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Faurecia, histoire d’une reconversion ratée

Décodages | publié le : 03.11.2015 | Anne-Cécile Geoffroy

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Faurecia, histoire d’une reconversion ratée

Crédit photo Anne-Cécile Geoffroy

Pour compenser l’arrêt de son activité à évreux, l’équipementier automobile a passé, en 2013, un partenariat avec une TPE qui devait reprendre ses salariés. Une revitalisation à marche forcée, qui tourne mal.

Xavier* a longtemps cru à la reconversion industrielle de son usine d’évreux (Eure). Après trente ans de carrière chez Faurecia à fabriquer des tapis de sol de voitures, il s’embarque dans une nouvelle aventure. « Le groupe quittait le site mais faisait en sorte qu’on garde un emploi sur place en trouvant un repreneur. Qui aurait pu refuser la proposition ? » Son nouvel employeur ? Terranere, une start-up spécialisée dans l’équipement du vélo, qui s’installe à la mi-2013. Une aventure éphémère : le tribunal de commerce de Rouen a prononcé, le 22 octobre, sa liquidation judiciaire. « Je leur faisais confiance ! À Faurecia, à la direction de l’usine, au repreneur. C’est un beau gâchis. Je me sens trahi ! »

L’histoire de cette reconversion débute le 30 avril 2013. L’équipementier automobile, engagé dans un grand plan de restructuration de ses usines en Europe, cherche un repreneur pour son site normand. Via son avocat, Bruno Courtine, et le cabinet conseil Ennodev, il se rapproche de Terranere. La TPE bordelaise, forte de neuf salariés, développe des produits censés « révolutionner » l’industrie du vélo. Les deux partenaires tombent d’accord et signent, le 30 juillet 2013, un « partenariat de revitalisation ».

Le contenu du texte, dont nous nous sommes procuré une copie, est séduisant… sur le papier. La petite entreprise installe ses tables d’assemblage en terre ébroïcienne et s’engage à recruter au moins 50 salariés de Faurecia d’ici fin 2014. Selon ses projections, elle assure pouvoir créer 180 emplois à l’horizon 2016. L’idée ? Laisser le temps au groupe industriel, qui emploie encore 93 salariés, d’arrêter la production en douceur, sans trop de casse ni de remous sur le plan social. Et permettre à Terranere de prendre son envol. Faurecia est une des rares entreprises à chercher des solutions de réindustrialisation pour ses sites en difficulté. Comme à Nompatelize dans les Vosges, qui a accueilli trois start-up pour compenser la baisse de production locale. À évreux, l’industriel s’engage à participer « financièrement et industriellement au développement de l’activité ». Et ne se montre pas avare : il met sur la table 2,5 millions d’euros, fournit des locaux et met à disposition gracieusement quatre salariés spécialisés dans le « manufacturing et l’engineering » pendant un an.

Une épopée filmée

Les salariés de Normandie accueillent avec soulagement l’arrivée de ce repreneur. Ils ont bien monté un piquet de grève à l’annonce de la fermeture du site lors du comité central d’entreprise (CCE), le 18 juillet. Mais la pression est retombée dès le lendemain. D’autant que les élus ont rendu un avis positif lors du CCE. « Ce qui nous a séduits, c’est l’activité. Assembler des petites pièces est bien moins fatiguant que de soulever des tapis de sol. Comme on est cassés par le boulot, on a tous pensé qu’on allait retrouver un peu de confort dans notre travail », indique Jacques, un ex-Faurecia passé chez Terranere. Pour vendre le projet en interne, l’équipementier tourne même un film sur l’épopée de cette reconversion.

Côté social, le plan de sauvegarde de l’emploi prévoit de verser aux volontaires une indemnité de reconversion de 12 000 euros, une autre de transfert de 5 000 euros et entre 2 000 et 11 000 euros au titre du volontariat. Pour déterminer les critères permettant d’identifier les 50 élus, la DRH négocie un accord de méthode. Le critère qui fixe les arrivées chez Terranere est le déménagement des presses industrielles sur lesquelles ils travaillent. Dès l’automne 2013, certains rejoignent l’équipe de la société bordelaise. « Au début tout se passait bien, les collègues devaient apporter leur expertise en matière d’organisation de travail et se former. On passait de l’utilisation de presses industrielles au maniement des perceuses et visseuses. Un travail plus minutieux », se souvient Jacques.

