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Les nouveaux visages des ressources humaines

Décodages | publié le : 03.11.2015 | Éric Béal

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Les nouveaux visages des ressources humaines

Crédit photo Éric Béal

Poussée par la digitalisation, les services RH élargissent leur champ de compétences. Traitement de données, marketing, animation de réseaux… de nouvelles fonctions apparaissent. Tour d’horizon.

Fini, la gestion des ressources humaines « à la papa ». Dépassé, les dirigeants à l’ancienne, qui privilégient les réunions en direct avec les syndicats et la remontée d’informations grâce aux entretiens annuels d’évaluation. Place aux RH du xxie siècle, qui s’appuient sur des communautés virtuelles pour dialoguer avec les salariés, entretiennent la réputation de l’entreprise sur les réseaux sociaux et anticipent les besoins de recrutement via des banques de données. Un chamboulement de la façon de travailler largement issu de la révolution numérique. À vitesse accélérée, celle-ci conduit à l’apparition de compétences nouvelles au sein de la filière des ressources humaines.

Bien sûr, les bases du métier restent inchangées. Les salariés ont encore besoin de recevoir leur fiche de paie en temps et en heure. Ils doivent toujours être formés et évoluer dans les organigrammes. Mais pourtant, tout bouge. « Les activités traditionnelles de la fonction doivent se renouveler pour prendre en compte les évolutions du contexte et, dans le même temps, le champ s’élargit à de nouveaux domaines », écrit Jean-Marie Peretti, professeur à l’Essec, dans l’ouvrage collectif A quoi ressemblera la fonction RH demain ?, publié en 2014 (Dunod).

La liste des nouvelles casquettes énumérées par l’universitaire est longue. Elle comprend la gestion des programmes de responsabilité sociétale et de développement durable, la prise en compte du bien-être, de la santé et de la qualité de vie au travail ainsi que la promotion et l’accompagnement du changement. Sans oublier le big data. À savoir la capacité à exploiter les données internes et externes pour améliorer l’organisation du travail, les processus de recrutement ou les déroulements de carrière.

Sur le terrain, c’est la digitalisation qui est perçue comme la première cause d’évolution des métiers RH. L’enquête d’Inergie, publiée en exclusivité dans Liaisons sociales magazine en avril 2015 (n° 161), ne laissait guère de doute sur le sujet. Elle montrait que le numérique est un énorme enjeu pour les DRH : 48 % d’entre eux jugeaient que les nouvelles technologies devaient être développées en priorité au niveau des chargés de mission RH. « Les tâches administratives et répétitives disparaissent. La fonction RH évolue doucement vers le conseil et l’accompagnement du changement. Parallèlement, le comportement des jeunes générations fait naître de nouveaux besoins en matière de recrutement ou de communication », souligne Estelle Mercier, responsable du master RH-conseil à l’Isam-IAE Nancy.

L’enjeu des réseaux.

Le poids grandissant des réseaux sociaux se traduit par l’apparition de community managers RH, d’administrateurs Web RH ou de gestionnaires de la marque employeur au sein des grands groupes. « Si nous voulons attirer les meilleurs, nous devons nous assurer de notre bonne notoriété auprès des futurs collaborateurs », confirme Diane Rivière, directrice du recrutement et de la marque employeur d’Axa. Si l’incontournable stand installé dans les forums des grandes écoles n’a pas encore disparu, l’assureur sait aussi qu’il doit cultiver sa présence sur les réseaux sociaux. Des community managers surveillent Twitter, Facebook, LinkedIn ou Viadeo et imaginent des stratégies marketing pour développer une communauté autour de la marque. L’objectif visé est d’attirer un plus grand nombre de candidatures spontanées sur des métiers classiques, comme l’actuariat ou la souscription d’assurance, mais également sur des postes d’ingénieurs IT, de data scientists ou d’architectes de systèmes d’information.

