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Agirc-Arrco, un texte refondateur

Dossier | publié le : 03.12.2015 | Valérie Devillechabrolle

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Agirc-Arrco, un texte refondateur

Crédit photo Valérie Devillechabrolle

L’accord du 30 octobre ne s’est pas contenté de rafistoler les régimes de retraite complémentaire. Il ouvre la voie à une série de réformes de fond. Plus douloureuses pour les salariés que pour les retraités ou les employeurs.

On n’a pas fini d’entendre parler de ce texte ! » Si pour Éric Aubin, le chef de file de la CGT, il s’agit avant tout de dénoncer une « régression sans précédent », il n’a pas tort sur le fond. Oui, l’accord sur l’équilibre des régimes de retraite Agirc-Arrco, conclu le 30 octobre entre le patronat et trois organisations syndicales majoritaires (CFDT, CFE-CGC et CFTC), fera date. À la différence des textes de 2011 et 2013, qui s’étaient limités à tirer les conséquences de la réforme Sarkozy de 2010 sur les bornes d’âge et à ajuster les paramètres traditionnels (hausse de cotisation, baisse de rendement, sous-indexation des pensions), celui-ci ouvre la voie à une série de réformes. Qui vont bien au-delà du seul redressement des comptes des régimes de retraite complémentaire des salariés du secteur privé.

Les premières conséquences politiques de ce séisme ne se sont d’ailleurs pas fait attendre, avec l’élection, le 21 octobre, de Jean-Louis Malys, secrétaire national de la CFDT, à la présidence du conseil d’administration de l’Arrco. En lieu et place de Philippe Pihet, le chef de file de Force ouvrière, non candidat. « Cohérent avec sa non-signature », celui-ci a en effet préféré lâcher une présidence détenue sans discontinuer par sa centrale depuis 1961 plutôt que de cautionner un « marché de dupes ». Dix-huit mois après l’élection de Jean-Paul Bouchet à la tête de l’Agirc, ce changement de majorité de gestion à l’Arrco propulse la CFDT au centre du jeu paritaire en retraite complémentaire, tout en consacrant le retour de la CFE-CGC qui s’en était exclue depuis 2011.

Du point de vue de l’équilibre des comptes, les signataires de l’accord peuvent formellement se targuer d’avoir fait le boulot auprès des pouvoirs publics qui les attendaient au tournant. En réduisant de 8,4 à 2,3 milliards d’euros le déficit annoncé pour 2020, « nous avons résorbé les trois quarts des déficits attendus ! » se félicite ainsi Jean-Louis Malys. Et « nous avons repoussé l’horizon d’épuisement des réserves des régimes jusqu’en 2035 », ajoute Claude Tendil, leader de la délégation patronale.

Pour parvenir à un tel résultat, les retraités ont, certes, comme en 2013, été mis à contribution, à hauteur de 3,4 milliards d’euros selon le chiffrage de l’accord. D’une part, par le report dès 2016 de la date anniversaire de la revalorisation des pensions du 1er avril au 1er novembre. D’autre part, par le maintien jusqu’en 2018 de leur sous-indexation de 1 % par rapport aux prix. Mais les économies escomptées ne seront au rendez-vous que si les prévisions de regain d’inflation (+ 1 % dès 2016, + 1,4 % en 2017) se confirment, ce qui n’est pas gagné.

L’accord repose aussi sur l’injection de 1,8 milliard d’euros de ressources supplémentaires d’ici à 2020… Dont 660 millions d’euros à la charge des employeurs du fait de l’extension, dès 2016, de la cotisation AGFF (Association pour la gestion du fonds de financement) aux rémunérations comprises entre quatre et huit plafonds de la Sécu (tranche C) et de la hausse à partir de 2019 du taux d’appel de 125 à 127 %.

