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Le business menacé des écoles fantômes

Décodages | publié le : 03.12.2015 | Lou-Eve Popper

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Le business menacé des écoles fantômes

Crédit photo Lou-Eve Popper

L’encadrement de plus en plus strict des stages a des effets pervers. Des organismes bidon vendent des conventions à prix d’or à des étudiants désemparés. L’État lance la contre-offensive.

Notre mission chez Espace Concours est de lever le barrage du prix pour vous donner accès à des formations au meilleur rapport qualité-prix. Vos cours et devoirs seront revus et corrigés par nos professeurs, vétérinaires, médecins, ingénieurs et de nombreux experts métiers en coiffure et en esthétique. » Au bout du fil, la voix féminine du répondeur téléphonique est rassurante. À l’entendre, Espace Concours – ou Europe Formation, il s’agit de la même structure – serait l’organisme idéal. Seulement voilà, personne n’a jamais lu leurs ersatz de cours ni rencontré leurs professeurs. Pour la simple raison que ces derniers n’existent pas. Pourtant, en toute connaissance de cause, de nombreux jeunes choisissent de s’inscrire à ces formations. Leur objectif ? Obtenir une convention de stage.

Depuis un décret d’août 2010, les stages hors cursus pédagogique sont en effet interdits. Et « seuls des établissements d’enseignement dispensant une formation supérieure diplômante ou non » peuvent en élaborer. Une façon d’empêcher les entreprises de proposer des stages à des jeunes déjà diplômés, qui pourraient prétendre à un emploi salarié. Problème : à la sortie de l’école ou de l’université, de nombreux étudiants sans expérience professionnelle ni perspective immédiate d’emploi n’ont d’autre choix que de se replier sur des stages.

Ayant compris qu’il y avait là des profits à réaliser, une dizaine d’instituts fantômes sont apparus ces dernières années. Ils se partagent un petit marché juteux, en vendant le précieux papier entre 300 et… 1 990 euros ! Des prix exorbitants pour des stages rémunérés seulement 554 euros mensuels, dès lors qu’ils durent plus de deux mois consécutifs. Antoine*, 23 ans, est l’un de leurs clients. « J’ai obtenu un double master 2 à l’ENS et à l’Ehess mais sans avoir jamais réalisé un seul stage. En sortant de mes études, j’ai eu la possibilité d’en effectuer un dans un magazine mais aucun des deux établissements n’a accepté de me conventionner. J’ai donc fini par m’inscrire en journalisme chez Europe Formation, découvert sur la Toile. » Sur son site, il est stipulé que « la formation à distance au métier de journaliste comporte les modules suivants : techniques de rédaction, techniques de reportage, techniques d’interview, télévision, Internet, presse, radio ». En réalité, les cours se résument à une trentaine de pages d’une indigence rare.

Chez Fac For Pro, l’école fantôme sans doute la mieux référencée sur Google, la qualité de l’enseignement pose aussi question. En s’inscrivant au programme « Communication et événementiel », l’étudiant reçoit par exemple des cours comme « Rentabilité de projets », « Processus de ventes » ou encore « Comment mieux négocier ». Au détour d’un questionnaire permettant de découvrir son profil professionnel, on y apprend que si l’on a « tendance à se méfier de ce qui est nouveau », on ressemble alors à « Captain America, Astérix ou aux Hobbits dans le Seigneur des anneaux » et que nos animaux totémiques sont « l’abeille, la fourmi ou le chien ».

Injonction ministérielle.

Pour ces pseudo-écoles, le temps de l’impunité semble pourtant révolu. En effet, les rectorats peuvent porter plainte contre les structures qui ne respectent pas les engagements pris dans leur « déclaration d’ouverture ». C’est ce qui s’est produit en février dernier, lorsque le centre de formation Central Business & Langage Education (CBLE) a dû fermer ses portes après une plainte du rectorat de Paris. Une initiative saluée par le collectif de stagiaires Génération précaire, qui espérait alors que l’État allait « s’en inspirer pour enquêter sur les autres écoles et les faire fermer ».

C’est désormais chose faite. À la suite de plusieurs signalements d’étudiants, le ministère de l’Éducation nationale, de l’Enseignement supérieur et de la Recherche a déclaré mi-novembre qu’il engageait « des procédures visant à faire respecter le cadre légal et réglementaire portant sur la délivrance de conventions de stages ». En s’intéressant en particulier à l’obligation d’inscrire ledit stage au sein d’une formation annuelle de deux cents heures au minimum en présence des étudiants, selon un décret du 27 novembre 2014. « Des cours en ligne ne permettent pas de signer une convention conforme à la loi française », rappelle le ministère.

Celui-ci a ainsi écrit aux propriétaires des sites www.facforpro.com et BeStudentAgain pour leur rappeler la loi. Deux courriers « assortis d’une injonction de mise en conformité dans un délai contraint au-delà duquel le ministère se réserve le droit d’intenter une action en justice ». Pour contourner l’obstacle, Fac For Pro pensait avoir trouvé la parade. La directrice pédagogique prévoyait ainsi de mettre en place « une plate-forme e-learning permettant de mesurer la présence des étudiants pendant leurs cours via des décomptes de temps et leur progression via des outils statistiques et une interaction avec le responsable du cours ». Raté.

Pour attirer le chaland, les organismes font dans la surenchère. Et se parent de toutes les vertus lorsqu’on les interroge sur le sérieux de leurs cours. Au téléphone, la responsable d’Europe Formation indique sans sourciller que son établissement est « sous contrôle pédagogique de l’État » et que ses enseignants sont « certifiés par le groupe privé Afnor ». Contactés, le ministère de l’Éducation tout comme l’organisme de certification démentent formellement de telles déclarations.

