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Élections locales : l’alternance fait valser les directeurs

Décodages | publié le : 03.12.2015 | Sabine Germain

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Élections locales : l’alternance fait valser les directeurs

Crédit photo Sabine Germain

En régions comme ailleurs, les cadres dirigeants des collectivités territoriales font aussi les frais des alternances. Surtout s’ils sont marqués politiquement. Rebondir n’est pas toujours facile.

À quelques jours des élections des 6 et 13 décembre, les équipes de direction des conseils régionaux sont sous tension. Au regard des résultats calamiteux enregistrés par la majorité présidentielle lors des scrutins municipaux de mars 2014 et départementaux de mars 2015, on peut parier sans trop de risques sur une nouvelle vague d’alternance. Qui sera d’autant plus violente que le Parti socialiste avait presque réalisé un carton plein lors des régionales de 2010, décrochant la présidence de 21 conseils sur 22. D’après Julien Dray, tête de liste socialiste dans le Val-de-Marne, « si la gauche remporte six régions, on ne pourra pas parler de défaite ». Las, les sondages les plus optimistes lui en accordent moitié moins.

À raison de cinq à dix cadres dirigeants par région, on peut considérer qu’entre 150 et 200 personnes sont actuellement sur un strapontin. Et que la moitié d’entre elles devront se trouver un nouveau point de chute. En mars dernier, alors que 51 départements sur 101 changeaient de président (dont 23 sont restés du même bord politique), 45 directeurs généraux des services ont perdu leur poste. Dans certains départements, le changement a été radical. En Seine-et-Marne, par exemple, toute l’équipe de direction a été débarquée. Dans d’autres collectivités, il s’est fait en douceur. Ainsi du conseil départemental de la Somme, dont le nouveau patron a choisi de garder les hommes et femmes en place pour gérer au mieux l’alternance.

Cette instabilité s’est accrue, si l’on en croit Francine Levannier, directrice des concours et de la mobilité des cadres de direction au Centre national de la fonction publique territoriale (CNFPT). Un organisme dont l’une des missions consiste précisément à accompagner les intéressés dans la recherche d’un nouveau poste. « Durant des années, seuls les directeurs généraux étaient menacés. Puis les directeurs généraux adjoints ont, eux aussi, été exposés. Aujourd’hui, les directeurs peuvent également être concernés, notamment s’ils sont en charge de missions politiquement sensibles telles que la communication ou les ressources humaines », observe-t-elle. Un constat partagé par Vincent Bogaers, associé fondateur du cabinet SOI Conseil et Formation. « On commence même à voir des attachés territoriaux déplacés ou mis au placard », assure-t-il. Soit le cran hiérarchique encore au-dessous.

Solide parachute. Les directeurs et attachés territoriaux bénéficient de la sécurité de l’emploi. Car eux n’occupent pas un « emploi fonctionnel de direction », c’est-à-dire un poste administratif ou technique « à hautes responsabilités de direction ». Les directeurs généraux et leurs adjoints, si. Nommés de façon discrétionnaire par les élus, ils sont révocables tout aussi facilement. Un siège éjectable ? Certes, mais doté d’un solide parachute. Qui consiste en une période de transition de six mois durant laquelle élus et directeurs peuvent prendre le temps de voir s’ils sont capables de travailler ensemble. En cas d’échec, le fonctionnaire doit être reclassé dans un emploi de même grade.