Jeu de passe-passe

Pour obtenir in fine cette concession patronale après des mois d’un bras de fer tendu, les syndicats ont bénéficié d’un renfort inattendu : « Cet effort de 120 millions d’euros par an dès 2016 sera compensé par une baisse à due proportion de la cotisation patronale AT-MP, sachant que la branche affiche un excédent de 600 millions », se targue ainsi Claude Tendil. « Comme en 2013, lorsque le gouvernement a compensé la hausse de cotisation Agirc-Arrco par une baisse de la contribution patronale familiale », fulmine Éric Aubin (CGT). À cette aune, « l’équilibre des efforts entre entreprises, salariés et retraités est une escroquerie ! » s’indigne, de son côté, Philippe Pihet (FO).

D’autant que la potion que les signataires s’apprêtent à administrer aux salariés est, elle, bien réelle. Ces derniers devront d’abord mettre la main à la poche. Outre la hausse du taux d’appel, les cadres voient leur cotisation Agirc alignée de façon à supporter, comme à l’Arrco, 40 % (au lieu de 38 %) du financement de leur régime. À l’exception des plus modestes (exonérés de tout ou partie de la CSG) et des invalides, ils vont être surtout incités à repousser la date de leur départ en retraite d’au moins un an. Sauf à se voir appliquer un « coefficient de solidarité », autrement dit un abattement de leur pension, de 10 % pendant trois ans.

Certes, le patronat, qui souhaitait infliger une pénalité encore plus dissuasive, a dû en rabattre. « La baisse se limite à 3 % de la pension totale d’un non-cadre et à 5 % de celle d’un cadre », minore Serge Lavagna (CFE-CGC). « Ce qui équivaut à 39 euros en moins par mois sur une pension totale de 1 300 euros », a calculé la CFTC. Sauf que, « vu l’attachement irrationnel des salariés à la notion de taux plein, l’impact risque d’être beaucoup plus fort que ne l’anticipent les signataires de l’accord », analyse Emmanuel Grimaud, président du cabinet de conseil en transition emploi-retraite Maximis.

Contribution Delalande (bis)

Les bornes d’âge de départ légales et la durée de cotisation font ainsi leur entrée dans la boîte à outils des gestionnaires. « Un tabou est tombé », se félicite Claude Tendil, estimant « cette évolution inéluctable, vu la hausse continue de l’espérance de vie ». Mais au risque de « mettre un pied dans la porte d’un système de comptes notionnels et de préparer le terrain à une remontée de l’âge légal de départ à 63 ans après 2017 », s’inquiète Philippe Pihet. « Nous avons préservé la marge de choix laissée aux salariés », se défend Jean-Louis Malys, en mettant en avant les coefficients de majoration temporaires de 20 à 30 % en cas de liquidation repoussée de deux à quatre ans. « La mesure entérine une baisse des pensions pour les 56 % de salariés qui ne sont déjà plus en activité au moment de leur départ », lui rétorque la CGT.

Dans la même veine comportementale, les signataires se sont aussi engagés à pénaliser les ruptures de contrat de travail en fin de carrière via l’instauration au profit de l’Agirc-Arrco d’une « contribution sur les transactions » accordées dans ce cadre. À charge pour la négociation sur l’assurance chômage censée s’ouvrir dans la foulée de « préciser le taux et l’âge minimal des salariés concernés ». Si les ruptures conventionnelles de complaisance sont clairement dans le viseur des syndicats, la rédaction tarabiscotée de l’accord, souhaitée par le patronat, laisse augurer de solides empoignades sur le périmètre de cette pénalisation financière… dont l’efficacité reste à démontrer.

« Quand une grande entreprise est prête à mettre deux ans de salaire sur la table pour faire partir ses seniors dans le cadre d’un plan, 3 % de pénalité en plus ne va pas l’en dissuader », tranche un consultant, perplexe. « Cela ressemble fort à une résurrection de la contribution Delalande, qui avait pourtant été supprimée en 2008 au nom de ses effets dissuasifs sur l’emploi des quinquas ! » ajoute un DRH.