Mais, très vite, les premiers doutes s’installent. Des salariés découvrent, via Internet, que le nom de Christian Gauthier, le repreneur, est associé à la liquidation d’une première entreprise également dans le cycle : Oredon, détenue par deux fonds d’investissement. Surtout, l’activité n’est pas au rendez-vous. « Nous avons rencontré de gros problèmes avec le plasturgiste qui travaillait pour nous, raconte Christian Gauthier. Il ne parvenait pas à nous fournir des pièces de qualité. Et cela a duré près de quinze mois. Nos charges s’envolaient. Mais Faurecia continuait à nous soutenir. Tous les mois, avec le directeur de l’usine, on informait les salariés sur l’avancement de la situation. »

Malgré les problèmes de production, Terranere doit respecter ses engagements. Et donc embaucher les salariés de l’équipementier. De six ex-Faurecia sous contrat de travail Terranere fin 2013, ils passent à 25 en juin 2014. Et, en comptant les commerciaux recrutés par ailleurs, l’effectif s’élève à 42. Le chef d’entreprise est coincé par son « obligation de reclassement de 50 salariés équivalents temps plein », dont le terme est fixé au 30 juin 2015. Un non-sens économique. Car il n’y a pas de boulot pour tous. « Terranere a commencé à nous demander de ne venir que trois jours par semaine, raconte Jacques. Les dernières semaines on était même priés de rester chez nous. Payés à ne rien faire. »

Illusion tenace

Trop occupé à décrocher des contrats à l’international (avec le groupe Tata en Inde, avec l’Américain Kriptonite, spécialisé dans les antivols pour vélo), le patron ne mesure pas les difficultés. Son responsable marketing, si. « Je me suis vite rendu compte du décalage entre les objectifs de Faurecia et les nôtres, souligne Dominique Simoncini. Quand je venais à évreux, le seul souci de Faurecia était que l’on mette les gens rapidement au travail, que l’on crache des pièces. Or, le monde du vélo, c’est d’abord du marketing. »

À l’extérieur, la belle histoire de reconversion fait toujours illusion, relayée par la presse locale. Faurecia ne rechigne pas à répondre aux journalistes pour présenter les détails de ce partenariat. Car une autre partie se joue : la négociation de la convention de revitalisation avec les services de la Direccte et la préfecture de l’Eure. Depuis 2005, lorsqu’une entreprise de plus de 1 000 salariés restructure, elle a pour obligation de réparer les dommages subis localement. « L’État estime l’impact de la fermeture d’un site pour le territoire. Il calcule l’assujettissement qui sera demandé à l’entreprise en prenant en compte le nombre de personnes dont le poste est supprimé et en lui appliquant un barème qui varie de deux à quatre smic mensuels brut », rappelle Patrick Taler, directeur associé chez Sémaphore et spécialiste des revitalisations.

À évreux, les actions de réindustrialisation du site sont reprises par une telle convention et valorisées 928 400 euros. Le 27 janvier 2015, lors d’une réunion d’étape avec les représentants de l’État, Faurecia estime avoir déjà dépensé 905 640 euros à ce titre. Et rappelle, en préambule de sa présentation, les 2,5 millions d’euros « mis à disposition ». Malgré nos demandes, ni l’équipementier automobile, ni la préfecture, ni la Direccte n’ont accepté de répondre à nos questions concernant les termes exacts de cette convention.

Ces moyens n’empêchent pas l’aventure Terranere de tourner court. « Faurecia nous a promis des ingénieurs maison, experts dans les domaines de la qualité et de la supply chain pour organiser la relation avec les fournisseurs. Ce sont des prestataires extérieurs qui sont intervenus. Mais aucun n’avait le savoir-faire de Faurecia », affirme Christian Gauthier. Difficulté supplémentaire, l’équipementier réclame le paiement d’intérêts (3 %), car, selon le contrat entre les deux parties, les 2,5 millions d’euros constituent un prêt, pas un don. Ils doivent servir pour une part à abonder, à hauteur de 50 %, « tout financement complémentaire de tiers, aides et/ou subventions publiques obtenues par Terranere ». Et des subventions, la TPE en a obtenues : de la Coface (75 000 euros), de la Banque publique d’investissement (90 000 euros) et de l’État (49 250 euros sur les 300 000 euros promis au titre de la prime d’aménagement du territoire). Selon plusieurs sources, ni la préfecture ni la Direccte n’auraient été mises au courant des termes de ce contrat lors de la négociation de la convention de revitalisation.