Certains vont jusqu’à imaginer la disparition du DRH dans son rôle classique de recruteur et de gestionnaire de carrière. « Le métier évolue. Dans une dizaine d’années, mon travail consistera à être à l’écoute de la communauté des spécialistes internes et externes qui travailleront pour le cabinet, afin d’assurer les conditions favorables à un engagement de tous », prédit Laurent Choain, chief people & communication officer du groupe Mazars. Une décennie à venir que le cabinet d’audit doit mettre à profit pour modifier son organisation du travail, favoriser le travail en réseau et la souplesse d’organisation en interne. Le prix à payer pour recruter, demain, les meilleurs talents.

Extraterrestres.

Dans les entreprises, des dénominations plus ou moins étonnantes, faisant la part belle aux anglicismes, font leur apparition dans les organigrammes. Chief talent manager, directeur de la transformation digitale, gestionnaire de sous-traitants RH… Les employeurs font assaut d’inventivité. « Dans les DRH des grands groupes, on commence à rencontrer des spécialistes du traitement de données et du marketing », observe Alexandre Pachulski, chief product officer et cofondateur de TalentSoft. Ces nouveaux venus sont chargés d’exploiter une multitude de données stratégiques, telles que celles de la base de données économiques et sociales et celles issues des autres systèmes d’information des entreprises. Croisées avec des données comportementales issues des réseaux sociaux, de la géolocalisation ou de CVthèques, elles peuvent s’avérer précieuses. Et permettre aux services RH d’anticiper le comportement des collaborateurs, de préparer une négociation sociale ou d’anticiper des besoins futurs en compétences.

Pour l’instant, la présence de ces « extraterrestres » et de leurs outils est encore limitée. « En 2015, seuls 4 % des décideurs RH indiquent avoir déjà recours aux outils analytiques. Mais près de la moitié ont des projets d’investissement dans le domaine », indique Hélène Mouiche, senior analyst dans le cabinet Markess. « Les calculs et les process seront sous-traités. Mais les entreprises ne pourront pas faire l’impasse sur ces métiers car il leur faudra des gens pour comprendre et analyser les résultats », analyse José-Maria Aulotte, ex-DRH d’Arc International, professeur associé pour les masters RH de l’ENS Magellan.

Autre volet de la transformation des métiers de la fonction RH, l’externalisation d’un grand nombre de tâches administratives. Celle-ci crée, elle aussi, des besoins en compétences nouvelles. « La GRH évolue du “faire” au “faire faire”. Ce recours à des sous-traitants spécialisés nécessite du pilotage », affirme José-Maria Aulotte. Un rôle d’interface, pour faciliter la réalisation de projets mélangeant prestataires et collaborateurs. Mais pour le moment, ce genre de poste ne semble pas avoir de dénomination précise.

Mathilde Le Coz, HR innovation leader chez Mazars

Rien ne destinait Mathilde Le Coz (34 ans) à devenir HR innovation leader. À sa sortie de l’ESC Rouen, elle est d’abord auditrice financière chez Mazars, spécialisée en trésorerie d’entreprise.

Guère passionnée par l’audit, elle décide de se lancer dans la gestion de carrière de ses collègues. « Je n’avais pas de compétence dans le domaine, mais je connaissais bien le groupe, ses métiers, et j’étais intéressée par les problématiques d’organisation du travail ou de gestion de projet », explique-t-elle.

En septembre, la jeune femme inaugure le poste de HR innovation leader. « Il s’agit pour moi de travailler sur l’entreprise de demain, les évolutions de l’organisation des métiers de l’audit et du conseil. 80 % des collègues ont moins de 35 ans et l’entreprise n’est pas adaptée à leur culture digitale et leur aspiration à plus de flexibilité et de souplesse dans leur organisation. »

Pour modifier les habitudes, Mathilde Le Coz « fait beaucoup d’intrapreneuriat ». Elle conduit des études internes pour connaître les attentes des collaborateurs. Elle favorise ensuite l’émergence de groupes de travail sur les sujets les plus largement partagés. Par exemple, le développement d’une application qui permet de gagner du temps face à une tâche répétitive ou la réflexion sur des mesures favorisant l’égalité homme–femme en matière de parentalité. Autres sujets, la mise en place de congés solidaires ou l’instauration de l’arrondi sur salaire. « L’objectif, c’est que les salariés se projettent dans l’entreprise, qu’ils trouvent un sens à ce qu’ils font afin de rester engagés », explique la trentenaire.