La vitrine de Fac For Pro, aussi, est très soignée. Sur son site, l’institut se dit « habilité par le rectorat de Paris ». « Aucun organisme n’est habilité, mais simplement déclarés auprès de lui. Ils jouent sur la confusion pour attirer les étudiants », répond-on au ministère de l’Éducation nationale. Le site précise aussi qu’à la fin de leur cursus, les étudiants peuvent recevoir « la certification d’aptitude professionnelle Fac For Pro ». Celle-ci n’étant pas inscrite au Répertoire national des certifications professionnelles, il est impossible de la valoriser auprès des entreprises. D’autant moins que les jeunes qui s’inscrivent peuvent être déjà surdiplômés. Tel Simon, 25 ans, qui, une fois son master 2 de psychologie en poche, a cherché en vain un emploi pendant deux ans et demi et s’est inscrit, en désespoir de cause, pour « avoir au moins un stage ».

En urgence.

Les exemples d’abus sont nombreux. Sur la Toile, Paris Executive Business School (Pebs) se présente aussi comme un organisme privé d’enseignement à distance qui propose, pour 500 euros, diverses formations en « droit international », « architecture et gestion immobilière » ou encore « métiers du luxe et de la mode ». Mais, surtout, une « convention de stage disponible sous 24 heures ». L’établissement, qui n’existe que depuis un an, assure qu’une « petite centaine » d’élèves s’est déjà inscrite. Au téléphone, le standardiste précise qu’« ils suivent tous nos cours en ligne sur la plate-forme pédagogique mais leur principal objectif, c’est leur intégration professionnelle ». En d’autres termes, l’obtention d’une convention en urgence. Sur un forum de discussion, le témoignage de l’internaute « FabriceLomb » est sans ambiguïté : « Je me suis inscrit à Pebs, ils ne dispensent pas de diplôme reconnu par l’État, seulement une attestation de réussite. Mais bon, en tout cas, je fais mon stage. »

BeStudentAgain fait mieux encore. Basé aux États-Unis, dans le Wyoming, cet organisme ne signe pas lui-même de conventions de stage : ce sont les universités étrangères avec lesquelles il a établi des partenariats qui s’en chargent. Pour un montant de 430 euros – « au lieu de 480 euros, offre limitée ! » précise le site – les jeunes sont inscrits auprès d’universités… tenues secrètes jusqu’au paiement. Des noms, comme Santiago du Chili ou Mexico, circulent sur les forums. Les jeunes accèdent ensuite à des cours en ligne, obtiennent une carte d’étudiant internationale et « peuvent également recevoir une convention de stage de six mois ». Sur sa page Internet, l’organisme affiche illégalement le logo du ministère de l’Éducation pour rassurer les clients. Pour les plus réticents, BeStudentAgain a même fait la liste des groupes « accueillant les stagiaires de nos universités partenaires ». On peut y lire les noms d’Auchan, de Publicis ou de la Société générale. Pas sûr que lesdites entreprises apprécient…

L’existence et la pérennité de ces établissements ne sont rendues possibles qu’avec la complicité, consciente ou non, des employeurs. En effet, rares sont ceux qui se montrent regardants. Et pas seulement dans les petites structures qui raffolent de la main-d’œuvre bon marché. « Si le recruteur ne demande pas d’explications, alors il est fautif. Il est de sa responsabilité de ne pas valoriser ce genre d’expériences sans cadre légal. Les employeurs doivent pouvoir être des outils de régulation », explique l’un des porte-parole du collectif de stagiaires Génération précaire. L’État ne s’y est pas trompé, qui rappelle que la méconnaissance de la loi « peut être constatée par des agents de contrôle de l’inspection du travail, et que les manquements sont passibles d’une amende administrative. » À bon entendeur…

Des quotas en débat

Fini, la main-d’œuvre corvéable à merci ! Le gouvernement poursuit la mise en application de la loi, votée le 10 juillet 2014, luttant contre l’abus de stagiaires en entreprise. Après l’entrée en vigueur de la gratification minimale (554,40 euros mensuels), du droit aux titres-restaurants et du remboursement des frais de transports, le décret du 26 octobre 2015 fixe des quotas de stagiaires maximaux par entreprise. Pour celles qui comptent plus de 20 salariés, leur nombre ne peut plus excéder 15 % de l’effectif total. Celles au-dessous ne peuvent en accueillir plus de trois. Lorsque les stages constituent une obligation de scolarité, les autorités académiques sont habilitées à faire des dérogations. Elles peuvent alors, dans les sociétés de plus de 30 salariés, porter le nombre de stagiaires à 20 % de l’effectif. Au-dessous, le plafond passe à cinq.

Les effets de ce décret se feront surtout sentir au printemps prochain, période faste aux stages. Mais la Conférence des grandes écoles (CGE) prévoit déjà des difficultés. « Nos établissements seront contraints de réduire le nombre de stages durant les cursus de formation », estime l’association dans un courrier au ministère du Travail. Attentive au besoin des étudiants de mettre en pratique leurs connaissances – en témoigne le succès des années de césure –, la CGE dénonce une confusion entre les différents types de stages. Un stage ouvrier serait ainsi peu propice aux abus, contrairement à une longue immersion en fin d’études. Catherine Abou El Khair

* Tous les prénoms ont été changés.

Auteur

  • Lou-Eve Popper