D’autres options s’offrent à eux. Un congé spécial peut être accordé à ceux qui sont à moins de cinq ans de leur fin de carrière. Une préretraite dont le coût est porté par la collectivité territoriale, ce qui, en période de disette budgétaire, devient difficile à assumer. Le fonctionnaire peut aussi être « maintenu en surnombre » pendant un an supplémentaire. Durant cette période, tout emploi créé ou vacant correspondant à son grade doit lui être proposé en priorité. À son issue, l’intéressé est pris en charge par le CNFPT, qui assume sa rémunération indiciaire (nettement inférieure à sa rémunération antérieure, primes et avantage compris) et l’accompagne jusqu’à ce qu’il retrouve un poste. Enfin, l’intéressé peut demander son licenciement, accompagné d’une indemnité correspondant à un mois de traitement indiciaire par annuité de service dans la territoriale, majorée de 10 % pour les plus de 55 ans. Il rompt alors tout lien avec la fonction publique et ne bénéficie d’aucune allocation chômage. Après les élections municipales et départementales, le CNFPT a été saisi de 53 cas de cadres maintenus en surnombre. « Neuf restent à ce jour sans emploi », précise Francine Levannier.

Ces dispositifs ne concernent que les fonctionnaires territoriaux. Les agents contractuels, qui représentent 10 % des « emplois fonctionnels », sont simplement remerciés à l’issue de leur contrat. « Il leur est beaucoup plus difficile de rebondir alors que le recrutement de contractuels est de plus en plus encadré », observe Jean-Marie Leroy, directeur de Quadra Consultants, cabinet de conseil en recrutement spécialisé dans le secteur public. Quant aux fonctionnaires d’État (environ 10 % des effectifs), ils peuvent retourner vers leur administration d’origine.

« En théorie, les emplois fonctionnels ne sont pas des postes politiques, comme peuvent l’être les missions en cabinet. Mais la relation de confiance avec les élus est absolument essentielle », observe Laurent Moynac, directeur général adjoint chargé de l’aménagement durable et des mobilités au conseil régional de Franche Comté. Et celui-ci d’ajouter : « Attention, confiance ne signifie pas forcément complicité politique. En tant que fonctionnaire, je me considère comme dépositaire de la neutralité du service public, de l’équité de traitement et du respect de la loi. »

Esprit de service public.

Une neutralité derrière laquelle il reste toutefois difficile de se réfugier. Directrice générale ajointe chargée des finances d’un département historiquement ancré à gauche, Isabelle* est la seule rescapée d’une équipe dirigeante de cinq personnes disloquée après l’alternance du mois de mars. Et se sent stigmatisée. « Comme si j’avais pactisé avec le diable ! Certains de mes collègues ne m’adressent pas la parole », confie-t-elle. Alors même qu’elle considère la permanence des fonctionnaires comme un corollaire indispensable à l’impermanence des élus. « Ça relève de l’esprit de service public », justifie-t-elle.

Pour rester en place, cette directrice financière a pris les devants. « Dès son élection, je suis allée voir mon nouveau président pour lui dire qu’il me semblait légitime qu’il souhaite me remplacer. Mais je lui ai aussi expliqué tout ce que je pouvais lui apporter, compte tenu de mon expérience et de mon réseau. » Un maintien rendu possible par le fait qu’elle se sentait capable de travailler en confiance avec l’élu. « Si je devais être amenée à faire des choses qui ne correspondent pas à mes valeurs, je préférerais partir. Une telle distorsion générerait trop de souffrance. »

Directeur général des services (DGS) de l’Essonne depuis 2012, Fabien Tastet n’a pas fait la même analyse. « Quand le conseil départemental a basculé à droite, j’ai tout de suite annoncé au président que je ne souhaitais pas rester. Son élection s’était en effet faite sur un projet diamétralement opposé à celui que je venais de soutenir. » La transition s’est passée en bonne intelligence. « J’ai accueilli mon successeur et nous avons travaillé ensemble pendant plusieurs mois avant que je prenne, en septembre, le poste de DGS de la ville de Créteil et de son agglomération. » Un repositionnement que le consultant Jean-Marie Leroy trouve particulièrement malin. « À première vue, ce poste a moins d’envergure que le précédent puisqu’il passe d’une collectivité de 4 000 agents à une autre de 1 000. Mais il faut savoir faire ce genre de concession pour retrouver un emploi rapidement et, surtout, sur le même territoire. »

Dur de « se vendre ».

