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Dans les arcanes du très discret FPSPP

Décodages | publié le : 03.11.2015 | Manuel Jardinaud

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Dans les arcanes du très discret FPSPP

Crédit photo Manuel Jardinaud

Le Fonds paritaire de sécurisation des parcours professionnels est un organisme méconnu. Il n’en est pas moins un pivot du secteur de la formation, qui gère un gros milliard d’euros pour les salariés et les chômeurs. Visite guidée.

La grande salle de réunion, celle du conseil d’administration, a fait le plein ce jeudi d’octobre. Autour de la table de bois clair, gobelets de café et blocs-notes s’alignent devant les représentants des principaux Opca et Fongecif, ces organismes qui financent les formations décidées par les branches et les entreprises. Ce jour-là, ils sont une trentaine à s’être déplacés au siège du Fonds paritaire de sécurisation des parcours professionnels (FPSPP), à deux pas de la place de l’Opéra, à Paris. La garante de la mise en musique de ce « club utilisateurs » est Karine Dartois, responsable adjointe du service coordination et relations avec les réseaux. Elle égrène l’ordre du jour, consacré à la mise en œuvre du compte personnel de formation (CPF), lancé le 1er janvier dernier.

En tout, trois heures de questions-réponses ininterrompues. Visant à écouter les remontées du terrain sur les bugs du système d’information, à présenter une nouvelle plate-forme d’information commune à tous les opérateurs, à échanger sur les résultats d’un audit du site grand public du CPF et sur ses futures évolutions. Épaulée par des représentants de la délégation générale à l’emploi et à la formation professionnelle (DGEFP) et de la Caisse des dépôts et consignations, Karine Dartois maîtrise son sujet, très technique. Normal, le FPSPP joue un rôle pivot dans le nouvel outil. En plus d’en être un financeur majeur, l’organisme fait désormais office – et de plus en plus – de lieu de conseil et d’accompagnement des acteurs de la formation professionnelle. « Nous sommes en train de passer d’un modèle complexe et lourd, très lié aux financements du Fonds social européen, à un modèle plus agile et réactif avec une forte dimension de service », explique Philippe Dole, directeur général recruté au début de l’année 2015.

Créé en 2010, le FPSPP reste inconnu du grand public. Derrière son sigle imprononçable se cache pourtant une équipe d’une cinquantaine de personnes aux missions clés. À eux de gérer, distribuer, contrôler et évaluer l’utilisation de 1,366 milliard d’euros provenant, quasi exclusivement, de contributions indirectes des entreprises. En un peu plus de deux ans, les effectifs ont quadruplé. Leur tanière ? Trois étages d’un bâtiment discret donnant sur l’arrière du Palais Garnier. C’est là que se négocient, se valident et se transfèrent des fonds permettant de financer des congés individuels de formation, des bilans de compétences, des contrats de sécurisation professionnelle à destination des licenciés économiques, des aides spécifiques aux TPE, des formations pour les emplois d’avenir…

Ces dispositifs demandent, pour certains, des appels à projet qu’il faut rédiger, lancer et signer afin d’engager l’argent auprès des Opca, des Opacif ou des Fongecif. Une machinerie complexe, très rébarbative pour les non-initiés, que le FPSPP doit faire vivre au mieux. Avec une mission centrale : réduire les inégalités dans l’accès à la formation. « Nous devons faire en sorte que chaque euro dépensé soit utile et efficace », clame Philippe Dole. Sous le regard approbateur du président de l’institution paritaire, Pierre Possémé, issu de la CGPME. Et du vice-président, Dominique Schott, encarté à Force ouvrière.

Machine plus fluide.

