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Les surveillants pénitentiaires au bout du rouleau

Décodages | publié le : 03.12.2015 | Émilie Lay

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Les surveillants pénitentiaires au bout du rouleau

Crédit photo Émilie Lay

L’administration pénitentiaire peine à recruter et, surtout, à retenir ses gardiens. En cause, des conditions de travail très dégradées. Depuis la vague de suicides de 2009, elle s’est attaquée aux risques psychosociaux. Très timidement.

Impossible de les rater. Depuis octobre, des panneaux présentant un beau surveillant de prison à l’air épanoui ont fleuri dans les rues et les gares. Objectif de cette campagne de l’administration pénitentiaire ? Embaucher 1 500 personnes en 2016. À rebours de cette vision idyllique, les agents ont manifesté leur ras-le-bol le 22 octobre, sous les fenêtres de la garde des Sceaux. Après une première rencontre sans résultat avec Christiane Taubira – et un arrêt du mouvement en raison des attentats à Paris –, la négociation a repris. Nouvel élément, l’annonce par François Hollande, devant le Congrès, de la création de 2 500 postes à la Justice. Mais combien pour la pénitentiaire ? Avec 1 437 postes actuellement vacants et 777 départs à la retraite prévus d’ici à 2017, le recrutement des gardiens ressemble au tonneau des Danaïdes. Or il est difficile de relâcher encore les critères de sélection du concours d’entrée à l’École nationale d’administration pénitentiaire (Enap). Il est déjà accessible au niveau brevet des collèges, et jusqu’à l’âge de 42 ans ! La profession pâtit aussi d’un fort turnover, avec 99 démissions et 25 abandons dès l’Enap, en 2014.

Fonctionnaires de catégorie C, les surveillants débutent avec un salaire net de 1 543 euros. Ils peuvent évoluer vers des postes d’encadrement, voire de commandement, par concours et promotions. Garants de la sécurité et premiers interlocuteurs des détenus, ils constituent aussi un rouage de la réinsertion. En théorie. « Cette dernière fonction, on la laisse dans notre poche, faute de temps », regrette Michel, en poste dans une prison bretonne. Pour cause de surpopulation carcérale et de sous-effectif, ils se trouvent réduits au rôle de « porte-clés », courant toute la journée.

La liste des risques psychosociaux qui les guettent semble interminable. En premier lieu, les rythmes de travail, nocifs pour la santé, nuisent à la vie familiale et sociale. Ainsi des surveillants affectés aux coursives – les couloirs où s’alignent les cellules –, qui se relaient souvent par cycles de cinq jours. Ils travaillent les trois premiers jours de 13 heures à 19 heures ou de 7 heures à 13 heures, avec une reprise le soir même du troisième jour de 19 heures à 7 heures. Suivent deux jours de repos… pendant lesquels on les rappelle régulièrement pour pallier les sous-effectifs. La fatigue qui en résulte favorise les conflits avec les détenus. « Ces rythmes morcelés leur donnent l’impression de ne rien maîtriser », complète Jean-Michel Dejenne, premier secrétaire du Syndicat national des directeurs pénitentiaires. À l’instar de nombreux surveillants, il plaide pour une organisation en journées de douze heures.

Armé d’un sifflet et d’un talkie-walkie, le surveillant en coursive se retrouve seul avec une cinquantaine de détenus. Une source d’angoisse, en particulier dans les établissements conçus avec des ailes fermées qui ne permettent ni de voir ni d’entendre directement ses collègues. S’y ajoute la peur des suicides de détenus, dont la prévention incombe aux surveillants. La responsabilité est lourde. L’atteinte, réelle. « Une fois, j’ai décroché un pendu. Je peux encore tout décrire, tout. Dès que j’ouvre une porte, je me demande ce que je vais trouver derrière », témoigne Alex*, surveillant dans une prison francilienne.

Traumatismes répétés, éreintement, stress chronique… La pénibilité du métier permet, certes, le gain d’un an de retraite pour cinq années de travail. Mais l’usure prend de vitesse les agents, contraints de déployer toujours plus de résistance mentale. « On remarque des états d’épuisement intense. Comme ce surveillant victime d’un burn out un an avant la retraite… », confirme la psychologue Émilie Piouffre, qui mène une recherche psychopathologique sur le mal-être et le suicide des personnels pénitentiaires. En la matière, un triste record a été battu en 2009, avec 15 suicides de surveillants.

