logo Info-Social RH
Se connecter
Newsletter

Décodages

Dans le Nord et le Sud, le petit “non” du patronat au FN

Décodages | publié le : 03.12.2015 | E. S.

Image

Dans le Nord et le Sud, le petit “non” du patronat au FN

Crédit photo E. S.

En Nord-Picardie et Paca, les entreprises redoutent les effets d’une victoire frontiste aux régionales. À mots couverts.

La tension est montée d’un cran après les terribles attentats à Paris du vendredi 13 novembre. À l’approche des scrutins des 6 et 13 décembre, les deux régions les plus menacées de tomber aux mains frontistes tremblent. En Provence-Alpes-Côte d’Azur (Paca) et dans le Nord-Pas-de-Calais-Picardie, les milieux d’affaires oscillent entre condamnation ouverte et silence réprobateur.

Laurence Parisot, l’ancienne patronne du Medef, a certes appelé les chefs d’entreprise à dire « haut et fort le risque » d’une telle élection. Mais, sur le terrain, rares sont les langues à se délier. « Beaucoup d’entreprises travaillent sur des marchés publics. ça limite la liberté de parole des responsables qui redoutent que cela porte préjudice à leurs affaires », justifie Karine Charbonnier-Beck, directrice générale de Beck Industries, à Armentières (Nord), qui figure sur la liste de Xavier Bertrand (Les Républicains). Certains, sous couvert d’anonymat, vont même jusqu’à rappeler l’ambiguïté d’une partie du patronat… sous Vichy. À l’instar des syndicats, le Medef et la CGPME comptent en leur sein des adhérents pro-FN. Charles Beigbeder, fondateur de Poweo, n’a-t-il pas lancé, bravache, voilà quelques mois, qu’il n’aurait « aucun état d’âme à soutenir le FN » ?

« No pasaran ».

Délicat, dans ces conditions, de braquer ceux et celles que l’on représente… Ou qui travaillent avec vous, quand un tiers des électeurs du Nord ou du Sud se disent prêts à voter pour Marine Le Pen ou Marion Maréchal-Le Pen. Seuls ceux qui se sont retirés des affaires se montrent plus diserts. Tel Bruno Bonduelle, l’ex-président de la CCI du Grand Lille. L’ancien patron de l’empire éponyme a publié, début octobre, une tribune retentissante dans un hebdo régional. Intitulée « No pasaran », elle fustige l’absurdité des idées frontistes. « Comment est-ce possible de prôner ainsi la fermeture des frontières alors que transfrontalière, notre économie est immergée dans le monde ? » s’interroge-t-il. Depuis, le patriarche a reçu des dizaines de mails de menaces.

À la différence de celui de Paca, le patronat nordiste est de tradition paternaliste et chrétienne-sociale. Et plutôt éloigné des thèses de l’extrême droite. Un salarié sur quatre travaille dans une entreprise à capitaux étrangers, 30 % du PIB dépend de l’international et la région vit sous perfusion des aides de l’Union européenne. Pas très raccord avec la « préférence nationale » chère à Marine Le Pen. « Personne ne connaît mieux que nous les bienfaits de l’ouverture. Son programme dirigiste serait une catastrophe », s’alarme Karine Charbonnier-Beck. Gérant de H-Equities, Sébastien Horemans envisage de se développer au Togo. « Si le FN passe, mes investisseurs ne viendront plus. Ce serait un grave coup porté à l’économie locale alors que la fusion des régions est une chance ! » Également patron de la CGPME Picardie, il estime que « se taire, c’est se rendre complice ». En Paca, région qui compte nombre d’élus frontistes, on ne dit pas autre chose. Mais à mots couverts. « Sortir de l’euro serait un désastre économique, le retour au franc entraînerait une dévaluation incroyable et les taux d’intérêt s’envoleraient. Les entreprises étrangères iraient s’installer ailleurs, pointe Yvon Grosso, président du Medef Alpes-Maritimes. Le FN dit incarner le modernisme. Il n’est qu’archaïsme. » Sur son territoire, 1 600 entreprises étrangères sont implantées. Quand il entend Marion Maréchal-Le Pen clamer son amour pour les sociétés dont le siège social est implanté dans la région, son sang ne fait qu’un tour. Comme d’autres, il argumente auprès de ses salariés et ses confrères tentés par un électrochoc politique.

Le mille-feuille administratif, le poids des charges, la montée du chômage nourrissent le mécontentement. « Les défaillances se multiplient, deux chefs d’entreprise se suicident chaque jour, égraine Sébastien Horemans. Ceux qui votent FN ne sont pas des fascistes, ils ne croient plus en la politique. Quand ils me demandent pour qui voter, que puis-je leur répondre ? » Dur de faire face au désarroi…

Auteur

  • E. S.