Le binôme entend faire du FPSPP une organisation performante et réactive, gérée comme une entreprise. Loin de l’image poussiéreuse qui colle à la peau de ce gros machin, né sur les cendres du Fonds unitaire de péréquation (voir encadré page 48). Tout juste élus, les deux hommes font connaître leur première exigence : disposer de tableaux de bord à jour, permettant enfin de suivre en temps réel les dépenses et l’utilisation des sommes redistribuées. Indispensable pour affiner le pilotage. C’est le domaine de Cécile Bosdonnat, responsable du service de contrôle de gestion, et experte en tableaux Excel. Il lui incombe de recenser les contrats signés et les montants engagés. Un travail méticuleux auprès des Opca et des Fongecif pour traquer les incohérences et consolider les données. « Ce n’est pas toujours simple d’obtenir les bonnes informations, qui sont basées sur du déclaratif. D’autant que l’outil informatique n’est pas encore calibré », précise-t-elle.

Un travail de fond a été engagé avec le service des systèmes d’information pour mettre en place une plate-forme commune à tous les Opca. « Cela permettra d’adapter les enquêtes à la demande, par exemple sur le CPF dès l’an prochain », explique Cécile Bosdonnat. Mais aussi d’alimenter le dernier venu au sein de l’institution, Marc-Antoine Estrade. Tout nouveau responsable de l’évaluation, de la prospective et de la statistique, cet homme de chiffres passé par l’Insee, la Dares et la DGEFP incarne un nouveau visage du FPSPP. « Il faut que nous arrivions à mieux mesurer ce que l’on fait pour déterminer le plus finement possible en quoi notre action apporte une plus-value », résume-t-il. La recrue prend encore ses marques, en grappillant de l’information auprès des différents services. « Pour renvoyer ensuite à la discussion politique », ajoute-t-il.

Paritarisme oblige, syndicats et patronat sont aux manettes. Il n’y a pas si longtemps, « gouvernants » et « exécutants » ne se connaissaient guère. Une ère révolue. Salariés spécialistes et administrateurs bénévoles tentent de se rapprocher pour faire du FPSPP une machine plus fluide et efficace. Début octobre, lors d’un séminaire réunissant tous les collaborateurs, les président et vice-président ont participé toute une journée aux travaux portant sur les valeurs et le futur du FPSPP. Rarissime, jusqu’ici. « Auparavant, le président faisait un petit discours et s’en allait », glisse une salariée. Cette mini-révolution illustre un style de management insufflé par le nouveau bureau et le directeur général, qui cherchent à décloisonner les services et à les rapprocher du centre de décision. « Chacun doit en permanence s’assurer du bon équilibre entre sa posture de technicien et celle du politique, rappelle Philippe Dole. Il faut toujours considérer qu’une décision non approuvée par les partenaires sociaux n’existe pas. »

Caisse enregistreuse.

Pas facile avec des Opca, eux aussi paritaires, qui tapent à la porte pour obtenir des financements supplémentaires. Le temps des salariés du FPSPP, techniciens répondant aux demandes et assurant l’accompagnement, est parfois déconnecté de celui des politiques. Élaboration d’une convention sur un dispositif, passage en commission puis validation par le conseil d’administration : un processus lent qui peut faire naître de la frustration, notamment au sein du service projets, en première ligne sur ce sujet. Avec ses 18 salariés de haut niveau et de quatre nationalités différentes, il fait figure de navire amiral du FPSPP. Il lui revient de veiller sur 300 actions en cours et de piloter les conventions signées avec les opérateurs. Sur des sujets majeurs : le financement des préparations opérationnelles à l’emploi, les contrats de sécurisation professionnelle, les programmes de lutte contre l’illettrisme, la formation des emplois d’avenir… Le gros du travail ? Rédiger les appels à projet qui décideront des montants alloués et accompagner les organismes pour y répondre. « Nous ne sommes plus une simple caisse enregistreuse. Nous conseillons les Opca pour définir leurs besoins puis nous instruisons l’appel à projet avec eux », explique Julian Scotto D’Anielo, le responsable du service. Et celui-ci d’insister sur le « travail de proximité », comme pour couper court à toute remarque sur la déconnexion de l’organisme du terrain.

