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Le marché du travail, enjeu du débat électoral

Décodages | publié le : 03.12.2015 | Cécile Thibaud

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Le marché du travail, enjeu du débat électoral

Crédit photo Cécile Thibaud

L’emploi repart très doucement en Espagne… mais à quel prix ? La dérégulation du marché du travail menée par Mariano Rajoy est mise en cause par ses adversaires aux législatives de ce mois. Qui prônent davantage de protection pour les salariés.

Juan tourne les pages du carnet rempli de son écriture serrée. Dedans, il consigne ses idées, les initiatives de l’assemblée de chômeurs et les réunions du collectif contre les expulsions auquel il participe. Il a le temps. Au chômage depuis 2010 après avoir enchaîné les contrats temporaires comme ouvrier dans la construction, il n’a plus aucun espoir de retrouver du travail. Son quartier, Villaverde, bat les records de chômage de Madrid. Dans cette frange de la capitale, qui a poussé dans les années 1950 sur des bidonvilles, loin au sud, les petites entreprises ont baissé le rideau les unes après les autres et celles qui survivent vivotent. Mais le coup dur a été la fermeture de la fonderie d’ArcelorMittal, en 2012.

Tous les lundis matin, il retrouve un petit groupe de chômeurs pour échanger les nouvelles, se passer les tuyaux, se lancer dans la culture d’un nouveau potager urbain et, surtout, se remonter le moral. « J’ai été bien bête, dit Juan, j’ai trimé plus que mon compte, j’ai tout donné pour qu’ils ne me virent pas. Mais les chefs ne se sont pas gênés, ils m’ont jeté comme un vieux chiffon. »

À côté de lui, Basilio, 54 ans, qui avait commencé à travailler à 16 ans dans l’imprimerie, a été licencié il y a près de trois ans. Divorcé, il survit avec l’indemnité de 426 euros octroyée aux personnes seules en fin de droits. « Nous, on ne verra plus jamais un emploi, soupire-t-il. Alors on se demande pourquoi la retraite est passée à 67 ans si on ne veut plus de nous après 50 ans ! »

À quelques semaines des élections législatives, attendues le 20 décembre prochain, la question de l’emploi est au cœur de la campagne. Chaque parti affûte son argumentaire et détaille ses propositions. Car si la reprise est là, elle est lente. Et, surtout, elle tarde à réactiver les embauches durables. Le chômage, qui était monté à plus de 26 % en 2013, a amorcé sa descente, mais il est encore à 22,5 % aujourd’hui.

Le gouvernement conservateur sortant, celui de Mariano Rajoy, aux manettes du pays depuis fin 2011, défend âprement son bilan. Et notamment la façon dont ses réformes structurelles ont préparé le terrain de la reprise économique. « Quand nous sommes arrivés au pouvoir, le pays perdait 600 000 postes de travail par an, les finances publiques accusaient 9 % de déficit et le pays perdait en compétitivité, rappelle le ministre de l’Économie, Luis de Guindos. Et aujourd’hui ? L’Espagne croît à plus de 3 %, le pays est solvable et il a retrouvé sa compétitivité. »

Précarisation.

Pour y parvenir, l’Espagne a été soumise à une intense dévaluation interne. L’enquête sur les salaires, menée par trois chercheurs du think tank libéral Fedea, est particulièrement éloquente. Elle révèle que les salariés qui ont dû changer de travail le paient chèrement. Ceux qui ont quitté leur emploi et ont été embauchés ailleurs en CDI gagnaient 17 % de moins en 2013 qu’en 2007. Ceux qui sont passés en CDD au sein de leur entreprise ont perdu 44 % de leur rémunération. Quant à ceux qui sont en contrat court dans une autre société, ils perçoivent 48 % de moins qu’avant la crise.

Si l’on s’en tient aux chiffres, l’emploi décolle. Plus de 400 000 emplois ont été créés en 2014, et 2015 devrait se clôturer avec 650 000 postes de plus. Les perspectives sont bonnes, mais à quel prix ? interroge Fernando Lezcano, du syndicat CCOO. « On oublie vite que 92 % des nouveaux contrats sont à durée déterminée, courts, voire très courts, et que 22,5 % d’entre eux durent moins d’une semaine », rappelle-t-il, en désignant la grande réforme du Code du travail de 2012 comme responsable de cette précarisation généralisée. Un texte que le ministre de l’Économie cite, lui aussi, comme fondamental. Mais pour en vanter les mérites, jugeant qu’il avait servi de clé pour débloquer le marché de l’emploi.

Promulgué en février 2012 par le gouvernement conservateur, le texte de loi se donnait pour objectif de flexibiliser le marché de l’emploi en permettant aux entreprises dont les prévisions économiques étaient mauvaises de s’adapter à la conjoncture. Elles pouvaient dès lors suspendre l’application des conventions collectives en vigueur, diminuer les salaires ou encore modifier les conditions de travail des salariés sans consulter les syndicats.

Nouvelle réforme.

Le leader socialiste Pedro Sanchez a promis d’abroger cette loi. Mais les syndicats ont bien noté qu’il a évité d’entrer dans les détails concrets. Il refuse notamment de s’engager à rétablir l’indemnisation du licenciement à son niveau antérieur à la crise, lorsqu’elle était de quarante-cinq jours par année travaillée dans les cas de départ non justifié. Il fait valoir en revanche une meilleure protection sociale et une défense des salariés contre les abus patronaux, dans le cadre, dit-il, d’« une nouvelle réforme du travail consensuelle et négociée avec les partenaires sociaux ».

Pour Adoracion Guaman, économiste de la coalition communiste Izquierda unida, cette loi a laissé des cicatrices profondes en dérégulant le marché du travail au profit des employeurs. « Le système actuel utilise le chômage comme levier pour encourager la précarité. La réforme du travail a multiplié les emplois atypiques, le temps partiel et les contrats spéciaux qui permettent aux petits entrepreneurs d’embaucher sans avoir à payer d’indemnités durant la première année. Dans les faits, on aboutit à des licenciements gratuits », dénonce-t-elle. L’analyse d’Izquierda unida va dans le sens de celle de Podemos, qui s’engage à augmenter le salaire minimum (757 euros par mois) et à défendre le droit au travail.

L’autre nouveau dans le paysage politique espagnol, le parti de centre droit Ciudadanos, est sans doute le plus précis dans ses propositions. Son président, Albert Rivera, pose sur la table une refonte et une simplification de la loi du travail, avec notamment la création d’un contrat unique pour rompre avec un marché du travail à deux vitesses. « Il faut en finir avec les contrats Kleenex en donnant les mêmes droits à tous », dit-il. Lui plaide pour une flexisécurité « à la danoise », avec la mise en place d’un système dans lequel les salariés acquièrent des droits progressifs. Mais aussi pour une réforme de l’assurance chômage, en créant, sur le modèle autrichien, des comptes d’épargne individuels alimentés tout au long de la carrière, indépendamment de la mobilité des salariés d’une entreprise à une autre. Des idées qui trouvent un certain écho, aussi, de l’autre côté des Pyrénées…

Repères
Élections en vue

Le 20 décembre, les Espagnols éliront, en un seul tour, les 350 députés des Cortes qui voteront ensuite pour désigner le chef du gouvernement. Le sortant Mariano Rajoy, tête de liste du Parti populaire (conservateur), affrontera le leader socialiste Pedro Sanchez. Un scrutin indécis. Le gagnant devra sans doute composer avec deux nouveaux partis, Podemos, à gauche, et surtout Ciudadanos, le parti de centre droit en pleine ascension.

Auteur

  • Cécile Thibaud