Johan-Bastien Polle, responsable media digital chez AccorHotels

Parcours surprenant que celui de Johan-Bastien Polle (35 ans). Entré au Sofitel de Paris-Charles de-Gaulle comme réceptionniste, ce jeune homme à l’aise avec l’informatique enchaîne des postes de responsable clientèle, de yield manager puis de chef de projet chez AccorHotels. À la suite d’un bilan de compétences et d’une formation au digital RH, il prend en charge les médias en ligne. Depuis décembre 2014, il cumule la responsabilité de la gestion du site Internet que le groupe consacre aux recrutements (6,5 millions de CV déposés par an) et celle de l’espace Recrutement & Carrières sur le site institutionnel. Il supervise aussi la présence d’AccorHotels sur les réseaux sociaux. Sans compter son travail de veille sur les outils innovants de recrutement et de gestion de carrière. « Nous avons deux problématiques contradictoires, constate le trentenaire. Gérer la masse de candidatures avec des outils de préqualification. Et augmenter le nombre de CV déposés pour des métiers en dehors de notre cœur d’activité ou dans les zones géographiques peu attractives. » Description des métiers, diffusion de témoignages, couverture d’événements internes, présentation des valeurs du groupe : de quoi rendre intense la communication sur les réseaux sociaux.

Nicolas Rolland, innovation learning & cultural director chez Axa

Docteur en sociologie, Nicolas Rolland (40 ans) a d’abord touché à la formation chez Orange, avant d’enseigner la stratégie et le management du savoir en école de commerce. En 2007, il entre chez Danone pour s’occuper de design organisationnel et de management des talents, puis de stratégie RH, de transformation digitale et enfin d’innovation. Recruté en janvier 2014 par Axa, il est chargé de faire avancer la transformation numérique de l’assureur. « Dans les grandes entreprises, le digital n’est pas une fin en soi. Il s’impose pour améliorer le service aux clients ainsi que la gestion des collaborateurs et des candidats », assure Nicolas Rolland. Pour parvenir à modifier la culture d’Axa, il utilise des formations présentielles et des outils plus « modernes ». Tels des mooc, des serious games ou des séminaires de cocréation, qui rassemblent pendant 48 heures des groupes autour d’une problématique portée par un collaborateur. Objectif : engendrer des innovations managériales. « Nous développons également le reverse mentoring, c’est-à-dire la formation des anciens par des jeunes à l’aise avec les nouvelles technologies », précise-t-il. Le programme compte 180 mentors et 600 coachés.

Sophie Cléjan, directrice de l’expérience salarié chez Orange

Elle est entrée à 21 ans chez Orange et n’en est plus jamais partie. Cette fidélité s’est traduite pour Sophie Cléjan (47 ans) par une belle évolution professionnelle. De l’information corporate, elle passe au développement d’offres spécifiques pour les entreprises, devient directrice marketing puis s’occupe de communication interne. En février 2015, elle inaugure le poste de directrice de l’expérience salarié du groupe. « L’objectif est de créer les conditions pour permettre aux collaborateurs de s’exprimer et d’améliorer ce qui est essentiel pour eux », confie-t-elle.

Mission première de son équipe : être à l’écoute pour identifier les « irritants opérationnels » puis offrir des services internes personnalisés à même de répondre aux problèmes. Pour ce faire, la dirigeante entend créer une « communauté » de salariés. « Ils s’exprimeront sur le réseau social interne et pourront tester les services imaginés pour améliorer la vie de tous », précise-t-elle. Des questionnaires en ligne sont prévus pour recueillir les avis et faire évoluer les services offerts. Tous les sujets seront abordés : accueil des recrues, gestion des carrières, posture du management, qualité des fonctions support… À terme, un catalogue des services personnalisés sera édité.

Auteur

  • Éric Béal