Ailes coupées

Le divorce entre les deux partenaires est total en juillet 2015, au moment où Faurecia est censé quitter définitivement le site. Il propose au repreneur un avenant à leur accord et se dit prêt à lui prêter plus d’un million d’euros, si Terranere lui vend pour un euro symbolique des brevets qui, pourtant, ne lui appartiennent pas. Et si la TPE rembourse tous les précédents prêts. Sans oublier les pénalités prévues dans le contrat pour les reclassements de personnel non réalisés dans les délais, soit 35 000 euros par salarié manquant. « Au total, Faurecia réclamait plus de 900 000 euros. Des conditions qui nous ont coupé les ailes et ne nous permettaient plus aucune levée de fonds auprès d’investisseurs », s’insurge Christian Gauthier.

Acculé, Terranere se place, le 24 septembre, sous la protection du tribunal de commerce de Rouen. Un administrateur est nommé. Un médiateur est aussi appelé à la rescousse pour tenter de rapprocher les deux partenaires. Mais Faurecia reste sur ses positions. « Si on avait eu six mois de plus, on aurait pu engager la production. L’erreur de Christian Gauthier est d’avoir voulu se mettre au diapason de la vitesse imposée par Faurecia. On n’était qu’une start-up avec un patron trop ambitieux », analyse Dominique Simoncini, responsable marketing. À Nompatelize dans les Vosges, l’histoire ne s’est pas mieux terminée. La décroissance de Faurecia, là aussi, a été plus rapide que la montée en production des trois start-up venues s’installer. La fermeture du site encore en activité a été annoncée en juillet aux 78 employés.

« Pour nous, ce sera Pôle emploi, lâche Xavier, dépité. Faurecia se sera offert un PSE à bon compte. Pourquoi l’État n’a-t-il pas encadré plus strictement cette opération ? Pourquoi Faurecia a-t-il laissé une petite boîte se débattre seule ? », interroge le salarié. Seule lueur d’espoir pour le moment, l’industriel aurait décidé de laisser active la cellule de reclassement ouverte lors du PSE. C’est bien le moins qu’il pouvait faire.

* Les prénoms ont été modifiés.

SOLVEIG GRIMAULT, Sociologue à l’Institut de recherches économiques et sociales
“Il ne faut pas que le PSE colonise la revitalisation”

Les entreprises développent-elles des stratégies d’anticipation en matière de revitalisation ?

Lors d’une étude* menée en 2011, nous avons constaté que les sommes allouées aux PSE et aux conventions de revitalisation se chevauchent souvent.

Si cette porosité existe, c’est que les entreprises anticipent financièrement leur obligation de revitalisation pour diminuer le coût total de la restructuration.

Est-ce illégal ?

Pas du tout. Le Code du travail prévoit ces passerelles. Il précise que la convention de revitalisation « tient compte des actions de même nature éventuellement mises en œuvre par anticipation » dans le cadre d’un accord de GPEC ou d’un PSE. La difficulté, c’est d’interpréter ce que « tenir compte » veut dire.

Pourquoi ?

Il faut que les actions engagées dans le cadre du PSE ne colonisent pas trop la convention de revitalisation. L’État a d’ailleurs rappelé, dans une circulaire de 2012, que les entreprises devaient distinguer les deux dispositifs. La logique du PSE, c’est le reclassement des salariés ; celle de la revitalisation, c’est la création d’activités et le développement des emplois sur le territoire.

Comment les entreprises anticipent-elles ?

Typiquement, via un soutien financier à la création d’entreprise. Les sommes allouées dans le cadre d’un PSE aux salariés ayant un projet de création vont être valorisées dans la convention – mais pas au-delà d’un certain montant. D’autres entreprises développent des stratégies plus sophistiquées. Certaines financent de façon récurrente des actions de soutien au développement économique du territoire et le font valoir ensuite. D’autres choisissent de financer un diagnostic des besoins en recrutement des entreprises du territoire, pour mieux préparer une restructuration à venir. La revitalisation est alors complètement alignée sur la logique du reclassement, sans que lui soit associé un objectif de création d’emplois. La revitalisation sert alors plus l’entreprise que le territoire.

Propos recueillis par A.-C. G.

* Étude sur la mise en œuvre de l’obligation de revitalisation menée pour le compte de la Datar et de la DGEFP.

SOLVEIG GRIMAULT, Sociologue à l’Institut de recherches économiques et sociales

Auteur

  • Anne-Cécile Geoffroy