Outre la mobilité géographique, il existe bien d’autres freins au reclassement des cadres en emploi fonctionnel. « Le premier reste l’âge. Après 55 ans, il devient difficile de rebondir. En revanche, comme dans le privé, les 35-45 ans n’ont aucun problème », explique Philippe Prévost, fondateur du cabinet de recrutement France Conseil Collectivités. Son confrère Jean-Marie Leroy est moins catégorique : « L’âge importe peu dès lors que le fonctionnaire est encore en mesure de servir pendant toute la durée d’un mandat. » Et, surtout, qu’il accepte de revoir ses ambitions financières à la baisse. « Dans les départements, on n’embauche plus guère de directeurs généraux à 9 000 euros net par mois, affirme le directeur de Quadra Consultants. Les salaires tournent plutôt autour de 7 000 euros pour un DGA et de 7 500 à 8 000 euros pour un DGS, toutes primes et avantages compris. »

Les cadres territoriaux auraient une autre difficulté, selon Vincent Bogaers : leur « incapacité culturelle à réseauter et à se vendre ». « Ils sont très forts pour converser et tendre leur carte de visite. Mais ils ont du mal à dire clairement qu’ils cherchent un boulot. De plus, ils peinent à identifier les gisements d’emplois et à utiliser les réseaux sociaux », observe le fondateur du cabinet SOI Conseil et Formation. Dernier handicap, et non des moindres, celui d’être affublé d’une couleur politique trop marquée. Un cadre qui n’a servi que des exécutifs de gauche aura plus de mal à se repositionner dans le cadre actuel d’alternance généralisée… Résultat, à défaut de rebondir dans la fonction publique territoriale, les « éjectés » ont tout intérêt à aller voir du côté des services déconcentrés de l’État, des établissements publics, des structures parapubliques ou du secteur associatif.

Coup de chance pour Laurent Moynac, lui n’est pas marqué politiquement. « Au cours de ma carrière, j’ai eu l’occasion de travailler dans des exécutifs territoriaux des deux bords. » Difficile, pour autant, de dire que le DGA de Franche-Comté aborde les élections régionales en toute sérénité. « Au-delà de l’alternance politique, il faut aussi compter avec la réforme territoriale, qui verra la Franche-Comté fusionner avec la Bourgogne. Et aussi avec la nouvelle loi sur la parité, qui aboutira à une plus grande féminisation », justifie-t-il. Un « double effet ciseau » qui pourrait être fatal à de nombreux hommes…

La mixité en vue

À compter du 1er janvier 2017, les trois fonctions publiques (d’État, territoriale et hospitalière) seront soumises à de nouvelles règles de parité. Les primonominations de cadres dirigeants devront ainsi compter « annuellement au moins 40 % de personnes de chaque sexe », énonce joliment la loi du 12 mars 2012. Les femmes ne sont pas explicitement citées, mais elles sont clairement visées : avec des effectifs féminisés à 61 % mais seulement 35 % de femmes aux postes de direction, la fonction publique territoriale va devoir faire des efforts. Moins que la fonction publique d’État (à peine 26 % de femmes dirigeantes), mais assez pour inquiéter les hommes aspirant à des fonctions de direction.

Ainsi, dans la future région Bourgogne Franche-Comté, dont la réorganisation des services a été confiée à un préfet préfigurateur fin 2014, le directeur général des services viendra de Bourgogne et son adjoint de Franche-Comté. Les huit directeurs généraux adjoints en poste (quatre dans chaque région) ne trouveront pas leur place dans la nouvelle direction resserrée. Deux départs en retraite sont certes programmés… mais ce sont des femmes ! Moralité : « Cette loi va compliquer la vie de certains administrateurs, admet Fabien Tastet, président de l’Association des administrateurs territoriaux de France. Mais nous considérons que c’est une bonne loi, puisque la parité fait précisément partie des combats de notre association. »

Présidée par François Patriat, la région Bourgogne va devoir faire de la place aux femmes.

* À sa demande, son prénom a été modifié.

Auteur

  • Sabine Germain