un job d’été, les titulaires d’un CDD d’usage, d’un CDD saisonnier ou d’un contrat lié à la politique de l’emploi ou assorti d’engagements de formation (déc. n° 2014-401 et 2014-402 QPC du 13 juin 2014). On ne voit pas bien, en revanche, en quoi renvoyer à la négociation collective la définition des cas de recours aux CDD, comme le propose l’Institut Montaigne (« Sauver le dialogue social », 2015, p. 33), serait un facteur de simplification.

Parmi les CDD, ceux de courte durée explosent depuis quinze ans. Selon une récente étude du Conseil d’analyse économique (Les notes du CAE, P. Cahuc et C. Prost, septembre 2015), en 2011, la proportion de CDD de moins de trois mois s’élevait en France à 35 %, contre 19 % en Italie et 4 % en Allemagne. Une taxation des contrats courts existe pourtant depuis la loi de sécurisation de l’emploi de 2013. Les cotisations patronales ont été portées de 4 % à 7 % pour les CDD de moins d’un mois et à 5 % pour les CDD entre un et trois mois.

Les auteurs de ce rapport proposent, entre autres, un système de bonus-malus par lequel les cotisations des employeurs seraient modulées selon leurs stratégies de gestion de la main-d’œuvre, c’est-à-dire plus ou moins coûteuses selon qu’ils investissent massivement en CDD ou CDI. L’un des auteurs est d’ailleurs l’un des pères du fameux contrat unique, qui vise à substituer aux CDD un CDI unique, lequel pourrait être rompu plus facilement moyennant un système de taxation des licenciements destiné à indemniser les personnes perdant leur emploi et à alimenter la caisse d’assurance chômage. (Protection de l’emploi et procédures de licenciement, O. Blanchard et J. Tirole, La Documentation française, 2003 ; De la précarité à la mobilité : vers une Sécurité sociale professionnelle, P. Cahuc et F. Kramarz, La Documentation française, 2005).

D’autres pistes sont à explorer pour limiter le recours aux CDD, tels les quotas de CDD que connaissent l’Autriche, l’Espagne ou l’Italie. Un système original qui vient d’être mis en place en France pour les stagiaires (loi n° 2014-788 du 10 juillet 2014). Pourquoi pas demain pour les CDD ?

Pascal Lokiec

Professeur à l’université Paris Ouest Nanterre La Défense, où il codirige le master 2 Droit social et relations professionnelles. Il a publié Il faut sauver le droit du travail chez Odile Jacob (février 2015).

Auteur

  • Pascal Lokiec