Des comités techniques nationaux – le jargon reste très présent au FPSPP – se réunissent régulièrement pour évaluer les dispositifs, rendre compte des blocages. Pour, au final, « mieux détecter les bénéficiaires, mieux orienter les financements », explique Julian Scotto D’Anielo. Mais l’organisation a beau assurer rester au contact du réel, son apport demeure très technique : « Lorsque nous lançons un appel à projet, beaucoup d’aspects sont à prendre en compte pour s’assurer que les méthodes de gestion et de contrôle d’éligibilité des actions correspondent à ce qui est attendu », explique Léonore Risbec, chargée de projet, qui vante la coopération avec le service juridique.

Vitesse de croisière.

Le FPSPP n’en a pas terminé avec sa mue. De nouveaux chantiers sont encore en cours. Il lui faut d’abord travailler sur la qualité, enjeu majeur de la dernière réforme de la formation professionnelle. Le service de coordination des réseaux, dirigé par Vincent Caputo, s’y attelle, en sollicitant les opérateurs, en particulier les Opca, pour définir les meilleures pratiques. Les principaux organismes de certification et de labellisation ont aussi été rencontrés, en septembre dernier.

Le fonds doit également gérer, en parallèle, la professionnalisation des Fongecif pour que, à terme, tous les organismes travaillent de façon coordonnée sur le conseil en évolution professionnelle ou les bilans de compétences. Avec un souci : faire en sorte que tout salarié puisse profiter du même service, quel que soit son lieu de résidence. Un pédagogue interne est d’ailleurs en soutien, pour mettre en place l’ingénierie de formation. « Avec les Fongecif, nous sommes en train de créer un portail de services qui hébergera tous les outils de conseil et d’accompagnement », précise Pascale Sauvage, la chef de projet Opacif au sein du service. Lequel va en outre instituer un nouveau « club utilisateurs » sur le CPF destiné aux entreprises en retard sur le sujet. Après cette année de mise en route de la réforme, la vitesse de croisière n’est donc pas encore atteinte. Les vagues de licenciements et la houle d’une économie en turbulence nécessiteront encore des ajustements.

EN CHIFFRES

247 477 c’est le nombre de personnes formées avec le soutien du FPSPP.

47 % sont des demandeurs d’emploi.

Source : FPSPP, chiffres 2014.

Un super pot commun

Philippe Dole, le DG du fonds paritaire, voudrait en faire « la maison commune des Opca ». Pour le moment, le FPSPP est surtout une mégastructure de mutualisation, un super pot commun. De fait, sur les presque 7 milliards d’euros collectés par les organismes paritaires agréés que sont les Opca et les Opacif, il en récupère près d’un milliard. Une « surmutualisation » ensuite redistribuée via des appels à projet auxquels répondent les Opca et le système de la péréquation qui leur bénéficie… récupérant ainsi une partie des sommes préalablement versées.

Les appels à projet concernent des dispositifs bien spécifiques : les emplois d’avenir, l’alternance, les contrats de sécurisation professionnelle (pour les licenciés économiques), les préparations opérationnelles à l’emploi, des actions de qualification liées à des mutations économiques… En tout, 11 catégories bien précises.

En complément, la redistribution aux Opca se fait via la péréquation, dotée de 300 millions d’euros. Elle sert à financer les contrats de professionnalisation et les CFA. Le FPSPP intervient « en couverture », lorsque les organismes paritaires ont engagé plus que leurs ressources propres sur la section professionnalisation. D’une certaine façon, il couvre le risque pris par l’Opca pour dynamiser le retour à l’emploi. Au bout du compte, via le FPSPP, les Opca qui dépensent plus récupèrent l’argent de ceux qui dépensent moins. En 2014, six de ces organismes ont bénéficié de la péréquation. En 2015, ce sera certainement le double, la nouvelle loi ayant amputé de 20 % le budget des Opca sur la professionnalisation.

Auteur

  • Manuel Jardinaud