L’autre grand chantier ouvert par l’accord concerne la rénovation du statut de l’encadrement, préambule nécessaire à la fusion des régimes (lire encadré). Gage de leur volonté d’aboutir, les partenaires sociaux se sont dotés d’un calendrier précis avec l’ouverture, d’ici au 1er janvier 2018, d’une négociation interpro et d’une feuille de route ambitieuse. Patronat et syndicats vont en effet devoir « définir les principaux éléments permettant de caractériser l’encadrement d’un point de vue technique et managérial », ce qui revient à réviser les catégories définies par les articles 4, 4 bis et 36 de la convention fondatrice de l’Agirc de 1947 servant de référence à de nombreuses conventions collectives. À charge pour les branches qui le souhaitent de préciser cette définition d’ici à 2019.

La fin des assimilés cadres

Pour la CFDT, très attachée à l’ouverture d’une telle négociation, cette nouvelle définition du statut cadre devrait passer par « des critères objectifs ». Au premier rang desquels figure la rémunération, qui, selon Jean-Paul Bouchet, président CFDT de l’Agirc, « ne devrait pas être inférieure au plafond de la Sécurité sociale ». Ce qui pose très clairement la question du sort des 36 % de cadres n’atteignant pas ce plancher ! Vent debout contre ce projet, l’Ugict CGT redoute un affaissement généralisé des niveaux de classification qui se solderait par une réduction drastique de la catégorie cadre. Circonspecte à l’égard de ce potentiel big bang, la CFE-CGC s’est attachée à bétonner la possibilité d’en revenir aux catégories antérieures dans la mesure où, selon Serge Lavagna, « un échec de la négociation n’est pas à exclure ».

La dernière porte entrouverte par l’accord concerne l’épargne retraite collective. Sous couvert de laisser aux branches la possibilité de « moderniser » la cotisation, obligatoire depuis 1947, en prévoyance décès de 1,5 % sur la tranche A des cadres, tombée de plus en plus en désuétude, certains signataires aimeraient bien bâtir un véritable étage d’épargne retraite collective. Dans son manifeste pour une refonte du statut cadre, publié mi-octobre, la CFDT le revendique officiellement. Ce nouveau tabou risque toutefois d’être autrement plus difficile à lever…

Vers une fusion de l’Agirc et de l’Arrco au 1er janvier 2019

Après avoir tergiversé pendant plus de dix ans, les signataires de l’accord du 30 octobre se sont enfin fixé un calendrier contraignant : la fusion entre l’Agirc et l’Arrco interviendra donc officiellement au 1er janvier 2019. Impossible d’ailleurs de reculer encore l’échéance : « La création de ce régime unifié était indispensable pour pouvoir mutualiser les réserves des deux régimes et éviter aux cadres de subir une baisse de 12 % de leur pension au 1er janvier 2018 », rappelle la CFDT. Les signataires en ont aussi profité pour en poser quelques principes. Telle l’organisation en deux tranches : au-dessous du plafond de la Sécu pour la tranche des non-cadres et entre un et huit plafonds pour celle des cadres. Les taux contractuels de droit commun, supportés à 60 % par l’employeur et 40 % par le salarié, ont également été fixés : 6,2 % pour la première tranche et 17 % pour la seconde. Les entreprises utilisant encore des taux dérogatoires auront la faculté de les conserver ou de se rallier au droit commun. Au-delà de ces principes généraux il appartiendra aux commissions paritaires de l’Agirc-Arrco de préciser les autres règles techniques de fonctionnement du régime, sur la base du groupe de travail qui sera installé dès 2016. Plusieurs points épineux ne sont en effet pas tranchés. À commencer par le sort des trois autres contributions appelées par ces régimes : l’AGFF, la garantie minimale de points et la contribution exceptionnelle temporaire, spécifique à l’Agirc. « Si ces cotisations ne sont pas maintenues sous cette forme, il faudra veiller à en conserver le produit global », prévient Serge Lavagna. Un autre sujet délicat concerne l’harmonisation des pensions de réversion.

Mais le groupe de travail devra aussi préciser les nouvelles modalités de pilotage du régime. Notamment le partage des responsabilités entre les partenaires sociaux et le futur conseil d’administration du régime unifié. Les premiers sont en effet censés négocier tous les quatre ans les grands paramètres quand le second aura la possibilité de les ajuster, au vu de la situation financière annuelle.

Auteur

  • Valérie Devillechabrolle