Afin d’armer ses cadres, l’administration a recouru au cabinet Technologia pour des formations sur la souffrance au travail et la prévention des risques psychosociaux. Deux tiers des directeurs et de leurs adjoints en ont déjà bénéficié. Fin 2014, une directive et un guide pratique ont été diffusés en vue d’inclure ces risques dans le document unique d’évaluation des risques des établissements. Des initiatives locales voient par ailleurs le jour. Ainsi, en Bourgogne, des groupes d’analyse des pratiques se réunissent après chaque agression. « Les méthodes d’intervention des surveillants sont examinées en commun afin d’en tirer des éléments pédagogiques », indique Christian Obin, directeur adjoint des RH de la direction interrégionale des services pénitentiaires (Disp) du Centre-Est Dijon.

Tensions sociales.

Avec l’appui de l’Association régionale pour l’amélioration des conditions de travail (Aract) de Bourgogne, le centre de détention de Varennes-le-Grand (Saône-et-Loire) a travaillé, voilà trois ans, sur la communication interne. « La méconnaissance des contraintes de chacun causait des tensions dans le collectif, se souvient Sandrine Lagarde, directrice de l’Aract. Les groupes de travail ont permis aux différents personnels et services de se découvrir. » Le service du greffe a conçu, fruit de cette concertation, un « Guide prévenus » permettant aux surveillants de répondre directement à leurs questions. La maison d’arrêt d’Auxerre, elle, s’est penchée sur le stress et l’isolement dans les étages. Mais les solutions trouvées sont restées lettre morte après des mutations dans l’équipe.

C’est là que le bât blesse. « L’administration pénitentiaire doit faire de ce sujet une priorité, incarnée par des objectifs précis », souligne Christian Obin. Dans chaque prison une personne assume certes la fonction d’assistant de prévention. Et dans les Disp, c’est souvent un agent technique qui est chargé des questions de sécurité et des conditions de travail. Mais ces personnels, non cadres, n’ont pas l’autorité managériale nécessaire au pilotage de ces dossiers. Quant aux rythmes de travail, ils ne devraient pas changer de sitôt. Un professeur d’ergonomie étudie bien le sujet. « Mais nous ne réviserons pas d’un coup tout le système, qui est compliqué et ancestral », admet Lydie Barnet, à la tête du bureau de la santé, de la sécurité et de la qualité de vie au travail.

Or ces difficultés s’inscrivent dans un climat social dur. Des tracts syndicaux virulents circulent. Ne bénéficiant pas du droit de grève, des surveillants se font prescrire des arrêts de travail concertés. Une façon de protester contre le manque de soutien de leur hiérarchie. Quant aux directeurs, ils se sentent agressés par les syndicats et négligés par leur tutelle. « Les rapports sont pathologiques », résume Jean-Michel Dejenne. Pour l’heure, le sentiment d’impuissance domine.

En chiffres

26 734 surveillants, dont 20,73 % de femmes, au 1er janvier 2015.

137 869 jours d’arrêt de travail pour accident de service en 2013.

Source : direction de l’administration pénitentiaire.

31 %

C’est le surplus de risque de suicide des surveillants pénitentiaires par rapport à celui de la population générale (entre 2005 et 2010).

Source : Inserm, 2011.

Des psys 24 heures/24

Face au risque de suicide, le bureau de la santé, de la sécurité et de la qualité de vie au travail, créé en 2009 par l’administration pénitentiaire, a lancé un plan de prévention, avec le recrutement de 15 psychologues supplémentaires. Ils sont aujourd’hui 60 pour tout le pays, disponibles 24 heures sur 24 et chargés du soutien individuel. Ils interviennent aussi à la suite d’agressions, de prises d’otages ou de mutineries. Un numéro gratuit a aussi été mis à disposition par un prestataire, l’IAPR. L’administration n’a pas retenu la recommandation de l’Inserm d’un suivi annuel systématique des personnes.

Mais, au-delà, encore faut-il s’attaquer aux racines de ces drames. « Il reste possible de faire émerger des ressources au niveau du collectif de travail, de sorte que les surveillants soient plus sereins. Cela passe par la communication, le soutien de la hiérarchie, l’entraide… Mais dans des milieux si contraints, les marges de manœuvre sont difficiles à trouver », note Sandrine Lagarde, directrice de l’Aract Bourgogne. De fait, l’administration laisse la bride sur le cou des directions interrégionales et des établissements. Après le suicide d’un surveillant en 2014, le centre pénitentiaire de Nantes a par exemple engagé un diagnostic des risques psychosociaux, via l’envoi de questionnaires anonymes à l’ensemble du personnel. « Mais c’est une étudiante en sociologie qui en analysera les réponses et fera des recommandations », regrette Samuel Gauthier, secrétaire local de la CGT pénitentiaire.

L’administration a mis en place un dispositif de soutien individuel d’urgence.

* Le prénom a été changé.

Auteur

  • Émilie Lay